Concini eut une moue impertinente pour indiquer combien cette conversation l’assommait. Pardaillan continua sans s’émouvoir.
– M meConcini vous a remis certain papier contenant des indications précises au sujet d’un certain trésor appartenant à une certaine princesse Fausta.
– Eh bien? railla Concini.
– Eh bien, monsieur, je désire voir ce papier. Concini éclata de rire.
– Ah! per Bacco! l’aventure est plaisante!… Monsieur est un larron qui vient simplement réclamer sa part! Tudieu! quand je pense que j’ai failli être dupe de vos grands airs, monsieur l’honnête homme, c’est à crever de rire!
Pardaillan ne se fâcha pas. Il paraissait approuver doucement de la tête. Il reprit paisiblement:
– Remarquez que je ne demande pas que vous me donniez ce papier. Je demande à le voir, à le lire simplement.
– Simplement est merveilleux! s’esclaffa Concini. Vous avez bonne mémoire, paraît-il, monsieur; une seule lecture de ces précieuses indications vous suffira. Et vous espérez ensuite arriver bon premier, hein?
Pardaillan se leva et sa figure était telle que Concini fut à l’instant debout et repoussa son fauteuil pour se donner de l’espace. Pardaillan allongea le bras et posa son index à deux pouces de la poitrine de Concini, et d’une voix terrible à force de calme:
– Vous m’avez demandé qui j’étais et je vous ai dit que j’étais le compagnon de ce jeune homme que vous avez lâchement et traîtreusement enfermé dans un tombeau. Je vous l’ai dit parce que c’était vrai. Maintenant je vous dis: je suis cet homme qui a vaincu des puissances qui eussent pulvérisé tout autre que lui – je répète ce que votre épouse, ici même, a dit tout à l’heure. Je suis le père du fils de la princesse Fausta. Le père de celui à qui appartiennent ces millions… de celui que vous avez décidé froidement d’assassiner pour le dépouiller plus à l’aise. Ces millions que vous voulez voler, mon devoir est de les défendre envers et contre tous, puisqu’ils appartiennent à mon fils. Mon droit est de rentrer en possession de ce papier volé qui appartient à mon fils… Allons, drôle, donne ce papier.
Cette révélation inattendue abasourdit Concini. Il ne douta pas un instant de la parole de Pardaillan. Il se raidit quand même et tenta une résistance:
– Et si je refuse? fit-il d’un air de défi.
Pardaillan tira sa longue rapière, en plaça la pointe sur la gorge de Concini qui se redressa, et de cette voix blanche qu’il avait dans ses moments de violente colère:
– Le papier, dit-il, ou ta dernière heure est venue.
Concini lut sa condamnation dans les yeux de Pardaillan. D’un geste instinctif, il porta la main à son pourpoint, mais en même temps, de la tête, furieusement, il fit: non!
Froidement, Pardaillan poussa la pointe. Concini, vaincu, sortit la main de son pourpoint et tendit le papier qu’elle venait d’y prendre. Il était temps. Une larme rouge perla à l’endroit où s’était appuyée la pointe de la rapière, glissa lentement sur le cou, tomba sur le col de dentelle, sur lequel elle fit une tache rouge, pareille à une petite fraise, que Concini, livide de honte, regarda machinalement.
Pardaillan rengaina. Il s’assit commodément et se mit à lire attentivement, aussi dédaigneux de Concini que s’il n’avait pas été là. Quand il eut achevé sa lecture, il avait au coin de l’œil cette lueur malicieuse qui dénotait qu’il s’apprêtait à jouer un bon tour de sa façon.
– Monsieur, dit-il avec un air figue et raisin, je vous ai demandé de me faire voir ce papier. Je l’ai vu. Je vous le rends. Le voici.
Pour le coup, Concini faillit tomber à la renverse. Que signifiait cette plaisanterie? Qu’était-ce que cet homme et que voulait-il au bout du compte?
– Monsieur, reprit Pardaillan avec cette physionomie et cette intonation bizarres qui faisaient qu’il était impossible de savoir s’il parlait sérieusement ou s’il raillait, en m’introduisant chez vous, à votre insu, je n’avais qu’un but: délivrer ce jeune homme que vous séquestrez et auquel je m’intéresse. J’aurais pu, avec l’aide des trois compagnons que vous avez vus, et même tout seul, j’aurais pu délivrer malgré vous ce jeune homme. Mais je ne suis pas un homme de violence, moi. Ce que je vous dis là vous étonne à cause de mon geste de tout à l’heure.
