– Vous êtes sûr, fit-il, qu’il en reviendra?
– Très sûr!
– Mais c’est que je voudrais bien que mon ami puisse continuer son voyage…
Le sorcier secoua la tête:
– S’il bouge de ce matelas avant huit jours, il meurt, dit-il. S’il essaye de marcher avant un mois, tout sera remis en question. S’il monte à cheval avant deux mois, je ne réponds de rien!…
Deux mois!…
C’était plus de temps qu’il n’en fallait à Pardaillan. Il tendit un écu au sorcier, qui refusa d’un geste en disant:
– Je n’ai pas besoin d’argent. Pour que je les soigne dans leurs maladies, les pêcheurs me donnent des poissons et du pain. Pour que je guérisse leurs blessures, les bûcherons me donnent du bois l’hiver. Pour que je ne jette pas un sort aux barques de leurs maris, les femmes me donnent du cidre et des légumes…
– Voilà un singulier homme, dit Pardaillan qui remit son écu dans sa bourse.
Quoi qu’il en soit, le sorcier fit si bien qu’au bout de quatre jours, il put positivement déclarer le blessé hors de tout danger. Ces quatre jours, Pardaillan les avait passés dans la chaumière. Ce ne fut que lorsqu’il eut vu son blessé en voie de guérison que Pardaillan partit de Gravelines.
Sûr que le comte Luigi ne mourrait pas et serait convenablement soigné, certain d’autre part qu’il ne pourrait rejoindre et prévenir Farnèse, le chevalier, un beau matin, fit ses adieux à celui qu’il avait à moitié tué, et reprit à petites journées le chemin de Paris. Il avait une double tâche à accomplir. Retrouver Maurevert, d’abord. Et ensuite, pouvoir rencontrer Guise dans des circonstances qui lui permettraient de lui parler librement. Ce fut en ruminant sur ces deux points que le chevalier chemina paisiblement dans la direction de Paris.
Pendant que Pardaillan courait sur la route de Dunkerque et s’emparait de la lettre destinée à Farnèse [11], le duc de Guise, au milieu d’une imposante escorte, s’avançait vers Blois où, de tous les points de la France, accouraient les députés de la noblesse, du clergé et du tiers-état pour cette suprême conférence à laquelle Henri III avait convié son peuple et qu’on appelle les états généraux de Blois.
La sécurité de Guise était absolue. Maurevert lui avait rendu un compte exact des forces dont Henri III pouvait disposer.
Ces forces étaient considérables et, de plus, elles étaient sous la main d’un hardi capitaine qui avait fait ses preuves sur plus d’un champ de bataille, tant comme courage que comme stratégie… C’était le brave Crillon. Les troupes de Crillon occupaient le château et la ville. Évitant de disséminer ses soldats aux environs et de tenir campagne, Crillon avait fait de Blois une formidable caserne, et, comme un jour la reine mère lui demandait si le roi était en parfaite sûreté, il avait répondu:
– Madame, si je n’étais là, il faudrait vingt mille hommes pour atteindre le roi; mais comme je suis là, il en faut quarante mille.
Catherine avait souri comme elle savait sourire, et elle-même avait ajouté:
– Je suis là, moi aussi! Et je commande à une petite armée de flacons qui vaut bien à elle seule les quarante mille hommes dont parle le brave Crillon!
Le roi était donc défendu, bien défendu. Il pouvait même tenter quelque coup de force si cela lui plaisait. Malgré cela, nous l’avons dit, la sécurité de Guise était complète.
Il savait en effet que chacun des cent cinquante gentilshommes qui l’accompagnaient avait mis en lui toutes ses espérances et toute sa fortune future. Il n’en était donc pas un qui ne fût prêt à se faire massacrer pour sauver le chef. Il savait en outre qu’une fois arrivé à Blois, il allait trouver les députés des trois ordres, et que parmi ces députés, seigneurs, bourgeois, prêtres, il n’en était pas un qui ne lui fût dévoué corps et âme. En réalité, donc, il allait être le véritable maître aux états généraux. Valois n’avait pour lui que les soldats, quantité négligeable si on parvenait à s’emparer de Crillon… les soldats dont la paye était d’ailleurs fort arriérée, et qui, selon le rapport de Maurevert, avaient déjà failli se mutiner.
