– Je suis, dit Fausta qui se transfigura dans un rayonnement de grandeur, je suis celle qui vous est envoyée par le conclave secret; je suis celle qui a été élue pour combattre Sixte, traître aux destinées de l’Église! Je suis celle qui parle haut parce que la parole qu’elle vous apporte est la parole même de Dieu!… Je suis la papesse Fausta I re…
La duchesse de Montpensier, effarée, l’esprit exorbité par un immense étonnement, jeta un regard sur la femme qui parlait ainsi, et elle la vit si rayonnante, si suprêmement belle et majestueuse dans son attitude, qu’elle recula, ploya les genoux et se prosterna, éblouie, fascinée… La Fausta alla à elle, la releva doucement, la baisa au front et dit:
– Allez… vous serez un de mes anges!…
Et la duchesse de Montpensier, éperdue, obéissante comme une enfant, sortit à reculons, courbée sous le geste de Fausta, geste d’irrésistible autorité, geste de bénédiction, geste terrible qui épandait de la mort et armait le bras de Jacques Clément!…
XVII LA VISION DE JACQUES CLÉMENT (suite)
Le couvent des Jacobins était situé rue Saint-Jacques et s’adossait presque aux murs d’enceinte; à ses pieds se creusaient les fossés Saint-Michel qui ont laissé leur nom au boulevard actuel; non loin du couvent s’ouvrait la porte Notre-Dame-des-Champs, au-delà de laquelle s’étendaient des jardins bien cultivés parmi lesquels commençaient à s’élever quelques maisons de plaisance. L’endroit était paisible et presque triste. On n’y voyait, comme rares passants, que des moines glissant silencieusement sur l’herbe poussée à l’ombre des maisons.
Le prieur des Jacobins s’appelait Bourgoing. C’était un homme grand et de forte corpulence, au visage réjoui, fort enclin à se mêler de politique, mais au demeurant, pas méchant. Il aimait ses aises. Il avait assez d’énergie pour soutenir avec âpreté les intérêts de son monastère qui se confondaient avec ses propres intérêts. C’était d’ailleurs un fanatique partisan de Guise et de la Ligue; il tenait Henri de Valois en profonde horreur, il avait fortement contribué à fonder la vaste congrégation du Chapelet, et c’est lui qui avait mis à la mode ce dicton populaire:
Qui n’a pas de chapelet au cou
Mérite d’y avoir un licou.
C’était par moments un homme de plaisanterie. Quelques mois avant la journée des Barricades, alors que Paris commençait à s’échauffer fort contre le favori d’Henri III – le duc d’Épernon, grand mangeur et gaspilleur d’argent s’il en fût -, le prieur Bourgoing s’était un jour rencontré avec ledit duc d’Épernon et, à mots couverts, lui avait reproché ses dépenses extravagantes. À quoi d’Épernon avait répondu qu’il avait le droit de dépenser beaucoup d’argent, ayant dépensé beaucoup de sang pour exterminer les hérétiques, ce qui était un impudent mensonge.
Bourgoing ne répondit rien, mais, peu de jours après, répandit dans Paris une forte brochure sur la première page de laquelle s’étalait en gros caractères:
«Grands faits d’armes de M. le duc d’Épernon contre les hérétiques.»
Ceux qui achetaient la brochure l’ouvraient et trouvaient toutes les pages intérieures blanches. Sur chaque page, il n’y avait qu’un mot. Et ce mot, c’était:
– Rien.
Le prieur rit beaucoup de son innocente facétie, et d’Épernon faillit en avoir la jaunisse.
Le soir où nous pénétrons dans le couvent des Jacobins, le prieur, commodément installé sur les coussins d’un vaste fauteuil, les mains croisées sur son respectable ventre, les yeux mi-clos, écoutait un de ses moines qui semblait sa vivante antithèse. Maigre, de figure ascétique, un visage pâle illuminé par deux grands yeux brûlés de fièvre, la bouche sévère, tel était ce moine qui venait d’achever un récit où il avait dû confesser quelque grave péché, car il baissait la tête, tandis que le prieur souriait.
