– Je te réveille ?
– Bien sûr que non, il est trois heures du matin !
– Désolé mais je crois disposer d'une information importante.
Georges Pilguez alluma sa lampe de chevet, ouvrit le tiroir de sa table de nuit et chercha de quoi écrire.
– Je t'écoute ! Dit-il.
– J'ai maintenant toutes les raisons de penser que notre homme a voulu se débarrasser de son nom de famille, ne plus jamais avoir à l'utiliser ou tout du moins voulu qu'on le lui rappelle le moins possible.
– Pourquoi ?
– C'est une longue histoire...
– Et tu as une idée de sa nouvelle identité ?
– Pas la moindre !
– Parfait, tu as bien fait d'appeler au milieu de la nuit, voilà qui va faire grandement progresser mon enquête ! répliqua Pilguez, sarcastique, avant de raccrocher.
Il éteignit la lumière, croisa les bras derrière sa nuque et chercha en vain à retrouver le sommeil. Une demi-heure plus tard, sa femme lui ordonnait d'aller se remettre au travail. Peu importait que le jour ne soit pas encore levé, elle n'en pouvait plus de le sentir s'agiter ainsi dans leur lit et elle comptait bien se rendormir.
Georges Pilguez enfila une robe de chambre et rejoignit la cuisine en râlant. Il commença par se préparer un sandwiches, beurra copieusement les deux tranches de pain puisque Natalia ne serait pas là pour lui faire la morale sur son cholestérol. Il emporta son repas et alla s'installer derrière son bureau. Certaines administrations ne fermaient jamais, il décrocha son téléphone et appela un ami qui travaillait au service des frontières.
– Si une personne ayant légalement changé de pa-tronyme était entrée sur notre territoire, son nom d'ori-gine figurerait-il dans nos fichiers ?
– Quelle nationalité ? répondit son correspondant.
– Allemand, né en RDA.
– Alors dans ce cas, pour obtenir un visa auprès d'un de nos services consulaires, c'est plus que probable, il y aura certainement des traces quelque part.
– Tu as de quoi noter ? demanda Georges.
– Je suis devant mon clavier, mon vieux, répondit son ami Rick Bram, officier au bureau de l'immigration à l'aéroport John Fitzgerald Kennedy.
*
La Mercedes faisait route vers l’hôtel. Anthony Walsh regardait le paysage par la vitre. Un bandeau lumineux défilait sur la façade d'une pharmacie, affichant par intermittence la date, l’heure et la température extérieure. Il était bientôt midi à Berlin, 21° Celsius...
– Et plus que deux jours, murmura Anthony Walsh.
*
Julien faisait les cent pas dans le hall, son bagage à ses pieds.
– Je vous assure, mademoiselle Walsh, que je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où votre père s'est rendu.
Il nous a commandé une voiture tôt ce matin sans nous donner plus d'indications, il n'est pas réapparu depuis. J'ai essayé de joindre le chauffeur mais son portable est coupé.
Le concierge regarda le sac de Julia.
– M. Walsh n’a pas non plus demandé de modifier vos réservations de voyage et ne m'a pas davantage informé de votre départ aujourd'hui. Êtes-vous certain de sa décision ?
– C'est ma décision ! Je lui avais donné rendez-vous ce matin, l'avion décolle à quinze heures, et c'est le dernier vol possible si nous ne voulons pas rater la correspondance à Paris pour New York.
– Vous pouvez toujours transiter par Amsterdam, cela vous fera gagner du temps, je me ferai un plaisir de relever cela pour vous.
– Alors soyez gentils de le faire maintenant, répondit Julia en fouillant ses poches.
Désespérée, elle laissa tomber sa tête sur le comptoir sous le regard éberlué du concierge.
– Un problème, Mademoiselle ?
– C'est mon père qui a conservé les billets !
– Je suis certain qu'il ne tardera plus à rentrer. Ne vous inquiétez pas, si vous devez absolument être ce soir à New York, vous avez encore un peu de temps devant vous.
Une berline noire vint se pencher devant l'hôtel, Anthony Walsh en descendit et franchit la porte tambour.
