– Non, en effet !
– J'ai une mauvaise nouvelle pour toi. Je ne peux pas les appeler. Ce n'est pas possible. La seule personne pouvant interrompre le programme est la bénéficiaire. D'ailleurs, j'ai déjà oublié le mot de passe que je t'avais communiqué, il s'est aussitôt effacé de ma mémoire. J'espère que tu l'as noté... au cas où...
– 1-800-300 00 01 code 654 !
– Ah oui, tu l'as bien mémorisé !
Julia se leva et alla déposer son bol dans l’évier. Elle se retourna pour regarder longuement son père et décrocha le téléphone fixé au mur de la cuisine.
– C'est moi, dit-elle à son collègue de travail. Je vais suivre tes conseils, enfin presque... Je prends ma journée 76
et celle de demain aussi, peut-être plus, je n'en sais encore rien, mais je te tiendrai au courant. Envoyez-moi un mail tous les soirs pour m'informer de l'avancement du projet, et surtout appelez-moi si vous avez le moindre problème. Une dernière chose, accorde toute ton attention à ce Charles, la nouvelle recrue, nous lui devons une fière chandelle. Je ne veux pas qu'il soit tenu à l'écart, aide-le à s'intégrer à l'équipe. Je compte vraiment sur toi, Dray.
Julia reposa le combiné sur son socle, sans quitter son père des yeux.
– C’est bien de veiller sur ses collaborateurs, annonça Anthony Walsh, j'ai toujours dit qu'une entreprise reposait sur trois piliers : ses équipes, ses équipes et ses équipes !
– Deux jours ! Je nous donne deux jours, tu m'entends ? À toi de décider si tu les prends ou pas. Dans quarante-huit heures, tu me rends à ma vie, et toi...
– Six jours !
– Deux !
– Six ! Continua d'argumenter Anthony Walsh.
La sonnerie du téléphone mis un terme à la négociation. Anthony prit l'appel, Julia lui arracha aussitôt l'appareil, l’étouffa dans sa main en faisant signe à son père d'être le plus silencieux possible. Adam s'inquiétait de ne pas avoir pu la joindre au bureau. Il se reprochait d'avoir été susceptible et suspicieux à son égard. Elle s'excusa d'avoir été irascible la veille au soir, le remercia d'avoir réagi à son message et d'être passé la voir. Et même si le moment n'avait pas été des plus parfaits, son apparition inattendue sous ses fenêtres avait finalement un côté très romantique.
Adam lui proposa de venir la chercher après sa journée de travail. Et pendant qu’Anthony Walsh faisait la vaisselle, est le plus de bruit possible, Julia expliqua que la mort de son père l'avait affectée plus qu'elle n'avait bien voulu l'avouer. Sa nuit avait été peuplée de cauchemars, elle était épuisée. Inutile de reproduire l'expérience de la veille. Un après-midi de calme, une soirée où elle se coucherait tôt et demain, au plus tard le jour suivant, ils se verraient. D'ici là, elle aurait retrouvé une apparence digne de la jeune femme qu'il voulait épouser.
– C'est bien ce que je disais, la lire pomme ne tombe jamais loin de l'arbre, répéta Anthony Walsh alors que Julia raccrochait.
Elle le fusilla du regard.
– Quoi encore ?
–Tu n'as jamais lavé la moindre assiette !
– Ça, tu n'en sais rien, et puis la vaisselle est dans mon nouveau programme ! Répondit joyeusement Anthony Walsh.
Julia le laissa en plan et prit le trousseau de accroché au clou.
– Où vas-tu ? demanda son père.
– Je monte t’aménager une pièce à l'étage. Hors de question que tu passe la nuit dans mon salon à faire les cent pas, j'ai quelques heures de sommeil à récupérer, si tu vois ce que je veux dire.
–si c’est à cause du bruit de la télévision, je peux baisser le son...
– Ce soir tu montes, c'est à prendre ou à laisser !
– Tu ne vas quand même pas me mettre au grenier ?
– Donne-moi une raison de ne pas le faire ?
– Il y a des rats... C'est toi qui l’as dit, reprit son pair avec l'intonation d'un enfant que l'on vient de punir.
