À sa droite, il avait le dauphin de France, à sa gauche, le duc d’Orléans.
Derrière le dais, venaient Nevers, Vendôme, Lorraine, Albe, Egmont, puis le Commandeur don Sanche d’Ulloa, puis une foule de seigneurs français entourant et fêtant de leur mieux les seigneurs espagnols de l’escorte.
À droite du Commandeur Ulloa, chevauchait Amauri, comte de Loraydan…
Nous l’avons vu, ce personnage, nous l’avons vu sortir de Paris pour se rendre à Poitiers, et suivre pas à pas Clother de Ponthus jusqu’au castel situé aux abords de Brantôme…
Nous avons assisté au marché conclu avec les deux sacripants de grande route: Jean Poterne et Bel-Argent…
Qu’avait fait Amauri de Loraydan depuis la minute où il paya douze cents livres ces deux braves qui s’étaient chargés d’occire en douceur et sans trop le faire crier, le sire Clother de Ponthus?
Loraydan avait de la bravoure. Pauvre, il se fût battu avec Clother jusqu’à ce qu’il le tuât ou en fût tué… Mais Loraydan était devenu riche! Loraydan avait reçu cent mille livres de Turquand! Loraydan avait reçu de François I erformelle promesse d’une haute charge à la cour… peut-être celle de Montmorency lui-même… la charge de grand-maître! Loraydan voyait s’ouvrir devant lui une vie de luxe, de puissance et de splendeur!…
Il résultait de tout cela que Loraydan voulait vivre!
Vivre pour être admiré!
Vivre pour dominer!
Vivre pour posséder Bérengère!…
Richesse, gloire, amour… les pôles magnétiques vers quoi se tendent les espoirs de l’homme!
Ayant payé douze cents livres le meurtre de Clother, Loraydan voulut s’assurer que les deux malandrins étaient d’honnêtes gens capables de gagner scrupuleusement leur argent. Il s’éloigna, revint, repartit pour revenir encore, – bref, pendant deux jours, il rôda autour de la seigneurie des Ponthus.
Le soir du deuxième jour, sur la route, devant l’auberge même où avait eu lieu l’attaque, il rencontra Jean Poterne. D’un sombre regard, il interrogea le truand. Simplement, Jean Poterne répondit:
– C’est fait, monseigneur!
Loraydan tressaillit et pâlit un peu. Peut-être était-ce le remords, ou peut-être la joie d’être débarrassé à jamais de cet homme qu’il haïssait de toute son âme haineuse et qui lui avait prouvé à l’hôtel d’Arronces qu’il lui serait un redoutable adversaire. Il murmura:
– Donc, ce jeune gentilhomme…
– Clother, sire de Ponthus est mort! dit Jean Poterne.
Loraydan demeura pensif une minute, puis demanda:
– Comment cela s’est-il fait?
Poterne haussa les épaules, et d’un geste inconsciemment tragique montra sa dague… sa dague non essuyée… sa dague tachée de plaques brunes:
– Voici le sang de Ponthus… que vous faut-il de plus?
Loraydan détourna la tête, et dit:
– Donc… il est mort?
– Très mort. Il est impossible d’être plus mort. Le pauvre sire a déguerpi de ce monde sans avoir eu le temps de dire amen, vu que du premier coup la dague que voici l’a mordu au cœur.
– Qu’avez-vous fait du cadavre?
Poterne, encore, haussa les épaules. Vaguement, il désigna une lande:
– Il dort… par là… Exactement où? Je ne sais trop… Il faisait nuit noire.
Et rudement, Poterne tendit sa main dans laquelle Amauri de Loraydan laissa tomber quelques pièces d’argent, ce qui était une façon de témoigner sa satisfaction.
Puis ils se séparèrent, – Loraydan prenant une bonne fois la route de Poitiers, et Poterne s’en allant retrouver son compagnon Bel-Argent pour combiner quelque nouvel affût.
On sait ce qu’il advint plus tard de Jean Poterne qui eut le tort de se heurter à l’épée de don Juan Tenorio. On sait ce qu’il advint de Clother de Ponthus qui se trouva, tout compte fait, un peu moins mort que ne l’avait prétendu Poterne. On sait ce qu’il advint de Bel-Argent qui, de truand, se fit tout à coup honnête homme, croyant peut-être, au fond, que c’est un métier plus lucratif.
