– Vous me répondez sur votre vie de la prisonnière jusqu’à ma visite.
Vers quatre heures, elle avait écrit au duc de Guise pour lui dénoncer la présence de Pardaillan à Paris. Pendant deux heures, elle avait hésité à désigner l’auberge de la Devinière … elle s’était accordé jusqu’au lendemain. Pourquoi?… Qu’espérait-elle?…
Vers six heures, elle avait reçu comme tous les jours les nombreux agents secrets qui la tenaient au courant de tout ce qui se faisait et se disait dans Paris, chez Guise et autour de Guise.
Il était environ neuf heures du soir lorsque nous la retrouvons accoudée à une table et relisant encore la lettre de Claudine, y cherchant la résolution suprême. À ce moment, Fausta semblait très calme. C’est que peut-être la résolution s’était formulée dans son esprit. En effet, elle se leva, brûla la lettre à un flambeau de cire rose, passa des gants de peau souple, s’assura que son épée était en bonne place à son côté, puis, ayant frappé sur un timbre, elle ordonna sans même se retourner, car elle était sûre que quelqu’un était accouru pour recueillir l’ordre:
– Quatre cavaliers d’escorte et un cheval pour moi, à l’instant. Et qu’on aille prévenir Bussi-Leclerc, gouverneur de la Bastille, que je l’irai voir cette nuit même.
Sans doute chevaux, litière, voiture, escorte tout était toujours prêt nuit et jour. Car Fausta, sans attendre après avoir jeté cet ordre, se dirigea vers la porte de sortie. Moins de deux minutes plus tard, elle se trouvait dans la rue où les quatre cavaliers attendaient, et où un écuyer lui présentait l’étrier… Une fois qu’elle fut en selle, les cavaliers se placèrent deux en avant, deux derrière elle.
– À l’abbaye de Montmartre! dit alors Fausta.
La petite troupe se mit aussitôt en marche, sortit de la Cité, et se dirigea vers la porte Montmartre. La porte était fermée. Sur l’ordre du duc de Guise, nul n’avait permission de sortir de Paris jusqu’à nouvel ordre. Mais l’un des cavaliers de l’escorte, sans que Fausta intervînt, montra à l’officier du poste un papier qui portait la signature du duc.
Sans doute, et pour toute occasion, Fausta était approvisionnée de ces signatures. Quoi qu’il en soit, l’officier comprit que l’ordre ne concernait pas le porteur de ce papier et ses compagnons. Il fit donc baisser le pont-levis. En passant, Fausta lui jeta ces mots:
– Nous rentrerons à Paris dans deux heures. Faites en sorte que nous n’ayons pas à attendre de l’autre côté du fossé…
Lorsque Fausta atteignit l’abbaye de Montmartre, tout était obscur et silencieux. Mais l’un des cavaliers ayant heurté la porte d’une certaine façon, le double vantail ne tarda pas à s’ouvrir tout grand. Des lumières apparurent. Fausta ayant mis pied à terre se fit conduire à l’appartement de l’abbesse qui, prévenue en toute hâte de cette visite nocturne, s’habillait.
– La prisonnière? demanda Fausta d’une voix qui étonna Claudine par sa vibration d’inquiétude.
– Elle est toujours là, madame, rassurez-vous…
– Faites-la venir… ou plutôt non, conduisez-moi près d’elle.
Simplement, l’abbesse prit un flambeau et se mit à précéder Fausta qui, d’un geste impérieux, avait renvoyé deux religieuses qui assistaient à cette scène.
Claudine descendit l’escalier, passa sous la voûte, entra dans les jardins et atteignit enfin cette partie enclose de palissades qui formait comme une prison dans une prison. Elle ouvrit la barrière avec une clef qu’elle avait sur elle et parvint au logis qui abritait Violetta sous la garde de Belgodère. Le bohémien ne dormait jamais que d’un œil. Il entendit donc les pas de Claudine et de Fausta, si légers qu’ils fussent, et se jetant à bas du lit de camp où il sommeillait tout habillé, alla ouvrir la porte en grondant:
– Qui va là?…
Mais comme, en disant ces mots, il entrouvrait, il reconnut aussitôt l’abbesse, et rengainant le poignard qu’il avait saisi à tout hasard et grâce à une habitude invétérée chez lui, il s’inclina profondément.