Et alors que Julia s'apprêtait à sortir de l'appartement, son père la rappela d’une voix ferme.
– Nous n'y arriverons jamais ici !
Julien ferma la porte et grimpa l'escalier. Anthony Walsh regarda l'heure à la montre du four, hésita un instant, il chercha la télécommande blanche que Julia avait abandonnée sur le plan de travail.
Il entendit les pas de sa fille au-dessus de sa tête, le raclement des meubles qu'elle déplaçait, le bruit de la fenêtre qu'elle ouvrait et refermait. Quand elle redescendit, son père avait repris place dans la caisse, télécommande en main.
– Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda-t-elle.
–Je vais m’éteindre, c'est peut-être mieux pour nous deux, enfin surtout pour toi, je vois bien que je dérange.
– Je croyais que tu ne pouvais pas faire ça ? dit-elle en lui arrachant la télécommande.
– J'ai dit que tu étais la seule à pouvoir appeler la société et fournir le code, mais je pense être encore capable d'appuyer sur un bouton ! maugréa-t-il en ressortant de la caisse.
– Et puis fais comme tu veux, répondit-elle en lui rendant le boîtier. Tu m’épuises !
Anthony Walsh le reposa sur la table basse et vint se poster devant sa fille.
– Au fait, vous deviez vous partir en voyage ?
– À Montréal, pourquoi ?
– Dis donc, il ne s'est pas fouler le fiancé, siffla-t-il entre ses lèvres.
– Tu as quelque chose contre le Québec ?
– Pas le moins du monde ! Montréal est une ville tout à fait charmante, j'ai même passé de très bons moments ! Enfin, là n'est pas le sujet, toussota-t-il.
– Et quel est ton sujet ?
– C'est juste que...
– Que quoi ?
– Un voyage nuptial à une heure d'avion... Franchement quel dépaysement ! Et pourquoi ne pas t'emmener en camping-car pour économiser l'hôtel !
– Et si c'était moi qui avais choisi cette destination ?
Si j'aimais passionnément cette ville, si nous y avions des souvenirs, Adam et moi ? Qu'est-ce que tu en sais ?
– Si c’était toi qui avais choisi de passer ta nuit de noces à une heure de ton domicile, tu ne serais pas ma fille, voilà tout ! Affirma Anthony d'un ton ironique. Je veux bien que tu aimes le sirop d'érable, mais à ce point-là...
– Tu ne te débarrasseras jamais de tes a priori , hein?
– Je t'accorde que c'est un peu tard. Soit, admettons, tu as décidé de vivre la soirée la plus mémorable de ta vie dans une ville que tu connais. Adieu, l'appétit de découverte ! Adieu, le romantisme ! Aubergiste, donnez-nous la même chambre que la dernière fois, après tout ce n'est qu'un soir comme les autres ! Servez-nous notre repas habituel, mon futur mari, que dis-je, mon tout nouvel époux, détestent changer ses habitudes !
Anthony Walsh éclata de rire.
– Tu as fini ?
– Oui, s'excuse-t-il. Dieu que la mort a du bon, on s'autorise à dire tout ce qui vous passe par les circuits, c'en est presque jouissif !
– Tu as raison, nous n'y arriverons pas ! dit Julia, mettant un terme à l'hilarité de son père.
– En tout cas pas ici. Il nous faut un territoire neutre.
Julien le regarda, perplexe.
– Arrêtons de jouer à cache-cache dans cet appartement, veux-tu ? Même en comptant la pièce à l'étage où tu voulais me ranger, il n'y a pas assez de place et plus assez de ces précieuses minutes que nous gâchons comme deux gosses. Elles ne se renouvelleront pas.
– Qu'est-ce que tu proposes ?
– Un petit voyage. Pas d'appel de tout bureau, pas d'apparition inopinée de tout Adam, pas de soirées à se regarder en chiens de faïence devant la télévision, mais des ballades, où nous parlerons tous les deux, rien qu'à nous deux !
– Tu me demandes de t’offrir ce que toi tu n'as jamais voulu me donner, c'est bien ça ?
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