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Жорж Санд: Consuelo

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il lui dit en se penchant vers elle avec un mélange de soumission et

d'audace: «Et vous, reine du chant, reine de la beauté, n'avez-vous pas

un regard d'encouragement pour le pauvre malheureux qui vous craint et

qui vous adore?»

La prima-donna, surprise de tant de hardiesse, regarda de près ce beau

visage qu'elle avait à peine daigné apercevoir; car quelle femme vaine

et triomphante daignerait faire attention à un enfant obscur et pauvre?

Elle le remarqua enfin; elle fut frappée de sa beauté: son regard plein

de feu pénétra en elle, et, vaincue, fascinée à son tour, elle laissa

tomber sur lui une longue et profonde oeillade qui fut comme le scel

apposé sur son brevet de célébrité. Dans cette mémorable soirée,

Anzoleto avait dominé son public et désarmé son plus redoutable ennemi;

car la belle cantatrice n'était pas seulement reine sur les planches,

mais encore à l'administration et dans le cabinet du comte Zustiniani.

IV.

Au milieu des applaudissements unanimes, et même un peu insensés, que la

voix et la manière du débutant avaient provoqués, un seul auditeur,

assis sur le bord de sa chaise, les jambes serrées et les mains

immobiles sur ses genoux, à la manière des dieux égyptiens, restait muet

comme un sphinx et mystérieux comme un hiéroglyphe: c'était le savant

professeur et compositeur célèbre, Porpora. Tandis que son galant

collègue, le professeur Mellifiore, s'attribuant tout l'honneur du

succès d'Anzoleto, se pavanait auprès des femmes, et saluait tous les

hommes avec souplesse pour remercier jusqu'à leurs regards, le maître du

chant sacré se tenait là les yeux à terre, les sourcils froncés, la

bouche close, et comme perdu dans ses réflexions. Lorsque toute la

société, qui était priée ce soir-la à un grand bal chez la dogaresse, se

fut écoulée peu à peu, et que les dilettanti les plus chauds restèrent

seulement avec quelques dames et les principaux artistes autour du

clavecin, Zustiniani s'approcha du sévère maestro.

--C'est trop bouder contre les modernes, mon cher professeur, lui

dit-il, et votre silence ne m'en impose point. Vous voulez jusqu'au bout

fermer vos sens à cette musique profane et à cette manière nouvelle qui

nous charment. Votre coeur s'est ouvert malgré vous, et vos oreilles ont

reçu le venin de la séduction.

--Voyons, _sior profesor_, dit en dialecte la charmante Corilla,

reprenant avec son ancien maître les manières enfantines de la _scuola_,

il faut que vous m'accordiez une grâce....

--Loin de moi, malheureuse fille! s'écria le maître, riant à demi, et

résistant avec un reste d'humeur aux caresses de son inconstante élève.

Qu'y a-t-il désormais de commun entre nous? Je ne te connais plus. Porte

ailleurs tes beaux sourires et tes gazouillements perfides.

--Le voilà qui s'adoucit, dit la Corilla en prenant d'une main le bras

du débutant, sans cesser de chiffonner de l'autre l'ample cravate

blanche du professeur. Viens ici, Zoto[1], et plie le genou devant le

plus savant maître de chant de toute l'Italie. Humilie-toi, mon enfant,

et désarme sa rigueur. Un mot de lui, si tu peux l'obtenir, doit avoir

plus de prix pour toi que toutes les trompettes de la renommée.

[1 Contraction d'_Anzoleto_, qui est le diminutif d'_Angelo, Anzolo_ en

dialecte.]

--Vous avez été bien sévère pour moi, monsieur le professeur, dit

Anzoleto en s'inclinant devant lui avec une modestie un peu railleuse;

cependant mon unique pensée, depuis quatre ans, a été de vous faire

révoquer un arrêt bien cruel; et si je n'y suis pas parvenu ce soir,

j'ignore si j'aurai le courage de reparaître devant le public, chargé

comme me voilà de votre anathème.

