– Et quel est ce remède dont vous allez essayer?
– Oh! mon Dieu, il n’est pas nouveau, monsieur le comte, car il date de deux mille cinq cents ans. Vous connaissez l’histoire de Stratonice et du jeune Démétrius, n’est-ce pas?
– Oui.
– Eh bien, nous ferons passer devant le malade l’objet de sa passion, et, comme, à ce qu’on assure, la dame n’est pas d’une vertu farouche, nous serons bien malheureux si elle ne guérit point le mal qu’elle a fait.
– Mais cette femme, cette femme, continua M. de Montgiroux, comment l’appelle-t-on?
– Oh! mon Dieu, reprit madame de Barthèle, je crois que ces messieurs me l’ont dit; mais je vous avoue que je ne me le rappelle plus.
– Maintenant de quelle façon opérerez-vous cette cure? Maurice, d’après ce que vous me dites, est trop faible pour aller chez elle.
– Eh bien, dit madame de Barthèle, elle viendra ici, voilà tout.
– Quoi! cette femme dont vous ne connaissez pas le nom?…
– Elle peut s’appeler comme il lui plaira, pourvu qu’elle rende la vie à mon fils, voilà tout ce que je lui demande.
– Mais que dira le monde en vous voyant recevoir chez vous une demoiselle de cette espèce?
– Le monde dira ce qu’il voudra; d’ailleurs, est-ce que le monde lit les ordonnances des médecins et s’occupe des drogues qui entrent dans une potion calmante? Nous agissons par ordonnance du docteur. Nous n’avons plus d’autres volontés que celles de la science. Le monde ne me rendra pas mon fils, mon cher comte, et la belle inconnue me le rendra; voilà qui répond à tout.
– Mais, au contraire, cela ne répond à rien, reprit le comte. Encore une fois, songez à ce qu’on peut penser, à ce qu’on va dire.
– On ne dira rien, on ne pensera rien du moment que je suis là, moi. J’ai, Dieu merci, quelque autorité. Mon fils est mourant, on respectera ma douleur.
– Les mauvais plaisants ne respectent rien.
– Je leur imposerai silence.
– Ainsi, c’est une résolution prise?
– Irrévocablement.
– Et que le docteur approuve?
– Non-seulement je l’approuve, dit celui-ci, mais je la conseille, et, au besoin, je l’ordonne.
– Alors je n’ai plus rien à dire, reprit le comte, si ce n’est qu’il faut éloigner Clotilde.
– Malheureusement, Clotilde s’est déjà prononcée là-dessus; elle consent à tout, mais à la condition qu’elle restera.
– Ainsi, ma nièce se trouvera sous le même toit que cette femme?
– Je m’y trouve bien, moi, monsieur!
– Alors, n’en parlons plus, puisqu’il faut toujours faire ce que vous voulez; seulement, quel jour cette scène dramatique doit-elle avoir lieu?
– Dans quel but me faites-vous cette question?
– Dans le but de rester à Paris ce jour-là, voilà tout.
– Eh bien, ce jour-là est aujourd’hui, et je ne vous ai pas envoyé chercher à d’autre fin que de vous avoir près de nous, au contraire, dans cette grave circonstance.
– Mais, madame, s’écria le comte, songez donc qu’il m’est impossible; avec mon caractère… justiciable comme je le suis de l’opinion publique…
– Silence! dit la baronne, voici Clotilde.
En effet, en ce moment même, la jeune femme ouvrait la porte du salon.
Clotilde venait annoncer à son oncle que Maurice était réveillé et qu’il pouvait entrer dans la chambre du malade. M. de Montgiroux jeta sur elle un coup d’œil rapide: Clotilde était pâle, mais elle paraissait calme et résignée.
