– Noël! miracle!…
– Vive la Messe! hurla une voix qui domina le tumulte.
– Mort aux hérétiques! vociférèrent les gentilshommes.
– Mort, aux huguenots! Vive Guise! Vive la Messe! Les huguenots à la hart!
– En voici un! clama la voix de celui qui le premier avait crié: Vive la Messe!
– À genoux! à genoux!…
– Ils sont deux!
– Oh! les infâmes! à mort! à mort!…
La foule hurlante entoura deux jeunes gens qui s’avançaient et que Maurevert désignait de la main. En un instant, il y eut autour de ces deux gentilshommes une tempête de menaces, des visages bouleversés de haine leur apparurent, des bras se levèrent sur eux, des dagues jetèrent leurs éclairs, des épées flamboyèrent…
Ils étaient perdus…
À ce moment, la porte du couvent se rouvrit.
Poussé par une idée d’ivrogne, frère Lubin, échappant aux moines qui essayaient de le maintenir, apparut, bénissant, bégayant, le visage inondé de larmes… À la vue du saint qui avait changé l’eau en sang, la foule retomba à genoux en criant:
– Noël! Noël!…
Lubin aperçut alors les deux jeunes gentilshommes qui profitaient de la liberté relative qu’on leur laissait une seconde pour tirer leurs épées.
Les larmes de frère Lubin redoublèrent.
Il s’avança en titubant, les bras ouverts, tandis que, respectueusement, on s’écartait pour lui faire passage. Et Lubin, la figure enluminée, souriant à travers ses larmes d’un large sourire, bégayait:
– Quoi!… C’est ce cher monsieur de Pardaillan… qui m’a fait boire… de si bon vin… à la Devinière … il faut… que je l’embrasse!… Vive Bacchus!…
– Noël! Noël! clamait la foule.
XIII OÙ MAUREVERT JOUE UN RÔLE IMPORTANT
Ce dimanche-là, le chevalier de Pardaillan avait été voir son ami Marillac, comme il faisait presque tous les jours. C’était une habitude qu’il avait prise depuis que Marillac était de retour à Paris. Les deux jeunes gens se racontaient leurs inquiétudes, leurs joies, leurs espérances; Marillac parlait d’Alice; le chevalier parlait de Loïse.
Plusieurs fois, le comte avait offert à son ami d’aller trouver la reine mère et de lui demander un sauf-conduit pour le maréchal de Montmorency et les siens. Mais le chevalier avait toujours refusé avec une obstination qui n’était pas sans étonner Marillac.
Toutes les fois que le comte parlait de la reine, de sa bienveillance, de ses promesses, Pardaillan gardait le silence. Il en était de même lorsque Marillac lui parlait d’Alice.
«Tout est possible! se disait en effet le chevalier. Qui sait si l’infernale Catherine n’a pas été enfin touchée au cœur! Qui sait si elle ne s’est pas mise à aimer ce fils retrouvé!… Mais qui sait aussi quels pièges peut cacher cette bienveillance trop soudaine?… Quant à la malheureuse Alice, je m’arracherais la langue plutôt que de dire l’affreux secret qu’elle m’a confié dans une heure de délire… Car celle-là aime… et une femme qui aime est capable de tous les héroïsmes…»
Donc, le chevalier gardait le silence à la fois sur la reine et sur Alice… Seulement, il ne cessait de répéter à son ami:
– C’est le moment de redoubler de prudence, mon cher… Ah! je voudrais vous savoir à cent lieues de Paris, en parfaite sûreté!
Marillac souriait alors… il était dans cet état de confiance absolue qui est comme un profond sommeil de l’esprit.
Il n’y avait qu’une ombre à son bonheur: la mort de Jeanne d’Albret.
Ce dimanche, il y avait trois jours qu’il n’avait pas vu le chevalier, lorsqu’il le vit entrer.
– J’allais entreprendre de vous relancer à l’hôtel de Montmorency! s’écria le comte en saisissant les mains de son ami… Mais qu’avez-vous? Vous me paraissez sombre… préoccupé…
– Vous, au contraire, vous êtes en pleine joie à ce que je vois… vous essayez un costume?… Voyons, dites-moi d’abord votre bonheur… je vous dirai ensuite mon inquiétude.