– Hum! fit enfin messire Bourgoing, évidemment, mon fils, vous avez eu tort d’entrer dans cette caverne où vous risquiez de rencontrer Satan, toujours prêt à emporter une âme. Et vous dites, mon fils, que ces femmes se sont à demi déshabillées?… Et que leurs attitudes impudiques ont déchaîné en vous tous les démons de la luxure?
– Hélas! mon révérend, il n’est que trop vrai! dit le moine d’un ton de profond désespoir.
– Souviens-toi… que la chair est faible. Mais enfin, frère Clément, vous avez résisté?
– Oui, mon révérend.
– Et triomphé?… En somme, vous êtes sorti victorieux de cette épreuve? ajouta le prieur avec une curiosité peut-être un peu échauffée.
– C’est bien là ce qui me console quelque peu, mon révérend. J’ai pu fuir…
– Tel le pur et candide Joseph laissant son manteau entre les mains de l’indigne et perverse Putiphar. Savez-vous que c’est fort beau, frère Clément?… hum! je veux dire qu’au bout du compte, vous n’avez péché que par imprudence.
– Votre Révérence est mille fois trop bonne, dit Jacques Clément en s’inclinant avec respect.
– Vous vous abstiendrez donc pendant quatre jours de toute nourriture, hormis le pain et l’eau: vous direz trois fois dans la nuit, à des heures convenablement espacées, le psaume de la pénitence, et pour le surplus je réfléchirai, mais je pense que ce pieux exercice pourra suffire à mettre en fuite les tentations périlleuses. Allez en paix…
Le moine s’inclina et sortit, les bras croisés sur la poitrine, le capuchon rabattu sur les yeux. Par les longs couloirs déserts, il regagna sa cellule. À peine fut-il sorti de chez le prieur que celui-ci se leva, alla ouvrir une porte, et alors une femme enveloppée entièrement d’un manteau sombre entra… C’était la duchesse de Montpensier.
– Vous avez entendu? demanda Bourgoing.
– Oui, fit la duchesse avec un soupir; ce pauvre jeune homme a bien peur du péché… Et pourtant, ajouta-t-elle avec un sourire, le péché ne se présente pas à lui sous une forme si effrayante…
– Ah! madame, dit le prieur avec un autre soupir, que ne m’est-il donné d’avoir à éprouver ma résistance!… Mais, ajouta-t-il en reprenant soudain le ton qui convenait à son caractère et à la dignité dont il était revêtu, à quelles extrémités faut-il que nous en arrivions pour le salut de notre sainte Église!…
Cependant, Jacques Clément était arrivé à sa cellule dont, selon la règle, il laissa la porte ouverte. Il se mit à genoux sur le carreau et, levant les yeux vers un crucifix qui était l’unique ornement de la muraille, il commença ses oraisons. Mais bientôt, il baissa la tête avec une sorte de désespoir farouche et ferma les yeux.
– Le péché est en moi! murmura-t-il. Ce n’est pas la divine figure que je vois, c’est son image, à elle!… Seigneur, Seigneur, ayez pitié de votre humble serviteur…
Il se courba lentement jusqu’à ce que son front allât toucher le carreau. Et il demeura dans cette position, immobile, silencieux… Seulement, un râle continu s’échappait de sa gorge. Et ce râle était un sanglot…
Le moine demeura ainsi, en une longue méditation, jusqu’au moment où la cloche sonna pour l’office nocturne. Alors il se releva, sortit de sa cellule, et descendit vers la chapelle. Le long des couloirs, d’autres moines marchaient silencieusement.
La chapelle, faiblement éclairée par de rares flambeaux, se remplit peu à peu, les moines prenant chacun leur place suivant leur grade dans la hiérarchie.
– Oremus ! cria de nouveau le prieur. Mes frères, prions pour que le projet d’une puissante princesse favorable à notre Église soit couronné d’une pleine réussite.
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