– Ainsi, dit lentement le chevalier, c’est la reine Catherine qui vous a donné ce coffret?
– Oui, mon ami, dit Marillac en frissonnant.
Les deux hommes se regardèrent.
Et sans doute chacun d’eux put lire chez l’autre la pensée terrible qui l’agitait, car tous les deux pâlirent et détournèrent les yeux.
Marillac demeurait tremblant, les mains crispées sur le coffret d’or. Il baissa la tête. Et soudain, le mystère de sa pensée monta jusqu’à ses lèvres, comme s’il n’eût pu le contenir davantage. Hagard, livide, il murmura:
– Mon sang… je le donnerais jusqu’à la dernière goutte… pour savoir la vérité… oh! chevalier… cette vérité… ce lamentable soupçon qui est dans mon cœur comme un ulcère… ce n’est pas vrai, dites? Ce n’est pas possible!… Ce serait trop horrible que ce coffret ait été l’instrument de mort… que Catherine, ma mère, ait tué Jeanne, mon autre mère… et que moi… moi… leur fils à toutes deux… aie porté à l’une le poison que lui envoyait l’autre!
– Comte! comte! s’écria le chevalier, vous avez raison… ce serait trop horrible… Et pourtant… tenez, laissez-moi vous répéter la parole suprême de la reine de Navarre: Prenez garde!… renfermez ce coffret… n’y touchez plus…
– Ah! puissé-je donc être foudroyé plutôt que de continuer à porter de tels soupçons dans mon esprit!… Je rêve, mon ami… c’est un rêve insensé, hideux… Catherine ne peut avoir conçu de pareilles horreurs… Catherine m’aime… j’en suis sûr… elle souffre de ne pouvoir proclamer sa maternelle affection… elle est ma mère… ma mère!…
En parlant ainsi, Marillac avait ouvert le coffret avec une sorte de rage désespérée.
Dans le coffret, il y avait une paire de gants blancs – ceux que portait Jeanne d’Albret la nuit de sa mort.
Il les saisit et, fermant les yeux, les baisa longuement.
* * * * *
Pardaillan, hors de lui, en proie à une sorte de vertige, lui arracha les gants, les remit à leur place, funèbre relique, et lui-même alla renfermer, avec un effroi visible, le mystérieux coffret d’or dans l’armoire dont il jeta la clef dans un coin de la chambre.
* * * * *
Il y eut alors entre les deux hommes un de ces longs silences lourds d’angoisse qui semblent vibrer sourdement comme vibrent les airs après un coup de gong ou de cymbale.
L’action rapide de Pardaillan venait de préciser dans l’esprit de Marillac un soupçon qu’il n’osait s’avouer à lui-même.
Il demeurait atterré.
Sa joie fébrile, son bonheur trop surexcité par lui-même, la vague épouvante que recouvraient ce bonheur et cette joie, son incertitude, ses doutes, son désespoir latent; en un éclair aveuglant, il comprit tout, il se comprit soi-même.
Et il assista, muet d’horreur, à l’abominable drame qui se déroulait dans sa pensée.
La pensée était complexe, hérissée, tortueuse, insaisissable… et le drame qui en jaillissait était simple, terriblement limpide.
Voici: Marillac était arrivé à Paris sachant que Catherine était sa mère, la haïssant pour ses persécutions, la haïssant pour l’avoir abandonné, résolu à frapper en elle la mère infâme et la reine sanglante… Marillac avait vu une fois Catherine, et le doute était entré dans son âme lorsque la reine lui avait offert une royauté… Une royauté à lui! Pourquoi? Sinon parce que sa mère se repentait!… Marillac avait revu deux fois, trois, quatre fois la reine – toujours appelé, toujours cherché par elle! Et alors, la pitié avait remplacé le doute. Puis l’étonnement de voir Catherine si peu semblable aux affreux portraits que l’on faisait d’elle! Puis l’émotion de cette maternité qui voulait et n’osait s’affirmer! Puis la joie de sentir qu’il pouvait l’aimer! Puis ce bonheur étrange: que Catherine, sa mère, lui garantisse l’amour et la pureté d’Alice!
