Et dans quoi ne l'a-t-on pas cherchée? Se disait Durtal, en compulsant ses notes: dans l'arsenic, le mercure ordinaire, l'étain; dans les sels de vitriol, de salpêtre et de nitre; dans les sucs de la mercuriale, de la chélidoine et du pourpier; dans le ventre des crapauds à jeun, dans les urines humaines, dans les menstrues et le lait des femmes!
Or, Gilles De Rais devait en être là de ses explorations. Il est bien évident qu'à Tiffauges, seul, sans l'aide d'initiés, il était incapable de tenter utilement des fouilles. A cette époque, le centre hermétique était, en France, à Paris où les alchimistes se réunissaient sous les voûtes de Notre-dame et étudiaient les hiéroglyphes du charnier des Innocents et le portail Saint-jacques de la boucherie sur lequel Nicolas Flamel avait, avant sa mort, écrit en de kabbalistiques emblèmes la préparation de la fameuse pierre.
Le Maréchal ne pouvait se rendre à Paris sans tomber dans les troupes anglaises qui barraient les routes; il choisit le moyen le plus simple, il appela les transmutateurs les plus célèbres du Midi et les fit amener, à grands frais, à Tiffauges.
D'après les documents que nous possédons, nous le voyons faire construire le fourneau des alchimistes, l'athanor, acheter des pélicans, des creusets et des cornues. Il établit des laboratoires dans l'une des ailes de son château et il s'y enferme avec Antoine De Palerne, François Lombard, Jean Petit, orfèvre de Paris, qui s'emploient, jours et nuits, à la coction du grand oeuvre.
Rien ne réussit; à bout d'expédients, ces hermétistes disparaissent et c'est alors, à Tiffauges, un incroyable va-et-vient de souffleurs et d'adeptes. Il en arrive de tous les points de la Bretagne, du Poitou, du Maine, seuls ou escortés de noueurs d'aiguillettes et de sorcières. Gilles De Sillé, Roger De Bricqueville, cousins et amis du maréchal, parcourent les environs, rabattent le gibier vers Gilles, tandis qu'un prêtre de sa chapelle, Eustache Blanchet, part en Italie, où les manieurs de métaux abondent.
En attendant, Gilles De Rais, sans se décourager, continue ses expériences qui, toutes, ratent; il finit par croire que décidément les magiciens ont raison, qu'aucune découverte n'est, sans l'aide de Satan, possible.
Et, une nuit, avec un sorcier arrivé de Poitiers, Jean De La Rivière, il se rend dans une forêt qui avoisine le château de Tiffauges. Il demeure, avec ses serviteurs Henriet et Poitou, sur la lisière du bois où le sorcier pénètre. La nuit est lourde et sans lune; Gilles s'énerve à scruter les ténèbres, à écouter le pesant repos de la campagne muette; ses compagnons terrifiés se serrent, l'un contre l'autre, frémissent et chuchotent, au moindre vent. Tout à coup, un cri d'angoisse s'élève. Ils hésitent, s'avancent, en tâtonnant, dans le noir, aperçoivent, en une lueur qui saute, La Rivière, exténué, tremblant, hagard, près de sa lanterne. Il raconte, à voix basse, que le diable a surgi sous la forme d'un léopard, mais qu'il a passé auprès de lui, sans même le regarder, sans rien lui dire.
Le lendemain, ce sorcier prend la fuite, mais un autre arrive. C'est un trompette du nom de Du Mesnil. Il exige que Gilles signe de son sang une cédule dans laquelle il s'engage à donner au diable tout ce qu'il voudra, " hormis sa vie et son âme ", mais bien que pour aider aux maléfices, Gilles consente à faire chanter dans sa chapelle, à la fête de la Toussaint, l'office des damnés, Satan n'apparaît pas.
Le maréchal commençait à douter du pouvoir de ses magiciens, quand une nouvelle opération qu'il tenta le convainquit que parfois le démon se montre.
Un évocateur, dont le nom est perdu, se réunit à Tiffauges, dans une chambre, avec Gilles et de Sillé.
Sur le sol, il trace un grand cercle et commande à ses deux compagnons d'entrer dedans.
Sillé refuse; poigné par une terreur qu'il ne s'explique pas, il se met à frémir de tous ses membres, se réfugie près de la croisée qu'il ouvre, murmure tout bas des exorcismes.