--Enfant, dit le professeur en se levant avec une vivacité et en parlant

avec une conviction qui le rendirent noble et grand, de crochu et

maussade qu'il semblait à l'ordinaire, laisse aux femmes les mielleuses

et perfides paroles. Ne t'abaisse jamais au langage de la flatterie,

même devant ton supérieur, à plus forte raison devant celui dont tu

dédaignes intérieurement le suffrage. Il y a une heure tu étais là-bas

dans ce coin, pauvre, ignoré, craintif; tout ton avenir tenait à un

cheveu, à un son de ton gosier, à un instant de défaillance dans tes

moyens, à un caprice de ton auditoire. Un hasard, un effort, un instant,

t'ont fait riche, célèbre, insolent. La carrière est ouverte, tu n'as

plus qu'à y courir tant que tes forces t'y soutiendront. Écoute donc;

car pour la première fois, pour la dernière peut-être, tu vas entendre

la vérité. Tu es dans une mauvaise voie, tu chantes mal, et tu aimes la

mauvaise musique. Tu ne sais rien, tu n'as rien étudié à fond. Tu n'as

que de l'exercice et de la facilité. Tu te passionnes à froid; tu sais

roucouler, gazouiller comme ces demoiselles gentilles et coquettes

auxquelles on pardonne de minauder ce qu'elles ne savent pas chanter.

Mais tu ne sais point phraser, tu prononces mal, tu as un accent

vulgaire, un style faux et commun. Ne te décourage pas pourtant; tu as

tous les défauts, mais tu as de quoi les vaincre; car tu as les qualités

que ne peuvent donner ni l'enseignement ni le travail; tu as ce que ne

peuvent faire perdre ni les mauvais conseils ni les mauvais exemples, tu

as le feu sacré ... tu as le génie!... Hélas! un feu qui n'éclairera

rien de grand, un génie qui demeurera stérile ... car, je le vois dans

tes yeux, comme je l'ai senti dans ta poitrine, tu n'as pas le culte de

l'art, tu n'as pas de foi pour les grands maîtres, ni de respect pour

les grandes créations; tu aimes la gloire, rien que la gloire, et pour

toi seul ... Tu aurais pu ... tu pourrais ... Mais non, il est trop tard,

ta destinée sera la course d'un météore, comme celle de....»

Et le professeur enfonçant brusquement son chapeau sur sa tête, tourna

le dos, et s'en alla sans saluer personne, absorbé qu'il était dans le

développement intérieur de son énigmatique sentence.

Quoique tout le monde s'efforçât de rire des bizarreries du professeur,

elles laissèrent une impression pénible et comme un sentiment de doute

et de tristesse durant quelques instants. Anzoleto fut le premier qui

parut n'y plus songer, bien qu'elles lui eussent causé une émotion

profonde de joie, d'orgueil, de colère et d'émulation dont toute sa vie

devait être désormais la conséquence. Il parut uniquement occupé de

plaire à la Corilla; et il sut si bien le lui persuader, qu'elle s'éprit

de lui très sérieusement à cette première rencontre. Le comte Zustiniani

n'était pas fort jaloux d'elle, et peut-être avait-il ses raisons pour

ne pas la gêner beaucoup. De plus, il s'intéressait à la gloire et à

l'éclat de son théâtre plus qu'à toute chose au monde; non qu'il fût

_vilain_ à l'endroit des richesses, mais parce qu'il était vraiment;

fanatique de ce qu'on appelle les _beaux-arts_. C'est, selon moi, une

expression qui convient à un certain sentiment vulgaire; tout italien et

par conséquent passionné sans beaucoup de discernement. Le _culte de

l'art_, expression plus moderne, et dont tout le monde ne se servait pas

il y a cent ans, a un sens tout autre que le _goût des beaux-arts_. Le

comte était en effet _homme de goût_ comme on l'entendait alors,

amateur, et rien de plus. Mais la satisfaction de ce goût était la plus

grande affaire de sa vie. Il aimait à s'occuper du public et à l'occuper

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