Le comte de Marillac, en effet, venait de quitter un costume qu’on lui avait apporté et qu’il avait essayé. C’était un habillement de grand seigneur, et tel que la magnificence de ces époques pouvait le concevoir. Mais ce costume si riche était entièrement noir depuis la plume de la toque jusqu’au haut-de-chausses en satin.
– C’est demain le grand jour, dit Marillac en souriant. C’est demain que notre roi Henri épouse Madame Marguerite. Avez-vous vu les préparatifs que l’on a faits à Notre-Dame?
Le chevalier secoua la tête.
– Ce sera magique. L’église tout entière est tendue de velours à crépines d’or [14]. Les sièges des époux sont des merveilles… plus de cent ménétriers sont commandés pour jouer des airs devant le grand portail lorsque le cortège arrivera…
– Ce sera splendide, fit le chevalier. Je comprends votre joie.
Marillac saisit sa main et la pressa. Une joie immense gonflait son cœur.
– Cher ami, murmura-t-il, ma joie ne vient pas de là… Écoutez… j’avais juré de ne le dire à personne au monde… mais vous, mon ami, vous êtes mon autre moi-même… Demain, il y aura un mariage à Notre-Dame… et demain soir, il y en aura un autre à Saint-Germain-l’Auxerrois… et je veux que vous soyez là!…
– Quel mariage? demanda le chevalier.
– Le mien!…
– Le vôtre! fit Pardaillan qui ne put s’empêcher de frémir. Et pourquoi le soir?
– La nuit, plutôt à minuit!… Vous allez comprendre… la reine veut être là pour me bénir… elle se charge de tous les détails de la cérémonie… des amis à elle, des amis sûrs, y assisteront seuls… et vous, mon cher, mon frère! vous que je ferai entrer avant l’heure dans le temple… mais n’en dites rien. La reine veut être là, comprenez-vous? Et si on savait!… Ah! Pardaillan, on voudrait savoir pourquoi la mère de Charles IX s’intéresse tant à un pauvre gentilhomme huguenot… Et qui pourrait faire taire les mauvaises langues? Qui pourrait expliquer qu’au moment où je me marie, c’est un immense bonheur pour moi que d’avoir à mes côtés… celle qui est… ma mère!
Le chevalier eut un frisson que le comte ne remarqua pas: cette cérémonie mystérieuse, ce mariage de minuit qui devait être tenu secret et auquel Catherine devait assister… Il eut la pensée d’un guet-apens, la vision de quelque sanglante tragédie au fond de la morne église…
«Heureusement que je serai là! songea-t-il.»
Et comme si le pressentiment d’un malheur l’eût poursuivi du doigt, il désigna le costume étalé sur un fauteuil.
– Est-ce dans ce costume, demanda-t-il, que vous allez vous marier?
– Oui, frère, dit Marillac soudain redevenu grave. C’est dans ce costume que je veux assister au mariage de notre roi, et c’est dans ce même costume que, le soir, à minuit, je me rendrai à Saint-Germain-l’Auxerrois…
– Eh quoi! Tout de noir vêtu?
– Écoutez-moi, chevalier, dit Marillac dont le visage se voila de mélancolie. Je suis dans un bonheur tel que je me demande parfois si je rêve. Vous savez combien j’ai souffert d’être obligé de maudire ma mère… eh bien! cette mère se révèle à moi comme la femme la plus aimante, le cœur le plus tendre. Vous savez combien j’aime ma fiancée… eh bien! demain, Alice devient ma femme… comprenez-vous que ces deux bonheurs inouïs accablent mon âme!…
– Ainsi, dit le chevalier, pas une ombre à votre bonheur? Pas d’inquiétude? Pas de crainte?…
– Quelle inquiétude, quelle crainte pourrais-je avoir? Non, mon ami… tout en moi est apaisement et confiance… Et pourtant, oui, tout ce bonheur est comme voilé d’un crêpe.
Читать дальше