C’est de ces diverses choses que causait Guise pendant sa dernière journée de marche. Il était entouré à ce moment de huit ou dix de ses plus intimes qui formant peloton marchaient en avant du gros de l’escorte. Et peu à peu, dans ce groupe d’intimes, une sélection s’était faite, en sorte que le duc avait fini par se trouver en avant, entre Bussi-Leclerc et Maineville ses inséparables, ceux pour qui il n’avait rien de caché.
Le gros duc de Mayenne venait vers le milieu de l’escorte, et s’enquerrait déjà des gîtes qu’on pouvait trouver à Blois et de la possibilité de faire bonne chère. Le cardinal était en queue, causant avec les plus intelligents de la bande. Ainsi, des trois frères, l’un occupait les soudards, l’autre intéressait les goinfres, et le troisième réunissait autour de lui les politiques.
Dans le petit clan que formaient le duc et ses deux fidèles agents, il était tout naturellement question de Pardaillan.
– Enfin, disait Maineville, nous voilà débarrassés du quidam. Mais pour mon compte, j’en éprouve quelque regret. La noyade fut trop douce pour lui…
– C’est vrai, renchérit Bussi-Leclerc, et quant à moi, j’eusse éprouvé quelque plaisir à lui rendre…
– La leçon d’escrime qu’il te donna? fit Maineville en riant.
– Non, pardieu! Cela, je le lui ai rendu… Ne te rappelles-tu pas que je le désarmai dans la Bastille?
– Je n’y étais pas… ainsi…
– Mais Maurevert y était!… Est-ce vrai, Maurevert?
– Parfaitement vrai, fit Maurevert qui marchait derrière Guise. Tu lui fis sauter l’épée des mains par trois fois, et le truand dut s’avouer vaincu…
Bussi-Leclerc eut un geste de vive satisfaction et remercia Maurevert d’un regard.
«Bon! pensa Maurevert, en voilà un qui pourra me servir mieux qu’il ne pense!»
On arrivait au village de Villerbon…
– Allons, messieurs, dit Guise d’une voix sombre, ne parlons plus des morts…
Il songeait à Violetta… Un soupir étouffé gonfla sa poitrine. Puis, secouant la tête comme pour vraiment ne plus songer aux morts:
– Bussi, pique donc un galop jusqu’à ces cavaliers que tu vois là-bas, et sache ce qu’ils veulent.
Sur la place de l’Église dans le village, une soixantaine de cavaliers, en effet, étaient arrêtés… mais Bussi-Leclerc n’eut pas le temps d’exécuter l’ordre qu’il venait de recevoir. Les cavaliers venaient d’apercevoir la troupe de Guise et galopaient à sa rencontre. Un instant Guise se troubla et sa main descendit jusqu’à la poignée de fer de sa rapière. L’idée qu’Henri III lui avait ménagé un guet-apens passa dans son esprit comme un éclair. Mais il se rassura aussitôt. Les cavaliers étaient sur lui et criaient:
– Monseigneur, vous êtes le bienvenu!…
C’était une troupe de gentilshommes députée par les seigneurs assemblés dans Blois pour aller à sa rencontre, le saluer et l’assurer de toute fidélité… Guise rayonna, et comme ces gentilshommes se mêlaient à ceux de son escorte, il leur rendit salut pour salut et s’écria:
– Maintenant, messieurs, j’ai une escorte royale…
Le mot était peut-être dit sans intention. Mais il courut de bouche en bouche jusqu’aux derniers rangs de la cavalcade, et chacun y vit clairement les intentions secrètes du duc… Quoi qu’il en soit, ce fut donc à la tête de cette compagnie ainsi renforcée que le Balafré traversa Villerbon. Il prit alors un trot allongé, et comme midi sonnait, toute cette cavalcade parut en vue de Blois.
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