L'Homme, Erik - Car nos Coeurs sont hantés
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- Название:Car nos Coeurs sont hantés
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Érik L’Homme
Car nos cœurs sont hantés
A comme Association, tome 7
Éditions Gallimard Jeunesse, 2012
Prologue
13, rue du Horla – Troisième étage / Appartement de mademoiselle Rose
— Tu as une tête horrible, sorcière. Tu aurais dû dormir, au lieu de faire les cent pas toute la nuit.
— Ce que je fais de mes nuits ne te regarde pas, démon. Quant à ma tête, si elle te déplaît, je peux toujours ranger dans un placard le miroir qui te sert de prison, comme ça tu ne la verras plus !
— Je retire ce que j’ai dit à propos de ta tête. Je m’ennuie déjà à mourir, alors quitter le mur de ta cuisine pour l’obscurité d’une étagère… Je préfère ne pas y penser !
— Penses-y, au contraire. Ça t’évitera des problèmes. Je ne suis pas d’humeur à supporter tes sarcasmes.
— J’en prends bonne note, sorcière. Alors ?
— Alors quoi ? Tu veux toujours savoir ce que j’ai fait de ma nuit ?
— Oh, oui ! Nous vivons un moment historique : la débâcle de l’Association. Je ne veux pas en perdre une miette !
— Débâcle ?
— Des Anormaux surexcités partout en ville, des vampires qui s’allient avec des loups-garous, des chamanes qui courent la banlieue, la disparition – que dis-je, la fuite ! – de Walter, et puis le meurtre du Sphinx. Tu appelles ça comment ?
— Le placard n’est pas une mauvaise idée, en fait…
— D’accord, je retire le mot « débâcle » ! Parlons plutôt de mauvaise passe. Allez, sorcière, dis à ton démon préféré ce que tu as sur le cœur… C’est toujours Jasper, pas vrai ? Tu t’obstines à le croire coupable de la mort du Sphinx ?
— Cette attente me ronge ! Presque autant que l’incertitude… Moi qui étais la patience incarnée ! Impossible de rester à mon poste, à côté du bureau désespérément vide de Walter.
— Alors tu es montée ici.
— Non. Je suis descendue. Jusqu’à l’armurerie.
— Préférant la présence d’un mort à l’absence d’un vivant !
— Tu ne crois pas si bien dire, démon. Plongée dans la pénombre, l’armurerie ressemble à un tombeau. Les énormes papillons orphelins qui volettent, affolés, au milieu des rayonnages, ont des airs de chauves-souris.
— Un vrai pèlerinage. Comme c’est touchant !
— Je me suis promenée parmi les inventions et les machines infernales du Sphinx. Je voyais sa silhouette massive fureter dans cette salle dont il a été le gardien pendant vingt-cinq ans. J’avais l’impression que c’était hier…
— Tu viens de décrire l’éternité. Et je sais de quoi je parle !
— Pour moi, l’éternité ressemble davantage à un moment qui s’étire à l’infini.
— Peut-être. Après tout, chacun appréhende l’éternité à sa manière. Comment le Sphinx est-il arrivé rue du Horla ? Si ce n’est pas un secret d’État…
— Ça en serait un que ça ne changerait rien. Emprisonné dans ce morceau de métal et de verre, à qui irais-tu répéter les confidences que je te fais ? Le Sphinx a débarqué, un jour, de nulle part. Il était simplement recommandé par le bureau de l’Association en Suisse. L’antenne française se réorganisait avec l’arrivée de Walter. J’étais la plus ancienne, celle qui avait connu l’époque d’Edgar, son prédécesseur.
— Edgar. Ridicule ! Ça sonne comme un nom de vampire. Je n’en ai jamais entendu parler.
