Жорж Санд - Consuelo

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qui, par un mouvement instinctif, avait serré l'enfant contre son sein

comme la perdrix cache ses poussins sous son aile à l'approche du vautour;

Consuelo, qui était au théâtre, et qui, le lendemain, pourrait présenter

sous un autre jour ce secret de la comédie que Corilla avait raconté

jusqu'alors à sa manière; Consuelo enfin, qui la regardait avec un mélange

d'effroi et d'indignation, la retint clouée et comme fascinée au milieu de

la chambre.

Cependant la Corilla était une comédienne trop consommée pour perdre

longtemps l'esprit et la parole. Sa tactique était de prévenir une

humiliation par une insulte; et, pour se mettre en voix, elle commença

son rôle par cette apostrophe, dite en dialecte vénitien, d'un ton leste

et acerbe:

«Eh! par Dieu! ma pauvre Zingarella, cette maison est-elle un dépôt

d'enfants trouvés? Y es-tu venue aussi pour chercher ou pour déposer le

tien? Je vois que nous courons mêmes chances et que nous avons même

fortune. Sans doute nos deux enfants ont le même père, car nos aventures

datent de Venise et de la même époque; et j'ai vu avec compassion pour toi

que ce n'est pas pour te rejoindre, comme nous le pensions, que le bel

Anzoleto nous a si brusquement plantés là au milieu de son engagement,

à la saison dernière.

--Madame, répondit Consuelo pâle mais calme, si j'avais eu le malheur

d'être aussi intime avec Anzoleto que vous l'avez été, et si j'avais eu,

par suite de ce malheur, le bonheur d'être mère (car c'en est toujours un

pour qui sait le sentir), mon enfant ne serait point ici.

--Ah! je comprends, reprit l'autre avec un feu sombre dans les yeux; il

serait élevé à la villa Zustiniani. Tu aurais eu l'esprit qui m'a manqué

pour persuader au cher comte que son honneur était engagé à le reconnaître.

Mais tu n'as pas eu le malheur, à ce que tu prétends, d'être la maîtresse

d'Anzoleto, et Zustiniani a eu le bonheur de ne pas te laisser de preuves

de son amour. On dit que Joseph Haydn, l'élève de ton maître, t'a consolée

de toutes tes infortunes, et sans doute l'enfant que tu berces...

--Est le vôtre, Mademoiselle, s'écria Joseph, qui comprenait très-bien

maintenant le dialecte, et qui s'avança entre Consuelo et la Corilla

d'un air à faire reculer cette dernière. C'est Joseph Haydn qui vous le

certifie, car il était présent quand vous l'avez mis au monde.»

La figure de Joseph, que Corilla n'avait pas revue depuis ce jour

malencontreux, lui remit aussitôt en mémoire toutes les circonstances

qu'elle cherchait vainement à se rappeler, et le Zingaro Bertoni lui

apparut enfin sous les véritables traits de la Zingarella Consuelo. Un cri

de surprise lui échappa, et pendant un instant la honte et le dépit se

disputèrent dans son sein. Mais, bientôt le cynisme lui revint au coeur et

l'outrage à la bouche.

«En vérité, mes enfants, s'écria-t-elle d'un air atrocement bénin, je ne

vous remettais pas. Vous étiez bien gentils tous les deux, quand je vous

rencontrai courant les aventures, et la Consuelo était vraiment un joli

garçon sous son déguisement. C'est donc dans cette sainte maison qu'elle

a passé dévotement son temps, entre le gros chanoine et le petit Joseph

depuis un an qu'elle s'est sauvée de Venise? Allons, Zingarella, ne

t'inquiète pas, mon enfant. Nous avons le secret l'une de l'autre, et

l'impératrice, qui veut tout savoir, ne saura rien d'aucune de nous.

--A supposer que j'eusse un secret, répondit froidement Consuelo, il n'est

entre vos mains que d'aujourd'hui; et j'étais en possession du vôtre le

jour où j'ai parlé pendant une heure avec l'impératrice, trois jours avant

la signature de votre engagement, Corilla!