– La prisonnière? répéta Fausta avec cette même émotion que Claudine avait déjà remarquée.
Belgodère la reconnut à la voix; il se courba cette fois jusqu’au sol.
– Ce qu’on me donne à garder, dit-il, je le garde. La prisonnière est là!…
Il s’était redressé et du doigt montrait une porte verrouillée.
– Entrons! dit Fausta d’un ton bref.
Elles pénétrèrent dans le logis sommairement meublé d’un petit lit de camp, d’une table et de deux chaises, le tout éclairé par une torche. Sur la table, de nombreuses bouteilles, les unes vides, les autres pleines, attestaient que le bohémien cherchait à adoucir les ennuis de son métier de geôlier comme il pouvait. Claudine tira les verrous de la porte qu’avait désignée Belgodère. Fausta prit alors le flambeau et dit:
– J’entrerai seule…
Et elle pénétra dans la pièce où Violetta était enfermée.
À ce moment, d’une soupente qui dominait la première pièce où Claudine et Belgodère attendaient, surgit une tête effarée, au profil burlesque, aux cheveux noirs et plats, aux yeux arrondis par la frayeur et la curiosité. Cette tête, c’était celle de Croasse.
Croasse dormait dans la soupente, sur un tas de paille. De ce poste élevé, il dominait la chambre, et lui aussi ne dormait que d’un œil. Croasse vit donc entrer Claudine et Fausta. Il vit Fausta pénétrer dans la pièce qui servait de prison à Violetta. Lui aussi se demanda ce que signifiait cette visite nocturne. Il se demanda surtout si tout cela n’allait pas se terminer par une volée de coups de trique à lui administrée par le prodigue Belgodère. Ne trouvant aucune réponse, il prit le parti d’attendre, en retenant sa respiration, de peur d’attirer sur lui l’attention de Belgodère…
Le bohémien à ce moment ne songeait guère à lui, d’ailleurs; toute son attention était concentrée sur la pièce voisine, où Fausta, le flambeau à la main, venait de disparaître en refermant la porte derrière elle.
Fausta avait déposé sur un meuble le flambeau qu’elle tenait à la main. Un rapide coup d’œil autour d’elle lui montra la pièce misérable, sans fenêtre, plus triste vraiment qu’une prison. Sur un vieux canapé, car il n’y avait pas de lit dans ce réduit, Violetta dormait toute habillée. Fausta la contempla ardemment. Lentement, elle détacha son masque et le laissa tomber à ses pieds.
– Belle, murmura-t-elle, certes! Une figure d’ange. Le front pur de Léonore de Montaigues et la lèvre fière des Farnèse. Elle est digne vraiment de ce héros de chevalerie qui s’appelle Pardaillan. Comme il doit l’aimer!… Et comme il doit souffrir d’être séparé d’elle!
Ces paroles ou plutôt ces pensées firent pâlir Fausta.
– Eh bien! qu’il souffre donc, puisqu’il s’est mis en travers de ma route. Quoi! j’aurais jusqu’ici marché au but sublime avec la victorieuse et sereine volonté que rien n’arrête, j’aurais passé comme l’envoyé de Dieu, courbant les têtes, brisant les orgueils, sapant les puissances, soufflant sur les trônes qui s’écroulent, chassant des rois, soulevant un royaume entier, et il se trouvera un homme, un seul, qui aura pu me dire en face: «Tu n’iras pas plus loin!…»
Fausta palpitait. Ses mains s’étaient étendues vers Violetta, crispées, prêtes à s’incruster dans sa gorge. Et elle comprenait qu’elle se mentait à elle même. Prétextes!… Elle ne haïssait Pardaillan ni pour l’affaire de la place de Grève, ni pour l’affaire du moulin. Le haïssait-elle seulement?…
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