– Mais où étais-tu ? demanda Julia en venant à sa rencontre. Je me suis fait un sang d'encre.
– C'est bien la première fois que je te vois te soucier de mon emploi du temps, ou de ce qu'il a pu m'arriver, quelle merveilleuse journée !
– Ce qui m'inquiète, c'est que nous allons rater notre vol !
– Quel vol ?
– Nous étions convenus hier soirs de rentrer aujourd'hui, tu t’en souviens ?
Le concierge interrompit leur conversation en remettant à Anthony un pli qui venait de lui être faxé. Anthony Walsh ouvrit l'enveloppe et regarda Julia tout en lisant la télécopie.
– Bien sûr, mais c'était hier soir, répondit-il, joviale.
Il jeta un œil sur le sac de Julia et demanda au bagagiste de bien vouloir le remonter dans la chambre de sa fille.
– Viens, je t'emmène déjeuner, il faut que nous parlions.
– De quoi ? demanda-t-elle, inquiète.
– De moi ! Allez, ne fais pas cette tête, je te rassure, je plaisantais...
Ils s'installèrent en terrasse.
*
L'alarme du réveil tira Stanley d'un mauvais rêve.
Stigmate d'une soirée où le vin avait coulé à flots, une redoutable migraine le saisit dès qu'il ouvrit les yeux. Il se leva et tituba jusqu'à la salle de bains.
Jugeant de sa mine devant le miroir, il se jura de ne plus toucher à une goutte d'alcool avant la fin du mois, ce qui était somme toute raisonnable puisqu'on était déjà le 29. Hormis le marteau-piqueur qui semblait œuvrer sous ses tempes, la journée s'annonçait plutôt belle. À l'heure du déjeuner, il proposerait à Julia de passer la chercher à son bureau et d'aller faire un tour le long de la rivière.
Fronçant les sourcils, il se souvint successivement que sa meilleure amie n'était pas en ville et qu'il n'avait pas eu de ces nouvelles hier soir. Mais il fut incapable de ce remémorer la conversation de la veille au cours du dîner trop arrosé. Ce n'est qu'un peu plus tard, après avoir bu une grande tasse de thé, qu'il se demanda si, finalement, il n'aurait pas laissé échapper le mot « Berlin » pendant son tête-à-tête avec Adam. Une fois douchée, il s'interro-gea sur l'intérêt d'informer Julia de ce doute qui grandis-sait en lui. Il faudrait peut-être qu’il l’appelle… ou pas !
*
– Qui a menti, mentira ! s'exclama Anthony en présentant le menu à Julia.
– C'est pour moi que tu dis cela ?
– Le monde ne tourne pas autour de ton nombril, ma chérie ! Je faisais allusion à ton ami Knapp !
Julia reposa la carte sur la table et renvoya le serveur qui s'approchait.
– De quoi parles-tu ?
– De quoi veux-tu que je parle à Berlin dans un restaurant où je déjeune en ta compagnie ?
– Qu'est-ce que tu as découvert ?
– Tomas Meyer alias Tomas Ullmann, reporter pour le Tagesspiegel ; je pourrais parier sans grand risque qu'il travaille tous les jours avec ce petit salopard qui nous a raconter des histoires.
– Pourquoi Knapp aurait-il menti ?
– Ça, tu le lui demanderas toi-même. J'imagine qu’il a ses raisons.
– Comment as-tu appris tout cela ?
– J'ai des supers pouvoirs ! C’est un des avantage d’être réduit à l'état de machines.
Julia regarda son père, décontenancée.
– Et pourquoi pas ? reprit Anthony, tu inventes des animaux savants qui parlent aux enfants, et je n'aurais pas le droit d'avoir quelques qualités extraordinaires aux yeux de ma fille ?
Anthony avança sa-main vers celle de Julia, il se ravisa et saisit un verre qu’il porta à ses lèvres.
– C'est de l'eau ! cria Julia.
Anthony sursauta.
– Je ne suis pas certain que cela soit très recommandé pour tes circuits électroniques, chuchota-t-elle, gênée d'avoir attiré l'attention de ses voisins.
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