--Et tu lui as dit du mal de moi? s'écria Corilla en devenant rouge de

colère.

--Si je lui avais dit ce que je sais de vous, vous ne seriez point engagée.

Si vous l'êtes, c'est qu'apparemment je n'ai point voulu profiter de

l'occasion.

--Et pourquoi ne l'as-tu pas fait? Il faut que tu sois bien bête!» reprit

Corilla avec une candeur de perversité admirable à voir.

Consuelo et Joseph ne purent s'empêcher de sourire en se regardant; le

sourire de Joseph était plein de mépris pour la Corilla; celui de Consuelo

était angélique et s'élevait vers le ciel.

«Oui, Madame, répondit-elle avec une douceur accablante, je suis telle que

vous dites, et je m'en trouve fort bien.

--Pas trop bien, ma pauvre fille, puisque je suis engagée et que tu ne

l'as pas été! reprit la Corilla ébranlée et un peu soucieuse; on me l'avait

dit, à Venise, que tu manquais d'esprit, et que tu ne saurais jamais faire

tes affaires. C'est la seule chose vraie qu'Anzoleto m'ait dite de toi.

Mais, qu'y faire? ce n'est pas ma faute si tu es ainsi... A ta place

j'aurais dit ce que je savais de la Corilla; je me serais donnée pour

une vierge, pour une sainte. L'impératrice l'aurait cru: elle n'est pas

difficile à persuader... et j'aurais supplanté toutes mes rivales. Mais tu

ne l'as pas fait!... c'est étrange, et je te plains de savoir si peu mener

ta barque.»

Pour le coup, le mépris l'emporta sur l'indignation; Consuelo et Joseph

éclatèrent de rire, et la Corilla, qui, en sentant ce qu'elle appelait dans

son esprit l'impuissance de sa rivale, perdait cette amertume agressive

dont elle s'était armée d'abord, se mit à l'aise, tira une chaise auprès

du feu, et s'apprêta à continuer tranquillement la conversation, afin de

mieux sonder le fort et le faible de ses adversaires. En cet instant elle

se trouva face à face, avec le chanoine, qu'elle n'avait pas encore aperçu,

parce que celui-ci, guidé par son instinct de prudence ecclésiastique,

avait fait signe à la robuste jardinière et à ses deux enfants de se tenir

devant lui jusqu'à ce qu'il eût compris ce qui se passait.

XCIV.

Après l'insinuation qu'elle avait lancée quelques minutes auparavant sur

les relations de Consuelo avec le gros chanoine, l'aspect de ce dernier

produisit un peu sur Corilla l'effet de la tête de Méduse. Mais elle

se rassura en pensant qu'elle avait parlé vénitien, et elle le salua en

allemand avec ce mélange d'embarras et d'effronterie qui caractérise le

regard et la physionomie particulière de la femme de mauvaise vie.

Le chanoine, ordinairement si poli et si gracieux dans son hospitalité,

ne se leva pourtant point et ne lui rendit même pas son salut. Corilla,

qui s'était bien informée de lui à Vienne, avait ouï dire à tout le

monde qu'il était excessivement bien élevé, grand amateur de musique, et

incapable de sermonner pédantesquement une femme, une cantatrice surtout.

Elle s'était promis de l'aller voir et de le fasciner pour l'empêcher de

parler contre elle. Mais si elle avait dans ces sortes d'affaires le genre

d'esprit qui manquait à Consuelo, elle avait aussi cette nonchalance et ce

décousu d'habitudes qui tiennent au désordre, à la paresse, et, quoique

ceci ne paraisse pas venir à propos, à la malpropreté. Toutes ces pauvretés

s'enchaînent dans la vie des organisations grossières. La mollesse du corps

et de l'âme rendent impuissants les effets de l'intrigue, et Corilla,

qui avait l'instinct de toutes les perfidies, avait rarement l'énergie de

les mener à bien. Elle avait donc remis d'un jour à l'autre sa visite au

chanoine, et quand elle le trouva si froid et si sévère, elle commença à se

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