J'ai également revu Charles Il n'avait été fait prisonnier qu'en 1944, non loin de chez lui, dans les montagnes des Vosges ou il avait pns le maquis, et n'avait donc passé qu'un mois au Lager, mais ces mois de souffrances et les choses atroces auxquelles il avait assiste I avaient profondement marqué, et lui avaient ôte la joie de vivre et la volonté de se construire un avenir Revenu dans son pays après un voyage comparable à celui que j'ai raconte dans la Trêve , il a repris son métier d'instituteur dans la minuscule école de son village où, il y a peu de temps encore, il apprenait aux enfants, entre autres, à élever des abeilles et à cultiver des pépinières de sapins et de pins Depuis quelques années, il est a la retraite, il a récemment épouse une collègue d'un certain âge, et ensemble ils se sont construit une maison neuve, petite mais confortable et agréable Je suis aile les voir deux fois, en 1951 et en 1974 A cette dernière occasion, il m'a donné des nouvelles d'Arthur, qui habite dans un village voisin, il est vieux et malade, et ne désire pas recevoir de visites qui puissent réveiller en lui d'anciennes angoisses
Mes retrouvailles avec Mendi, le «rabbin moderniste» évoqué en quelques lignes p 73 et 111, ont été dramatiques, imprévues, et pleines de joie pour tous deux Mendi s'est reconnu en lisant par hasard, en 1965, la traduction allemande de ce livre il se souvenait de moi et m'a écrit une longue lettre adressée à la Communauté Israélite de Turin Nous nous sommes alors écrit régulièrement, en nous tenant mutuellement informés de ce qu'étaient devenus nos amis communs En 1967, je suis allé le trouver a Dortmund, en Allemagne fédérale, ou il était alors rabbin, j'ai retrouvé le même homme, «tenace, courageux et fin», et extraordinairement cultivé Il a épousé une ancienne déportée d'Auschwitz et a maintenant trois grands enfants toute la famille a I intention d'aller s'installer en Israël
Je n'ai jamais revu le Doktor Pannwitz, le chimiste qui m'avait fait passer un odieux «examen d'Etat», mais j'ai eu de ses nouvelles par l'intermédiaire de ce Doktor Muller à qui j'ai consacre le chapitre Vanadium de mon livre le Système périodique [24] Alors que l arrivée de l Armée Rouge était imminente, il s est conduit avec arrogance et lâcheté après avoir ordonné à ses collaborateurs civils de résister a outrance et leur avoir interdit de monter sur le dernier train en partance pour l'arriére, il y est lui- même monte au dernier moment, à la faveur de la confusion générale Il est mort en 1946 d'une tumeur au cerveau
7. Comment s'explique la haine fanatique des nazis pour les juifs?
L aversion pour les juifs, improprement appelée antisémi- tisme, n'est qu'un cas particulier d'un phénomène plus gênerai, à savoir 1 aversion pour ce qui est différent de nous Indubitablement il s agit à Pongine d'un phénomène zoologique les animaux d'une même espèce, mais appartenant a des groupes différents, manifestent entre eux des réactions d intolérance Cela se produit également chez les animaux domestiques il est bien connu que si on introduit une poule provenant d un certain poulailler dans un autre poulailler, elle est repoussee à coups de bec pendant plusieurs jours On observe le même comportement chez les rats et les abeilles, et en gênerai chez toutes les espèces d'animaux sociaux Il se trouve que l'homme est lui aussi un animal social (Anstote 1 avait déjà dit), mais que deviendrait-il si toutes les impulsions animales qui subsistent en lui devaient être tolérées ' Les lois humaines servent justement à ceci limiter l'instinct animal
