L’abbé Petitjean et Athanagore marchaient en avant.
— Non, dit-elle. Je ne suis pas spécialement gentille. Vous voulez voir ; comment je suis ?
— Je voudrais, dit Angel.
— Allumez votre briquet.
— Je n’ai pas de briquet.
— Alors, touchez avec vos mains, dit-elle en s’écartant un peu de lui.
Angel posa ses mains sur les épaules droites, et remonta. Ses doigts se promenèrent sur les joues de Cuivre, sur ses yeux fermés et se perdirent dans les cheveux noirs.
— Vous sentez un drôle de parfum, dit-il.
— Quoi ?
— Le désert.
Il laissa retomber ses bras.
— Vous ne connaissez que ma figure… protesta Cuivre.
Angel ne dit rien et ne bougea pas. Elle s’approcha de lui, et jeta de nouveau ses deux bras nus autour du cou d’Angel. Elle lui parlait tout près de l’oreille, sa joue sur celle du garçon.
— Vous avez pleuré.
— Oui, murmura Angel.
Il resta immobile.
— Il ne faut pas pleurer pour une fille. Les filles ne valent pas ça.
— Ce n’est pas pour elle que je pleure, dit Angel. C’est à cause de ce qu’elle était et de ce qu’elle sera.
Il parut se réveiller d’une somnolence lourde, et ses mains se posèrent à la taille de la jeune femme.
— Vous êtes gentille, répéta-t-il. Venez, nous allons les rejoindre.
Elle dénoua son étreinte et le prit par la main. Ils coururent sur le sable des dunes. Dans le noir, ils trébuchaient et Cuivre riait.
L’abbé Petitjean venait d’expliquer à Athanagore comment Claude Léon avait été nommé ermite.
— Vous comprenez, dit-il, que ce garçon ne méritait pas de rester en prison.
— Certainement, dit Athanagore.
— N’est-ce pas, dit Petitjean. Il méritait d’être guillotiné. Mais enfin, l’évêque a le bras long.
— Tant mieux pour Léon.
— Notez que ça ne change pas grand-chose. Être ermite, c’est drôle si on veut. Enfin, ça lui laisse quelques années de répit.
— Pourquoi ? demanda Cuivre qui avait entendu la fin de la phrase.
— Parce qu’au bout de trois ou quatre ans d’ermitage, dit l’abbé, en général on devient fou. Alors, on s’en va droit devant soi, et on tue la première petite fille que l’on rencontre pour la violer.
— Toujours ? dit Angel étonné.
— Toujours, affirma Petitjean. On ne cite qu’un exemple qui fasse exception à la règle.
— Qui était-ce ? dit Athanagore.
— Un type très bien, dit Petitjean. Vraiment un saint. C’est une longue histoire, mais bougrement édifiante.
— Dites-la nous… demanda Cuivre d’un ton persuasif et suppliant.
— Non, dit l’abbé. C’est impossible. C’est trop long. Je vais vous dire la fin. Il est parti droit devant lui et la première petite fille qu’il a rencontrée…
— Taisez-vous, dit Athanagore. C’est horrible !..
— Elle l’a tué, dit Petitjean. C’était une maniaque.
— Oh, soupira Cuivre, c’est atroce. Le pauvre garçon. Comment s’appelait-il ?
— Petitjean, dit l’abbé. Non ! Excusez-moi. Je pensais à autre chose. Il s’appelait Leverrier.
— C’est extraordinaire, remarqua Angel. J’en connaissais un à qui il n’est pas du tout arrivé la même chose.
— Alors, ce n’est pas le même, dit l’abbé. Ou, encore, je suis un menteur.
– Évidemment… dit Athanagore.
— Regardez, dit Cuivre, il y a une lumière pas loin.
— Nous devons être arrivés, proclama Petitjean. Excusez-moi, il faut que j’y aille seul pour commencer. Vous viendrez après. C’est le règlement.
— Il n’y a personne pour contrôler, dit Angel. Nous pourrions vous accompagner.
— Et ma conscience ?… dit Petitjean. Pimpanicaille, roi des papillons…
— En jouant à la balle s’est cassé le menton !.. s’exclamèrent en chœur les trois autres.
