Michel Zévaco - Les Pardaillan – Livre VII – Le Fils De Pardaillan – Volume I

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Nous sommes à Paris en 1609. Henri IV règne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouvé son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas à reconnaître l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour protéger sa bien-aimée et le père de celle-ci, c'est-à-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son épouse, Léonora Galigaï, Aquaviva, le supérieur des jésuites qui a recruté un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux côtés de son fils, aussi bien pour l'observer que pour protéger le roi. Or, Fausta jadis avait caché à Montmartre un fabuleux trésor que tout le monde convoite, les jésuites, les Concini, et même le ministre du roi Sully. Seule Bertille connaît par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…

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– Vous oubliez, monseigneur, que je ne suis qu’un pauvre gueux… truand. C’est trop d’honneur que vous me faites. Et je ne me serais jamais permis de vous aborder si…

– Asseyez-vous là, interrompit Pardaillan, très doucement. Mangez à votre faim, ne me monseigneurisez pas et dites-moi en quoi je puis être utile à votre chef. Car je suppose que c’est de lui que vous voulez me parler.

Dame Nicole, puisque tel était le nom de la patronne du Grand-Passe-Partout, avait obéi à l’ordre de Pardaillan avec une célérité qui dénotait la grande considération qu’elle avait pour ce client.

Gringaille ne se fit pas prier davantage. Il s’assit en face de Pardaillan et attaqua bravement la demi-volaille que ce gentilhomme si peu fier venait de glisser dans son assiette et, sans perdre une bouchée, en entonnant consciencieusement les rasades qu’on ne lui marchandait pas, il fit part de ses craintes au sujet de Jehan. Il dit naïvement son embarras et celui de ses compagnons. Enfin, mis à son aise par les manières si simples et si affables de son hôte, il osa lui demander le secours de sa force et de son intelligence, à seule fin de tirer son chef du traquenard où il devinait que Concini l’avait fait tomber.

En même temps que le récit, Gringaille finit la moitié de la volaille et même une large tranche de pâté qui lui avait succédé.

Sans pousser plus avant son dîner, Pardaillan se leva et dit simplement:

– Partons!

– Cornedieu! murmura Gringaille avec admiration, voilà un homme!

Ils arrivèrent rue des Rats. Le premier soin de Pardaillan fut, naturellement, d’étudier la maison. Il se rendit vite compte qu’il ne fallait pas espérer entrer là dedans par la force. La ruse et l’adresse seuls permettraient de franchir ce seuil soigneusement clos.

Il se mit à réfléchir, assez soucieux.

À ce moment, ils virent arriver Carcagne tout essoufflé et qui s’arrêta tout interloqué quand il vit Pardaillan. Gringaille le rassura en quelques mots. Alors, Carcagne renseigna:

– Il vient. La Galigaï le suit sans qu’il s’en doute… et Escargasse les suit tous les deux.

Une lueur joyeuse passa dans l’œil clair de Pardaillan. Il entraîna ses deux compagnons dans une encoignure et il expliqua:

– Puisque Concini vient ici, c’est que votre chef n’est pas mort, comme je l’ai craint un moment. Il s’agit donc d’entrer là-dedans assez à temps pour empêcher Concini de commettre le meurtre qu’il n’a pu commettre encore. Je m’en charge. M meConcini, qui suit son époux, sans que celui-ci s’en doute, m’ouvrira la porte. Le reste me regarde.

Ils ne connaissaient pas Pardaillan. Cependant son assurance était telle, si puissante était l’espèce de fascination que cet homme extraordinaire exerçait sur tous ceux qui l’approchaient, qu’ils ne doutèrent pas un instant de ses paroles. Et la frénésie avec laquelle Gringaille se frottait les mains indiquait combien il se félicitait de la bonne idée qu’il avait eue de recourir à lui.

Pardaillan, très calme, leur donna des ordres brefs, très clairs, écoutés avec un respect religieux. Et tous trois, dissimulés dans l’ombre, ils attendirent.

Enfin, Concini parut. Ils le laissèrent entrer sans bouger.

Lorsqu’il fut entré, Pardaillan alla se blottir dans un renfoncement qu’il avait remarqué à deux pas de la porte.

Léonora parut à son tour. Elle s’arrêta devant la porte et attendit, sans un appel, sans un geste, figée dans une immobilité de pierre.

Au bout d’un instant, la porte s’entrebâilla silencieusement. Une femme d’un certain âge se glissa dehors et prononça quelques paroles à voix basse.