La mort inexplicable de Jeanne d’Albret, son agonie, ses mystérieux avertissements, ce regard de terreur qu’elle avait eu en lui montrant le coffret d’or, présent de Catherine, cette mort, disons-nous, fit rentrer le soupçon dans l’esprit du comte.
Quel soupçon? Que Catherine avait assassiné Jeanne d’Albret.
Non! Oh non! Il ne voulait pas y croire! C’était contre nature, cela dépassait les bornes de l’odieux que Catherine eût fait de lui l’assassin inconscient de la reine de Navarre! Non, non! Jamais il ne permettrait à son cœur d’accepter la monstrueuse hypothèse! Il se rejetait avec rage dans la joie, dans l’amour, dans le bonheur.
Pourquoi? Ah! pourquoi… Voici le drame!…
S’il accusait Catherine, s’il acceptait l’infâme soupçon, s’il admettait sa mère meurtrière, c’est donc que sa mère se jouait de lui!
Et alors?…
C’est donc que Catherine jouait un rôle dans ses effusions de maternité contenue! C’est donc qu’elle mentait, encore, toujours, toujours! C’est donc qu’elle mentait aussi en lui garantissant la dignité d’Alice! C’est donc qu’Alice était une créature de Catherine! C’est donc que cet amour aboutissait à la plus effroyable erreur!
Et alors?…
Plus rien!…
Si Alice l’avait joué, si Alice était indigne, si son amour s’effondrait… Oh! mille morts plutôt! Il fallait en hâte, de toutes ses forces, de toute son énergie, de toute sa puissance, repousser le soupçon, se raccrocher furieusement à la certitude de l’amour d’Alice, de sa pureté, de son innocence! Il fallait donc repousser le soupçon qu’Alice était complice de Catherine! Il fallait donc repousser le soupçon qu’il y avait une complicité possible, qu’il y avait un crime, que Catherine était criminelle!…
Voilà dans quels abîmes tournoyait l’âme du comte de Marillac, semblable à l’aigle frappé à mort qui tombe, qui bat de l’aile, qui veut se raccrocher à quelque rocher, à quelque pousse de ronces, qui tombe, sans fin, dans un suprême vertige, qui s’enfonce dans les profondeurs noires, et qui, dressant la tête par un dernier effort, entrevoit une dernière fois tout là-haut le ciel pur et radieux…
Voilà pourquoi il s’arracha violemment à sa méditation. Voilà pourquoi, éclatant de rire, il alla ramasser la clef que le chevalier avait jetée, la remit tranquillement à la serrure de l’armoire et s’écria joyeusement:
– Pardieu, mon cher ami, je crois que nous sommes fous… C’est votre faute aussi! Pourquoi m’avoir parlé de la mort de Jeanne d’Albret? Pourquoi m’avoir forcé à évoquer cette agonie? Quand j’y songe, mon esprit bat la campagne…
Il secoua rudement la tête.
– Ah! oui, j’y suis. C’est ce costume noir qui est cause de tout… Eh bien, oui, mon cher, je me marierai en noir, je veux porter le deuil de la grande amie que je pleurerai toujours… Parlons d’autre chose, voulez-vous?
– Volontiers, comte, dit le chevalier en essuyant la sueur froide qui mouillait ses tempes. Un dernier mot toutefois.
– Parlez, cher ami.
– C’est bien décidément demain que doit avoir lieu votre mariage?
– Demain soir, à minuit, à Saint-Germain-l’Auxerrois… Mais vous êtes seul à le savoir.
– Et vous désirez que j’y assiste?
– Mon bonheur ne serait pas complet si vous n’étiez là.
– Bon. Comment et à quelle heure entrerai-je dans l’église?
– Trouvez-vous à onze heures à la petite porte qui donne sur le cloître… mais soyez seul.
– Très bien, mon cher comte!…
Et le chevalier songea:
«J’y serai avec quelques bonnes épées que je connais. Car je veux donner mon âme au diable si la douce Catherine ne cherche pas à faire assassiner son fils!…»
Читать дальше