En apprenant la cause secrète de la maladie de Maurice, madame de Barthèle et Clotilde, l’une dans un premier mouvement d’amour maternel, l’autre dans un élan de dévouement conjugal, avaient pris la résolution que nous avons dite, résolution que, dans l’inflexibilité de son devoir, qui veut d’abord qu’à quelque prix que ce soit le médecin sauve le malade, le docteur leur avait suggérée. Cette résolution était l’effet d’un sentiment trop naturel et trop légitime pour qu’elles songeassent un seul instant, l’une ou l’autre, au ridicule de la situation dans laquelle la présence d’une femme qui avait été la maîtresse de Maurice allait les placer. Mais M. de Montgiroux, qui, comme on a dû le remarquer, n’était pas l’homme du premier mouvement, avait entrevu tout de suite ce que l’admission d’une femme galante dans la maison de sa nièce avait d’irrégulier et de choquant; en outre, je ne sais quelle inquiétude le préoccupait à l’endroit de cette femme, et lui faisait désirer de ne pas se rencontrer avec elle en présence de la baronne surtout: il avait donc voulu fuir, et madame de Barthèle, usant de sa vieille autorité, l’avait retenu. Le comte, ennemi de toute lutte, cédait avec une sorte d’hésitation craintive; un vague pressentiment lui disait tout bas qu’il devait être mêlé pour quelque chose dans toute cette aventure, et madame de Barthèle allait peut-être avoir elle-même une révélation de ce qui se passait dans l’esprit du noble pair, lorsque Clotilde vint interrompre leur entretien, qui commençait à prendre une chaleur indiscrète.
Elle venait, comme nous l’avons dit, annoncer à son oncle que Maurice était réveillé, et qu’il pouvait entrer auprès du malade.
Madame de Barthèle et M. de Montgiroux se levèrent aussitôt et suivirent Clotilde.
Le comte montait l’escalier en cherchant dans son esprit par quel moyen il pourrait sortir d’embarras, lorsque tout à coup, dirigeant au travers d’une fenêtre, ses regards sur la cour, madame de Barthèle s’écria:
– Ah! voici M. Fabien de Rieulle; nous allons savoir quelque chose de nouveau.
– En effet, Fabien entrait dans la cour, à pic sur un tilbury.
– En ce cas, ma chère enfant, dit M. de Montgiroux en s’arrêtant sous l’impression spontanée d’une terreur dont il ne pouvait pas se rendre compte, retourne auprès de ton mari; dans un instant je suis près de toi; mais, comme madame de Barthèle, j’ai hâte de savoir quelle nouvelle nous apporte ce monsieur.
Et il s’élança après la baronne, afin de ne point la laisser un instant seule avec le nouveau venu.
Ce nouveau venu, sur lequel force nous est de jeter les yeux, tandis qu’il saute légèrement de son tilbury et qu’il monte les marches du perron en rajustant le léger désordre qu’une course rapide avait amené dans sa toilette, était un jeune homme de vingt-sept à vingt-huit ans, beau garçon dans toute l’acception du mot, et qui, à des yeux superficiels, pouvait passer pour un homme d’une suprême élégance. C’était, comme nous l’avons dit, l’ami ou plutôt le compagnon de Maurice; car, lorsque nous aurons à mettre ce dernier en scène, nous essayerons de démontrer quelle nuance imperceptible aux regards vulgaires creusait cependant un abîme entre ces deux hommes.
Grâce à l’empressement de M. de Montgiroux, et à sa connaissance des localités, il put entrer par une porte tandis que Fabien entrait par l’autre.
– Eh bien, mon cher monsieur de Rieulle, dit la mère de Maurice, que venez-vous nous apprendre? Parlez, parlez!
Mais, comme le jeune homme ouvrait la bouche pour répondre, il reconnut M. de Montgiroux.
Madame de Barthèle s’aperçut qu’à cette vue une légère hésitation se peignait sur la figure de Fabien.
– Oh! cela ne fait rien, dit-elle; parlez, parlez! M. de Montgiroux est du complot.
Fabien regarda M. de Montgiroux, et son hésitation parut se changer en étonnement. Quant à l’homme d’État, ne voulant pas compromettre la gravité de son caractère, il se contenta de faire un mouvement de tête en signe d’adhésion.
– Eh bien, madame, répondit Fabien, tout a réussi selon vos désirs et selon nos espérances: la personne en question accepte la partie de campagne.
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