Mais ceci n’a été qu’un moment d’oubli que je regrette déjà parce que, je vous le répète, je ne suis pas un violent. La preuve en est que pouvant délivrer, monsieur, Jehan le Brave malgré vous, je préfère acheter sa liberté. Et, en conséquence, je vous propose un petit marché. Concini était complètement désemparé. Les manières de cet homme extravagant le déroutaient. Il ne savait plus que penser. Il ne savait même plus s’il devait le redouter ou si, malgré ses menaces et ses voies de fait, il ne devait pas se féliciter de la rencontre. Il ne répondit donc pas et attendit que Pardaillan dévoilât complètement sa pensée. Celui-ci, prenant son silence pour une approbation, continua:
– Je vous demande donc la liberté de Jehan le Brave… En échange de quoi je vous autorise à prendre et garder pour vous tout ce que vous trouverez à l’endroit indiqué sur ce papier que je viens de vous rendre.
Concini sursauta:
– Quoi, monsieur, s’écria-t-il, vous voulez… Mais ce trésor appartient à votre fils!
– Sans doute, monsieur, fit Pardaillan de ce même air qui eût donné à réfléchir à Concini s’il l’avait connu. Je vous entends. Vous vous dites que je n’ai pas le droit de faire perdre dix millions à mon fils. Mais remarquez que ce fils, je ne le connais pas et je ne sais si je le connaîtrai jamais. En revanche, je connais Jehan le Brave, et je vous l’ai dit, je m’intéresse à lui.
Plus éberlué que jamais, vaguement méfiant, Concini murmura:
– Pourtant dix millions, diable! c’est une somme qu’on n’abandonne pas avec pareille désinvolture.
Et en disant ces mots pour lui-même, assez haut cependant pour être entendu, il scrutait attentivement la physionomie de son interlocuteur.
Pardaillan paraissait très sérieux. Concini eut beau l’étudier, il ne vit en lui aucune pensée de raillerie ou de supercherie. Le personnage avait plutôt l’air naïf et, en rapprochant cet air de naïveté des gestes accomplis, des paroles prononcées, le Florentin en venait à se persuader qu’il se trouvait en présence, sinon d’un fou, du moins de quelque esprit passablement détraqué.
Ce que Concini ne vit pas, par exemple, ce fut, au coin de l’œil, cette jubilation de l’homme qui s’amuse follement. Ce qu’il ne perçut pas ce fut l’ironie dans ces paroles prononcées avec un naturel parfait.
– Ces scrupules vous honorent. Mais soyez rassuré, le trésor que je lui donnerai, moi, est tel que ce que je vous abandonne n’est rien en comparaison. En conséquence, quittez tout souci à ce sujet.
– Vous êtes donc bien riche? s’écria Concini avec déjà une involontaire nuance de respect.
– Je me trouve fabuleusement riche, répondit assez énigmatiquement Pardaillan.
Et il ajouta:
– Acceptez-vous, oui ou non, monsieur?
Ce qui arrivait à Concini le submergeait d’étonnement. S’être vu sous le coup d’une dénonciation qui pouvait l’envoyer droit à l’échafaud. Avoir été insulté, menacé, violenté. S’être vu à deux doigts de la mort. Avoir été bafoué, raillé, dépouillé. Tout cela pour, finalement, se trouver sain et sauf, remis en possession du précieux papier et enfin aboutir à cette offre extraordinaire de lui abandonner le trésor en échange de la liberté de Jehan.
C’était fantastique, inouï, incroyable. L’abandon du trésor, en soi, le laissait indifférent. Cela ne l’eût nullement empêché de chercher à s’approprier un bien qui ne lui appartenait pas. Mais que de difficultés à surmonter, que d’obstacles à supprimer. Grâce à ce don volontaire tout s’aplanissait, tous les obstacles disparaissaient. Et quelle force pour lui de pouvoir dire aux compétiteurs qui ne manqueraient pas de surgir: ce que je veux prendre m’appartient puisqu’il m’a été donné en toute propriété.
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