— Ça n’a rien d’étonnant. Le slogan d’Edgar était : « pas de vague ». Son attentisme a d’ailleurs été récompensé puisqu’il a été promu au bureau de New York. Au début, avec son obsession pour la discrétion, Walter semblait suivre le même chemin. Je me trompais : les opérations de terrain, au contraire, se sont intensifiées. Et le recrutement s’est accéléré. D’une gestion passive de l’Association, nous avons rapidement évolué vers une organisation active. Réparer les incidents n’était plus une priorité ; nous avons œuvré pour les éviter.
— Comment ?
— En rencontrant les Anormaux et en tissant des liens avec les plus influents d’entre eux. En faisant comprendre aux agités que calme et discrétion étaient des qualités que nous appréciions.
— C’est le Sphinx qui se chargeait du… contact ?
— Walter gérait le recrutement des futurs Agents. Je travaillais à l’administration et à la résolution des crises. Le Sphinx occupait le terrain et restait proche des Créatures. Notre trio fonctionnait bien ! Si les interventions directes du Sphinx sont devenues de plus en plus rares, si Walter et moi-même sortions de moins en moins de notre bureau, quelque chose nous soudait – au-delà de tout ce que nous avions vécu et partagé.
— Quoi donc, sorcière ?
— Une forme de paix intérieure, démon. La certitude que nous faisions du bon travail et que les êtres malfaisants comme toi se tenaient tranquilles.
— Malfaisant. Comme tu y vas ! Ce n’est quand même pas ma faute si je suis un démon ! J’obéis à ma nature, c’est tout.
— Comme tu le disais, chacun ressent les choses à sa manière.
— Parle-moi encore du Sphinx.
— Il y aurait trop à dire, démon.
— Tu étais amoureuse de lui ?
— Hein ?
— De Walter, peut-être ?
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— C’est inévitable. Je ne suis pas seul à dépendre de ma nature ! Une femme est conçue pour tomber amoureuse.
— Je vois que tu t’y connais en psychologie humaine !
— Pas d’ironie, sorcière. J’ai touché juste.
— Quoi qu’il en soit, ça ne te regarde pas.
— Mais ça m’intéresse au plus haut point !
— Est-ce que tu sais, démon, que notre monde se divise en deux catégories de créatures ?
— Je l’ignorais. Dis-m’en plus !
— Il y a celles qui sont dans les miroirs et celles qui sont devant. Généralement, celles qui sont dedans se tiennent à carreau sinon celles qui sont devant les enferment dans un placard.
— Ah ah ! Très drôle.
— Je ne plaisante pas, démon. D’autant que l’équipe d’Auxiliaires que j’ai envoyés avenue Mauméjean ne donnent aucune nouvelle.
— Cela voudrait dire…
— Qu’ils ont eu un problème.
— Jasper ?
— Ou le chamane sibérien. Dans tous les cas, je vais devoir envoyer un commando de secours.
— Pourquoi tu ne me laisses pas te servir d’éclaireur ? Libère-moi et j’irai chercher, avec célérité et loyauté, la réponse aux questions qui te taraudent !
— Loyauté, démon ? Un mot que toi et les tiens connaissez bien mal ! J’ai très envie de t’envoyer méditer dessus dans la pénombre propice d’un placard…
— Inutile, c’était une mauvaise idée, je le reconnais ! Au fait, sorcière, je t’ai dit que je te trouvais très en beauté ce matin ? Un nouveau maquillage, une crème de jour, un sortilège ? Non, reviens ! Tu sais bien que je n’aime pas rester seul ! Je m’ennuie tellement…
1
La sonnerie du réveil me tire brutalement d’un sommeil lourd comme une blague de Walter. Qu’est-ce qui m’a pris de régler le volume si fort ?
Je me redresse dans mon duvet.
La corne de brume qui m’arrache les tympans ne semble pas déranger Nina qui dort toujours, roulée dans la couette comme une endive dans une tranche de jambon (où est-ce que je vais chercher des images pareilles ? C’est sûrement la faim qui me tenaille – ou qui me pince : en matière culinaire, je ne suis pas regardant sur le choix des outils).
Je jette un regard embrumé sur les chiffres du cadran : il est six heures du matin.
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