– Et il n’y en a jamais eu! cria la reine mère.
Il serait difficile de donner une idée exacte de la stupéfaction qui se peignit sur le visage des gentilshommes tant guisards que royalistes, lorsque le duc de Guise eut achevé de parler. Pour les uns, c’était l’effondrement subit, inexplicable et inexpliqué d’une conspiration qui durait depuis quinze ans. Pour les autres, c’était une instinctive méfiance devant une attitude si nouvelle chez l’orgueilleux duc.
Une vingtaine seulement des plus intimes du duc de Guise demeurèrent parfaitement calmes. Ceux-là savaient à quoi s’en tenir. Quant à Henri III, s’il fut étonné, joyeux ou non, nul ne put le savoir, car son visage demeura impénétrable. Seulement, il regarda sa mère qui lui fit un signe et qui dit:
– Voilà de nobles paroles que vient de prononcer là notre cousin… Quel dommage qu’une scène aussi attendrissante n’ait pas le seigneur Dieu pour témoin!…
Le roi était dès longtemps habitué à comprendre sa mère à demi-mot. Se levant donc et se campant le poing sur la hanche, par une attitude qui lui était naturelle, il dit:
– Monsieur le duc, seriez-vous disposé à répéter ces paroles devant le Saint-Sacrement?
Le duc eut une hésitation inappréciable, puis répondit:
– Certainement, sire! Quand Votre Majesté voudra…
– Ainsi, vous seriez prêt à faire serment de réconciliation et de bonne amitié, sur le Saint-Sacrement exposé à l’autel?…
– Je suis prêt, sire… Dès que nous serons rentrés à Paris, s’il plaît à Votre Majesté, nous irons à Notre-Dame, et…
– Monsieur le duc, interrompit le roi, il y a partout des autels, et partout on trouve Dieu quand on le cherche. La cathédrale de Blois me paraît tout aussi favorable que Notre-Dame pour un tel serment…
– Je ne demande pas mieux, sire… Quand Votre Majesté voudra… dès demain…
– Demain!… qui sait où nous serons demain? C’est tout de suite, Monsieur le duc, c’est dans l’heure qui commence que nous devons aller au pied de l’autel…
Guise eut une nouvelle hésitation; et cette fois, si courte qu’elle eût été, Catherine qui le dévorait des yeux la remarqua. Mais déjà le duc répondait d’une voix ferme:
– Tout de suite, si cela plaît à Votre Majesté!
– Crillon, dit le roi, nous allons à la cathédrale. Messieurs, vous en êtes tous. Il faut que ce soit un spectacle dont il soit parlé dans tout le royaume, et dont l’histoire garde le souvenir! Et maintenant, qu’on me laisse seul.
Tout le monde sortit, les gentilshommes guisards ou royalistes pour se préparer à la cavalcade projetée, Guise pour s’entretenir dans la cour carrée avec ses deux frères et quelques conseillers, Crillon pour préparer l’escorte royale et montrer aux Lorrains qu’il était en état de ne rien redouter. La reine mère demeura seule auprès d’Henri III.
– Eh bien, ma mère, dit gaiement le roi, nous allons donc rentrer à Paris?…
Catherine demeura silencieuse.
– Dès que les conférences seront terminées, continua Henri, nous nous mettrons en route. Eh bien, je vous avoue que j’y songe avec plaisir. Je commençais à m’ennuyer!
– Oui, dit alors la vieille reine, voilà ce qui vous tient le plus à cœur. Rentrer dans Paris! Reprendre vos amusements favoris dans le Louvre et ailleurs, courir les travestissements, préparer fêtes sur fêtes, au risque de voir se déchaîner encore les bourgeois las de payer vos folies et d’entretenir vos mignons!…
Henri III bâilla. Il subissait les mercuriales de sa mère comme des radotages de vieille femme.
– La belle avance, reprit durement Catherine, de rentrer au Louvre, si vous y rentrez diminué, fantôme de roi n’ayant plus qu’une ombre de pouvoir!
– Et pourquoi serais-je diminué? Voyons, expliquez-moi cela, ma mère. Vous savez la confiance que j’ai en votre jugement et en vos sages avis.