L antisémitisme est un phénomène typique d'intolérance Pour qu une intolérance se manifeste, il faut qu il y ait entre deux groupes en contact une différence perceptible ce peut être une différence physique (les Noirs et les Blancs, les bruns et les blonds), mais notre civilisation compliquée nous a rendus sensibles a des différences plus subtiles, comme la langue ou le dialecte, ou même 1 accent (nos Méridionaux contraints à emi grer dans le Nord en savent quelque chose), ou bien la religion avec toutes ses manifestations extérieures et sa profonde influence sur la manière de vivre, ou encore la façon de s nabiller et de gesticuler, les habitudes publiques et privées L histoire tourmentée du peuple juif a voulu que presque partout les juifs aient manifeste une ou plusieurs de ces différences
Dans l'enchevêtrement si complexe des nations et des peuples en lutte, l'histoire du peuple juif présente des caractéristiques particulières Il était (et est encore en partie) dépositaire de liens internes très étroits, de nature religieuse et traditionnelle, aussi, en dépit de son infériorité numérique, le peuple juif s'opposa-t-il avec un courage désespère à la conquête romaine, vaincu, il fut déporté et disperse, mais les liens internes subsistèrent Les colonies juives qui se formèrent alors peu a peu, d'abord sur les côtes méditerranéennes, puis au Moyen-Orient, en Espagne, en Rhénanie, en Russie méridionale, en Pologne et ailleurs, restèrent toujours obstinément fidèles a ces liens qui s étaient peu à peu renforces sous la forme d'un immense corpus de lois et de traditions écrites, d une religion strictement codifiée et d'un rituel particulier qui se manifestait de manière ostensible dans tous les actes quotidiens Les juifs, en minorité dans tous les endroits ou ils se fixaient, étaient donc différents, reconnaissables comme différents, et souvent orgueilleux (à tort ou à raison) de cette différence tout cela les rendait très vulnérables, et effectivement ils furent durement persécutes, dans presque tous les pays et à presque tous les siècles, un petit nombre d entre eux réagit aux persécutions en s'assimilant, en s incorporant à la population autochtone, la plupart emigrèrent à nouveau vers des pays plus hospitaliers Et ce faisant, ils renouvelaient leur «différence», s'exposant à de nouvelles restrictions et à de nouvelles persécutions
Bien qu'il soit dans son essence un phénomène irrationnel d'intolérance, dans tous les pays chrétiens et a partir du moment ou le christianisme commença à se constituer comme religion d'Etat, l'antisémitisme prit une forme principalement religieuse, et même theologique Si l'on en croit saint Augustin, c'est Dieu lui même qui condamne les juifs a la dispersion, et cela pour deux raisons comme punition pour n'avoir pas reconnu le Messie dans la personne du Christ, et parce que leur présence dans tous les pays est nécessaire a l'Eglise catholique, elle aussi présente partout, afin que partout les fidèles aient sous les yeux le spectacle du malheur mente des juifs C'est pourquoi la dispersion et la séparation des juifs ne doivent pas avoir de fin par leurs souffrances, ils doivent témoigner pour I éternité de leur erreur, et par conséquent de la venté de la foi chrétienne Aussi, puisque leur présence est nécessaire, doivent ils être persécutes, mais non tues
Toutefois l'Eglise ne s'est pas toujours montrée aussi modérée des les premiers siècles du christianisme les juifs eurent à subir une accusation bien plus grave, celle d être, collectivement et éternellement, responsables de la crucifixion du Christ, d'être en somme le «peuple déicide» Cette formule, qui apparaît dans la liturgie pascale en des temps recules, et qui n a ete supprimée que par le concile Vatican II (1962-1965), a alimenté des croyances populaires aussi funestes que tenaces que les juifs empoisonnent les puits pour propager la peste, qu'ils ont pour habitude de profaner l'Hostie consacrée, qu a Pâques, ils enlèvent des enfants chrétiens et qu'ils pétrissent le pain azyme avec leur sang Ces croyances ont servi de prétexte a de nombreux massacres sanglants, et entre autres à l'expulsion massive des juifs, d'abord de France et d'Angleterre, puis (1492-1498) d'Espagne et du Portugal
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