— Bon, dit Petitjean. Si vous connaissez le rituel aussi bien que moi, vous pouvez venir tous les trois. Personnellement, je préfère cela, car tout seul, je m’empoisonne.
Il fit un bond considérable, et retomba en tournant sur lui-même, accroupi sur ses talons. Sa soutane, déployée autour de lui, faisait une grande fleur noire que l’on distinguait vaguement sur le sable.
— Cela fait partie du rituel ? demanda l’archéologue.
— Non ! dit l’abbé. C’est un truc de ma grand-mère quand elle voulait pisser sur la plage sans qu’on la remarque. Je dois vous dire que je n’ai pas ma culotte apostolique. Il fait trop chaud. J’ai une dispense.
— Toutes ces dispenses doivent vous alourdir, remarqua Athanagore.
— Je les ai fait reproduire sur micro-film, dit Petitjean. Cela tient en un rouleau de faible volume réel. Il se releva.
— Allons-y.
Claude Léon était installé dans une petite cabane en bois blanc, coquettement aménagée. Un lit de cailloux occupait un angle de la pièce principale et c’était tout.
Une porte menait à la cuisine. Par la fenêtre vitrée, ils aperçurent Claude lui-même, à genoux devant son lit, qui méditait, la tête entre ses mains. L’abbé entra.
— Coucou ! dit-il.
L’ermite releva la tête.
— Mais ce n’est pas encore le moment, dit-il. Je n’ai compté que jusqu’à cinquante.
— Vous jouez à cache-cache, mon fils ? dit Petitjean.
— Oui, mon père, dit Claude Léon. Avec Lavande.
— Ah, dit l’abbé. On peut jouer avec vous ?
— Bien sûr, dit Claude. Il se releva.
— Je vais chercher Lavande et lui dire. Elle sera très contente.
Il passa dans la cuisine. Angel, Cuivre et l’archéologue entrèrent à la suite de l’abbé.
— Vous ne faites pas des prières spéciales quand vous rencontrez un ermite ? s’étonna Cuivre.
— Oh, non, dit l’abbé. Maintenant qu’il est du métier ! C’est bon pour les non initiés, ces trucs-là. Pour le reste, on suit les règles ordinaires.
Léon revenait, suivi d’une négresse ravissante. Elle avait la figure ovale, le nez mince et droit, de grands yeux bleus et une extraordinaire masse de cheveux roux. Elle était vêtue d’un soutien-gorge noir.
— C’est Lavande, expliqua Claude Léon. Oh, dit-il en voyant les trois autres visiteurs, bonjour. Comment allez-vous ?
— Je m’appelle Athanagore, dit l’archéologue. Celui-ci est Angel, et voilà Cuivre.
— Vous jouez à cache-cache ? proposa l’ermite.
— Parlons sérieusement, mon enfant, dit l’abbé. Il faut que je fasse mon inspection. J’ai des questions à vous poser pour mon rapport.
— Nous allons vous laisser, dit Athanagore.
— Pas du tout, dit Petitjean. J’en ai pour cinq minutes.
— Asseyez-vous, dit Lavande. Venez dans la cuisine, on va les laisser travailler.
Sa peau avait exactement la couleur des cheveux de Cuivre, et vice versa. Angel essaya de se représenter le mélange et il eut le vertige.
— Vous l’avez fait exprès, dit-il à Cuivre.
— Mais non, répondit Cuivre. Je ne la connaissais pas.
— Je vous assure, dit Lavande, c’est un hasard.
Ils passèrent dans la cuisine. L’abbé resta seul avec Léon.
— Alors, dit Petitjean.
— Rien à signaler, dit Léon.
— Vous vous plaisez ici ?
– Ça va.
— Où en êtes-vous avec la grâce ?
– Ça va et ça vient.
— Idées ?
— Noires, dit Léon. Mais avec Lavande, c’est excusable. Noires, mais pas tristes. Noires et feu.
— C’est la couleur de l’enfer, dit l’abbé.
— Oui, dit Claude Léon, mais l’intérieur d’elle c’est du velours rose.
— Vrai ?
— La pure vérité.
— Picoti, picota, lève la queue et saute en bas.
— Amen ! répondit l’ermite.
L’abbé Petitjean réfléchissait.
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