Gilles plus hardi se tient au milieu du cercle; mais, aux premières conjurations, il frissonne à son tour et veut faire le signe de la croix. Le sorcier lui ordonne de ne pas bouger. A un moment, il se sent saisi à la nuque; il s'effare, vacille, supplie Notre-dame la Vierge de le sauver.
L'évocateur, furieux, le jette hors du cercle; il s'élance par la porte, de Sillé, par la fenêtre; ils se retrouvent en bas, restent béants, car des hurlements se dressent dans la chambre où le magicien opère. " un bruit d'épées tombant à coups durs et pressés sur une couette " se fait entendre, puis des gémissements, des cris de détresse, l'appel d'un homme qu'on assassine.
Epouvantés, ils demeurent aux écoutes, puis quand le vacarme cesse, ils se hasardent, poussent la porte, trouvent le sorcier étendu sur le parquet, roué de coups, le front fracassé, dans des flots de sang.
Ils l'emportent; Gilles, plein de pitié, le couche dans son propre lit, l'embrasse, le panse, le fait confesser, de peur qu'il ne trépasse. Il reste quelques jours entre la vie et la mort, finit par se rétablir et il se sauve.
Gilles désespérait d'obtenir du diable la recette du souverain magistère, quand Eustache Blanchet lui annonce son retour d'Italie; il amène le maître de la magie florentine, l'irrésistible évocateur des démons et des larves, François Prélati.
Celui-là stupéfia Gilles. Il avait à peine vingt-trois ans et il était l'un des hommes les plus spirituels, les plus érudits, les plus raffinés du temps. Qu'avait-il fait avant de venir s'installer à Tiffauges et d'y commencer, avec le Maréchal, la plus épouvantable série de forfaits qui se puisse voir? Son interrogatoire dans le procès criminel de Gilles ne nous fournit pas des renseignements bien détaillés sur son compte. Il était né dans le diocèse de Lucques, à Pistoie, avait été ordonné prêtre par l'Evêque D'Arezzo.
Quelque temps après son entrée dans le sacerdoce, il était devenu l'élève d'un thaumaturge de Florence, Jean De Fontenelle, et il avait souscrit un pacte avec un démon nommé Barron.
A partir de ce moment, cet abbé insinuant et disert, docte et charmant, avait dû se livrer aux plus abominables des sacrilèges et pratiquer le rituel meurtrier de la magie noire.
Toujours est-il que Gilles s'éprend de cet homme; les fourneaux éteints se rallument; cette pierre des sages que Prélati a vue, flexible, cassante, rouge, sentant le sel marin calciné, ils la cherchent, à eux deux furieusement, en invoquant l'Enfer.
Les incantations demeurent vaines. Gilles, désolé, les redouble; mais elles finissent par tourner mal; un jour Prélati manque d'y laisser ses os.
Une après-midi, Eustache Blanchet aperçoit, dans une galerie du château, le Maréchal tout en larmes; des plaintes de supplicié s'entendent à travers la porte d'une chambre où Prélati évoque le diable.
– le démon est là qui bat mon pauvre François; je t'en supplie, entre, s'écrie Gilles; mais Blanchet effrayé refuse. Alors Gilles se décide, malgré sa peur; il va forcer la porte quand elle s'ouvre et Prélati trébuche, sanglant, dans ses bras. Il put, soutenu par ses deux amis, gagner la chambre du Maréchal où on le coucha; mais les coups qu'il avait reçus furent si violents qu'il délira; la fièvre s'accrut. Gilles, désespéré, s'installa près de lui, le soigna, le fit confesser, pleura de bonheur, lorsqu'il ne fut plus en danger de mort.
Ce fait qui se renouvelle du sorcier inconnu et de Prélati, dangereusement blessés, en une chambre vide, dans des circonstances identiques, c'est tout de même étonnant, se disait Durtal.
Et les documents qui relatent ces faits sont authentiques; ce sont les pièces mêmes du procès de Gilles; d'autre part, les aveux des accusés, les dépositions des témoins concordent; et il est impossible d'admettre que Gilles, que Prélati, aient menti, car en confessant ces évocations sataniques, ils se condamnaient, eux-mêmes, à être brûlés vifs.
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