– Oubliez-vous donc que les états généraux sont réunis et que la liste des doléances et réclamations, si vous y faites droit, suffit à vous réduire à l’état de roi sans royaume!
– Bon! pour un ou deux d’Épernon qu’on me demande de renvoyer!…
– Et le reste! les garanties exigées! le droit accordé à vos pires ennemis de vérifier les finances…
– Le reste ne compte pas, madame! Nul ne songe sérieusement à ces doléances qui étaient une façon de me faire sentir la mauvaise humeur de la seigneurie… mais puisque me voici réconcilié avec les Lorrains…
– Vous croyez donc à cette réconciliation?
– Pourquoi n’y croirais-je pas, si M. de Guise le jure sur le Saint-Sacrement? dit Henri III avec une sincérité qui fit sourire amèrement Catherine.
Henri III qui fut à coup sûr un roi débauché – Henri III, qui ne cachait nullement son goût pour la débauche, fut certainement le roi le plus sincèrement croyant qu’il y ait eu en France. Sa piété égalait celle de Louis XI. Un serment sur le Saint-Sacrement était donc pour lui la preuve irréfutable de la bonne foi de Guise.
– Ce n’est pas, ajouta-t-il, que je croie beaucoup aux bons sentiments naturels de M. le duc: je pense au contraire qu’il ne fait ce serment que contraint et forcé. À quoi peut-il aboutir, s’il ne se réconcilie avec moi? poussé par la Ligue, il faut qu’il se déclare ou rebelle ou sujet fidèle. Il sait trop ce que la rébellion lui coûterait, et il fait sa soumission. Je ne lui en ai donc aucune reconnaissance; mais toujours est-il que s’il jure la main sur l’autel, je serai bien forcé de le croire!
– Prenez garde, mon fils!…
– Oh! madame, fit le roi se méprenant au sens de cet avertissement, Crillon aura certainement pris les précautions nécessaires… et justement le voici! ajouta-t-il pour couper court à l’entretien.
Catherine de Médicis poussa un soupir, jeta un profond regard sur son fils et se retira lentement, tandis que Crillon faisait en effet son entrée dans le salon et annonçait au roi qu’on n’attendait plus que son bon plaisir pour se mettre en route vers la cathédrale…
Le roi descendit aussitôt dans la cour carrée et sourit à la vue de ses gentilshommes qui formaient une masse imposante, à la vue plus imposante encore des gens d’armes que Crillon avait disposés. Il monta à cheval. Tous l’imitèrent aussitôt.
Le roi sortit du château précédé d’une fanfare de trompettes, d’une compagnie de mousquetaires et encadré par un triple rang de ses gentilshommes. Le duc de Guise venait immédiatement derrière lui et se trouvait ainsi séparé de ses partisans. Toute cette formidable et brillante cavalcade se dirigea vers la cathédrale dans une sorte de recueillement inquiet. On n’osait parler. Chacun se demandait si cette cérémonie ne cachait pas un guet-apens.
Le chapitre de la cathédrale prévenu en toute hâte s’était réuni, et revêtu de ses ornements sacerdotaux, attendait Sa Majesté.
Le roi mit pied à terre devant l’église où il entra aussitôt toujours silencieux, et suivi par cette foule non moins silencieuse. Guise marchait près de lui, un peu en arrière.
En un instant, la cathédrale se trouva remplie. Le roi et Guise marchèrent jusqu’au maître-autel. Le curé doyen de la cathédrale s’agenouilla alors, entouré de ses vicaires, fit une courte oraison. Puis il monta les degrés de l’autel, ouvrit le tabernacle, découvrit l’ostensoir d’or enrichi de pierres précieuses, et, tandis que les prêtres entonnaient le Tantum ergo, il se retourna en soulevant l’emblème dans ses mains levées.
Toute l’assistance était tombée à genoux; le roi avait le premier donné l’exemple et se frappait la poitrine avec une ferveur qui, à en juger par la violence des coups de poing qu’il s’administrait au cœur, devait lui attirer sans aucun doute des indulgences toutes spéciales. Enfin l’ostensoir ayant été exposé sur l’autel, le roi se releva.
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