Quant au comte de Loraydan, il parvint sans encombre en la bonne ville de Poitiers et s’installa tranquillement pour y attendre la venue de Charles-Quint et entreprendre auprès du Commandeur d’Ulloa la besogne dont l’avait chargé le roi François I er.
Loraydan ignorait le remords: c’était une de ces âmes fortement trempées qui se refusent aux sentiments inutiles. Il pensait bien parfois à Clother, mais c’était pour se dire:
– Quand je verrai Bérengère, je lui apprendrai tout d’abord la mort de cet homme. Elle saura aussi que tout ce qui fait obstacle à un Loraydan est condamné. Par Dieu! Ce misérable aimait celle que j’aime!… Tant pis!… C’était un rude jouteur… Il m’eût tué…
Et à chaque fois qu’il songeait à ce duel du clos d’Arronces, où Clother, par deux fois, l’avait tenu à sa merci, Loraydan poussait un soupir de soulagement.
Plus jamais il ne reverrait la pointe de l’épée de Ponthus! Plus jamais il ne retrouverait ce Clother aux abords du logis Turquand! Pour toujours, il s’en était débarrassé!…
Mais alors, sur ce sombre esprit, s’érigeait l’image de l’autre rival… de celui qu’il ne pourrait ni tuer, ni faire tuer moyennant douze cents livres… de celui qui pouvait d’un signe l’écraser, lui, le faire jeter dans un cachot ou le livrer au bourreau… l’autre rival! le roi François!…
Et alors Amauri grinçait des dents, alors la jalousie le torturait, alors des plans insensés s’échafaudaient dans sa pensée pour s’écrouler d’eux-mêmes, comme ces nuages de tempête qui escaladent un pan de ciel et retombent.
– S’il le faut, je le tuerai!… Oui, par l’enfer, je tuerai ce roi fourbe, ce roi félon, s’il ose…
S’il le faut!…
Pour faire tuer Clother, Loraydan n’avait pas dit: S’il le faut! Il avait donné l’ordre, il avait payé, c’est tout!
– Celui-là, du moins, est pour toujours hors de mon chemin!
Charles-Quint, de même que dans toutes les villes où il s’arrêta, fut reçu en grande pompe. Il y eut des fêtes d’un luxe éblouissant, il y eut des dîners somptueux, dont s’étonnaient ces braves Espagnols habitués à de plus sobres chères, il y eut une belle passe d’armes. Amauri de Loraydan s’attacha au Commandeur d’Ulloa, et il faut lui rendre cette justice qu’il exécuta si soigneusement les ordres du roi que le vieux Sanche finit par ne plus ne pouvoir se passer de lui, et un beau soir, comme on avait quitté Poitiers depuis plusieurs jours, et qu’on approchait de Paris:
– Eh bien, oui, mon cher comte, dit le Commandeur, je suis de votre avis: le Milanais doit faire retour à la couronne de France!
Un flot de joie puissante monta au cerveau de Loraydan.
– Si je réussis dans cette mission, songea-t-il, la reconnaissance du roi sera telle que je pourrai lui demander de renoncer à Bérengère! Monseigneur, dit-il, puisque telle est votre conviction, me promettez-vous de l’exposer à Sa Majesté l’empereur?
– Sans aucun doute, répondit paisiblement Ulloa. Au premier conseil qui se tiendra à Paris, je dirai tout franc à Sa Majesté qu’il doit rendre le duché de Milan au roi François. C’est un devoir pour moi de parler ainsi.
– Vous ferez cela à Paris?
– À Paris, oui, mon brave ami!
– Dès le premier conseil?
– Dès le premier conseil, je vous en donne l’assurance.
– Monseigneur, murmura Loraydan enivré, si vous faites cela, vous pourrez me demander ma vie!
Le Commandeur serra Loraydan dans ses bras avec un attendrissement tout paternel.
– Comme il aime son roi! songea-t-il. Comme il se dévoue pour les intérêts de son pays! Quel noble cœur! Et comme ma Léonor sera heureuse auprès d’un tel époux!
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