— Ce NAD, c’est la Quintessence dont rêvait Johannes de Rupescissa dans De consideratione quintae essentiae rerum omnium en 1350 ! C’est la pierre philosophale ! Le Graal ! L’anneau de l’éternelle jeunesse ! M’en faut !
— Calmez-vous. On l’a commercialisé sous la marque Elysium Basis. C’est un supplément nutritif. Mais l’idée qu’on puisse avaler une pilule pour rajeunir, eau de jouvence ou un supplément alimentaire, est un peu optimiste. Je dirais que les thérapies géniques sont à l’autre bout du spectre : très complexes et onéreuses — environ un million de dollars l’injection. S’il suffisait de prendre un produit oralement, nous vivrions déjà trois cents ans. Les tests avec Elysium sont prometteurs mais si l’on veut que le produit fonctionne, il faudrait avaler une gélule toutes les quinze minutes car le corps l’élimine en un quart d’heure. Il faudrait gober des pilules toute la journée et toute la nuit sans dormir, avec une alarme qui nous réveillerait toutes les quinze minutes. Ou se promener avec une pompe dans le bras qui injecte du NAD en continu. Donc on part d’un principe naturel et cela devient un esclavage. On trouvera peut-être un meilleur moyen de s’en servir. L’avantage d’un gène est qu’il va travailler jour et nuit dans l’organisme. Cela me paraît une meilleure option.
Church savait souffler le chaud et le froid. Peut-être avait-il comme moi des origines écossaises ? J’aimais bien son pantalon. C’était le pantalon d’un homme qui se fichait des pantalons.
— Les facteurs Yamanaka sont une autre piste de rajeunissement cellulaire. Je peux reprogrammer mes cellules en cellules souches avec les quatre facteurs Yamanaka, celles qui ont 62 ans seront identiques à des cellules de bébé. C’est véritablement un « reset ». Cette opération a été effectuée, le mois dernier, au stade de l’animal vivant, sur des souris qui ont effectivement rajeuni. Leurs cellules pancréatiques ont été régénérées, ainsi que leur peau, leurs reins, leurs vaisseaux sanguins, leur estomac, leur colonne vertébrale… On a également inversé le vieillissement par ce qu’on appelle pompeusement une « parabiose hétérochronique », terme compliqué pour décrire une opération simple : on prend une vieille souris et une jeune souris et on réunit leur système de circulation sanguine. Elles partagent le sang. Cela rajeunit considérablement la souris âgée.
— Le sang jeune serait-il la fontaine de Jouvence ?
— Le sang jeune ne rajeunit pas seulement le sang mais tous les organes. On constate de nombreux aspects régénérés chez l’animal âgé : le cœur, les muscles, le système neuronal, vasculaire…
— Vous validez une vieille idée : le vampirisme. À la fin du XVI esiècle, la comtesse Erzsébet Báthory buvait du sang de jeunes vierges pour rester jeune [2] À L’Avant-Comptoir du Marché (angle rue Lobineau/rue Mabillon, Paris 6 e ), ils servent des shots de sang béarnais à 2 €. (Note du critique gastronomique.)
…
— Son erreur était qu’il ne faut pas ingérer le sang dans le système digestif. Il faut l’injecter directement dans les veines. Nous cherchons en ce moment à comprendre ce qui dans le sang jeune provoque ce rajeunissement.
— Pourquoi n’injectez-vous pas de sang jeune à vos supercentenaires ?
— Ma réponse tient dans un acronyme : DBPCRCT.
— Excuse me ?
Léonore a ri et traduit :
— Ce sont les initiales de « Double Blind Placebo Controlled Randomized Clinical Trials ». Avant toute tentative de thérapie humaine, on doit organiser des tests cliniques comparés à des tests placebos, sans que ni les patients ni les médecins sachent qui est exposé à la thérapie, et qui a pris un placebo.
Leur complicité entre généticiens modernes commençait à me courir sur le haricot non modifié. Ce n’est pas ma faute si, à vingt ans, j’ai préféré aller chez Castel plutôt que d’accomplir dix années de spécialisation médicale.