Pas si basses cependant que Pardaillan ne les entendît. En sorte qu’au lieu de s’élancer, il se rencogna davantage, avec un sourire de satisfaction.

Léonora répondit quelques mots, tendit une bourse qui disparut en un clin d’œil, entra et ferma la porte sans bruit. La femme demeura un instant immobile sur le seuil, puis elle s’éloigna d’un pas nonchalant.

Pardaillan sortit de son coin et la rattrapa en quelques enjambées.

– Ma belle enfant, fit-il de son air le plus gracieux et le plus ingénu, j’ai absolument besoin de parler à M. Concini, votre maître. Auriez-vous l’extrême obligeance de m’ouvrir la porte de cette maison d’où je viens de vous voir sortir?

La «belle enfant» frisait la cinquantaine. C’était une virago, taillée en hercule femelle, qui paraissait douée d’une force peu commune et qui devait accomplir dans la petite maison quelque sinistre et terrible besogne: geôlière et bourreau, probablement.

À la demande de Pardaillan, une expression de méfiance inquiète se répandit sur son visage. Néanmoins, sensible à la politesse de ce galant chevalier, elle répondit en minaudant:

– Hélas! mon gentilhomme, je ne peux pas vous ouvrir, n’ayant pas la clé. Et quant à frapper à la porte, avant deux bonnes heures d’ici, je n’aurais garde de le faire, attendu que monseigneur a donné l’ordre de ne le point déranger et qu’il me chasserait si je lui désobéissais.

Pardaillan tendit deux pièces d’or et, de son air le plus naïf, avec son inaltérable politesse:

– Mais, ma belle enfant, je ne vous demande pas de frapper à la porte. Je vous demande de me l’ouvrir, simplement.

Une lueur inquiétante passa dans l’œil de la virago. Mais la vue des deux pièces d’or réfréna ses velléités de violence. Elle s’en empara, les fit disparaître vivement, plongea dans sa plus gracieuse révérence et d’un air navré, sur un ton où perçait malgré elle une pointe d’ironie:

– Que le ciel vous bénisse, mon gentilhomme. Je suis vraiment désespérée de ne pouvoir satisfaire un aussi généreux seigneur. Mais, je vous l’ai dit: je n’ai pas la clé.

Et sur un ton où grondait une sourde menace, elle ajouta:

– N’insistez donc pas… et veuillez me laisser passer, je vous prie. Sans s’émouvoir, Pardaillan insinua avec douceur, mais en la fixant avec insistance:

– Bah! et cette clé que vous avez fait fabriquer tout exprès pour le service particulier de M meConcini et pour mieux trahir votre maître?… Cette clé peut bien m’ouvrir la porte à moi aussi.

La virago avait pâli. Mais elle connaissait sa force redoutable et un homme, deux hommes même n’étaient pas pour l’effrayer. Elle jeta un coup d’œil furtif autour d’elle. La rue était déserte, l’endroit écarté.

Menaçante, elle avança résolument sur Pardaillan qui lui barrait la route. Celui-ci ne bougea pas. Il étendit vivement le bras et la saisit au poignet. Il souriait toujours de l’air le plus aimable. Son geste n’était pas un geste de violence. Il l’avait prise par le poignet comme il lui aurait pincé le menton.

Et cependant les traits de la virago se contractèrent. Ce fut d’abord une expression de stupeur intense, puis une expression de douleur suivie d’un sourd gémissement. Pardaillan s’informa avec sollicitude:

– Vous ai-je fait mal, ma belle? Pourtant, c’est à peine si j’ai serré. Mais il ne lâchait pas prise pour cela. Et tout à coup, très froid:

– Écoute, dit-il, je n’ai pas de temps à perdre. Si tu ne m’ouvres pas, je te traîne jusqu’à cette porte, je frappe et je te livre à ton maître en lui apprenant que tu le trahis.

– Jésus Dieu!… Mais c’est le diable en personne!

– La clé! commanda impérieusement Pardaillan.

Et comme elle n’obéissait pas, il avança vers la porte, la traînant, comme il avait dit, sans effort apparent, et malgré qu’elle résistât bravement.

Cependant il l’avait amenée jusque devant la porte. Il allongea la main vers le marteau. Elle comprit qu’elle n’était pas de force à lutter contre ce singulier personnage. Elle se résigna. Elle sortit enfin la clé, la laissa tomber à terre et voulu s’enfuir, prise d’une terrible panique.

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