— C’est la seule méthode de vérification scientifique, a repris Church. Beaucoup de thérapies sur le marché sont des escroqueries. Tout ce qui n’est pas vérifié par le DBPCRCT est du charlatanisme et sur l’inversion du vieillissement, vous avez une offre considérable puisque, grosso modo, ce marché concerne… toute l’humanité. Ici, nous cherchons quels gènes ralentissent le vieillissement. Chacun de nos supercentenaires a un génome différent mais que se passerait-il si nous leur découvrions un gène commun ? On pourrait créer un génome qui ferait vivre plus longtemps… ou pas. Nous testons en ce moment un sang purifié et/ou synthétique sur des souris. Ensuite nous passerons aux chiens, puis aux humains malades. Nous recherchons la bonne combinaison. Le but de ces idées est bien sûr de faire des DBPCRCT.
— Où trouvez-vous vos idées ? Est-ce le hasard, la science, la sérendipité ?
— Les idées viennent de partout, d’un livre, d’un rêve… Parfois l’on prend un gène au hasard. L’essentiel c’est le DBPCRCT qui seul permet de vérifier l’inversion du vieillissement. Si un gène permet de vivre plus longtemps, cela ne veut pas dire qu’il peut renverser le temps, or c’est cela qu’on recherche.
— Pourquoi êtes-vous obsédé par l’inversion de l’âge plutôt que par la prolongation de la vie ?
— Parce que la plupart des humains sur le marché sont déjà nés !
Léonore a éclaté de rire ; j’ai eu peur qu’elle ne réveille Lou mais la petite ronflait comme son père.
— L’éthique sur la modification de la lignée germinale est très stricte. Il est plus aisé de faire de la vraie recherche scientifique et d’obtenir l’autorisation de la FDA (Food and Drug Administration) sur le rajeunissement que sur l’allongement de la durée de vie. Le problème de cette quête est simple : si je veux trouver une pilule qui rallonge la vie de quinze ans, cela me prendra quinze années pour le vérifier scientifiquement. Je ne peux pas prouver que j’ai rallongé votre vie de quinze ans… en moins de quinze ans ! Mais si je trouve une pilule qui vous fait rajeunir de quinze ans, en hypothèse, je peux constater l’effet immédiatement. Votre visage, vos muscles, vos organes changeront.
— C’est ce que vous avez effectué sur des souris ici à Harvard fin 2016 ?
— Oui. Nous avons pris des souris âgées, et nous avons dosé les facteurs Yamanaka avec un certain timing (deux fois par semaine uniquement) et dilués avec un antibiotique (la doxycycline). Nous avons alors pu vérifier l’inversion du vieillissement par différentes observations spécifiques : la force de préhension (on voit la souris s’accrocher à une barre), la nage, des tests de connaissance (la souris trouve plus vite la sortie de labyrinthes), le temps de réflexe… et une durée de vie augmentée de 30 %. Quand on va passer aux chiens, on procédera aux mêmes vérifications.
— Quand passerez-vous aux essais sur les humains ?
— On teste en ce moment quarante ou cinquante thérapies géniques. Celles qui marchent sur les souris vont être essayées sur les chiens. La procédure de la FDA va beaucoup plus vite pour les chiens que pour les hommes ! (Et pour les souris nous n’avons pas besoin d’approbation.) Il y a des propriétaires de vieux chiens en fin de vie qui sont déjà prêts à payer pour tenter de les rajeunir. Je pense que d’ici un an nous allons commencer les expérimentations sur les humains.
— Je peux vous fournir une longue liste de VIP qui seront prêts à payer une fortune pour ne pas mourir.
Léonore semblait ébranlée par la puissance de conviction de Church. Elle qui côtoyait un des pionniers du séquençage humain devait pourtant être habituée à ce type de délire. Mais contrairement à la pensée d’Antonarakis, le charisme de Church venait d’ailleurs : sa pensée ne connaissait pas de tabous. C’était à la fois excitant et vertigineux. Le professeur Church s’exprimait avec une liberté inhabituelle pour quelqu’un qui enseignait à un niveau aussi élevé (il tient chaire à Harvard mais aussi au MIT-Massachusetts Institute of Technology). J’ai poursuivi mon interrogatoire par une question que m’avait soufflée André Choulika :
Читать дальше