Tandis que ses compagnons étaient au jardin, elle vit poindre la meute annoncée par ses aboiements. Bientôt elle put compter les chiens qui la composaient.
Ils étaient huit d’une même taille et d’une même couleur avec de grandes oreilles pendantes. Delphine s’inquiétait d’être seule pour les accueillir. Enfin, le chat sortit du jardin, précédant Marinette qui portait un énorme bouquet de roses, de jasmin, de lilas, d’œillets. Il était temps. Les chiens arrivaient sur la route. Le chat s’avança à leur rencontre et leur dit aimablement :
— Vous venez pour le cerf ! Il est passé par ici il y a un quart d’heure.
— Veux-tu dire qu’il est reparti ? demanda un chien d’un air méfiant.
— Oui, il est entré dans la cour et il en est ressorti aussitôt. Il y avait déjà un chien sur sa trace, un chien pareil à vous et qui s’appelle Pataud.
— Ah ! oui… Pataud… en effet.
— Je vais vous dire exactement la direction qu’a prise le cerf.
— Inutile, grogna un chien, nous saurons bien retrouver sa trace.
Marinette s’avança tout contre la meute et interrogea :
— Lequel d’entre vous s’appelle Ravageur ? Pataud m’a donné une commission pour lui. Il m’avait bien dit : « Vous le reconnaîtrez facilement, c’est le plus beau de tous… »
Ravageur fit une courbette et sa queue frétilla.
— Ma foi, poursuivit Marinette, j’hésitais à vous reconnaître. Vos compagnons sont si beaux ! Vraiment, on n’a jamais vu d’aussi beaux chiens…
— Ils sont bien beaux, appuya Delphine. On ne se lasserait pas de les admirer. La meute fit entendre un murmure de satisfaction et toutes les queues se mirent à frétiller.
— Pataud m’a donc chargée de vous offrir à boire. Il paraît que ce matin, vous étiez un peu fiévreux et il a pensé qu’après une si longue course vous aviez besoin de vous rafraîchir. Tenez, voilà un seau d’eau qui sort du puits… Si vos compagnons veulent en profiter aussi…
— Ce n’est pas de refus, firent les chiens. La meute se pressa-autour du seau et il y eut même un peu de désordre. Cependant, les petites leur faisaient compliment de leur beauté et de leur élégance.
— Vous êtes si beaux, dit Marinette, que je veux vous faire un cadeau de mes fleurs. Jamais chiens ne les auront mieux méritées.
Pendant qu’ils buvaient, les petites qui s’étaient partagé le bouquet, se hâtaient de passer des fleurs dans leurs colliers. En un moment, chacun d’eux fut pourvu d’une collerette bien fournie, la rose alternant avec l’œillet, le lilas avec le jasmin. Ils prenaient plaisir à s’admirer les uns les autres.
— Ravageur, encore un jasmin… le jasmin vous va si bien ! mais dites-moi, peut-être avez-vous encore soif ?
— Non, merci, vous êtes trop aimable. Il nous faut rattraper notre cerf…
Pourtant, les chiens ne se pressaient pas de partir.
Ils tournaient en rond d’un air inquiet, sans pouvoir se décider à prendre une direction. Ravageur avait beau promener son museau sur le sol, il ne retrouvait pas la trace du cerf. Le parfum de l’œillet, du jasmin, de la rose et du lilas, qui lui venait à pleines narines, lui masquait en même temps l’odeur de la bête. Et ses compagnons, pareillement engoncés dans leurs collerettes de fleurs et de parfums, reniflaient en vain.
Ravageur finit par s’adresser au chat :
— Voudrais-tu nous indiquer la direction qu’a prise le cerf ?
— Volontiers, répondit le chat. Il est parti de ce côté-là et il est entré dans la forêt à l’endroit où elle fait une pointe sur la campagne.
Ravageur dit adieu aux petites et la meute fleurie s’éloigna au galop. Quand elle eut disparu dans les bois, le chien Pataud sortit du jardin où il était resté caché et demanda qu’on fit venir le cerf.
— Puisque j’ai tant fait que de me joindre au complot, dit-il, je veux encore lui donner un avis.
Marinette fit sortir le cerf de la maison. Il apprit en tremblant à quels dangers il venait d’échapper.
— Vous voilà sauvé pour aujourd’hui, lui dit le chien après qu’il eut remercié son monde, mais demain ? Je ne veux pas vous effrayer, mais pensez aux chiens, aux chasseurs, aux fusils. Croyez-vous que mon maître vous pardonnera de lui avoir échappé ? Un jour ou l’autre, il lancera la meute à votre poursuite. Moi-même il me faudra vous traquer et j’en serai bien malheureux. Si vous étiez sage, vous renonceriez à courir par les bois.
— Quitter les bois ! s’écria le cerf. Je m’ennuierais trop. Et puis, où aller ? Je ne peux pas rester dans la plaine à la vue des passants.
— Pourquoi pas ? C’est à vous d’y réfléchir. En tout cas, pour l’instant, vous y êtes plus en sûreté que dans la forêt. Si vous m’en croyez, vous resterez par ici jusqu’à la nuit tombée. J’aperçois là-bas, en bordure de la rivière, des buissons qui vous feraient une bonne cachette. Et maintenant, adieu, et puissé-je ne jamais vous rencontrer dans nos bois. Adieu les petites, adieu le chat, et veillez bien sur notre ami.
Peu après le départ du chien, le cerf à son tour faisait ses adieux et gagnait les buissons de la rivière.
Plusieurs fois, il se retourna pour faire signe aux petites qui agitaient leurs mouchoirs. Lorsqu’il fut à l’abri, Marinette songea enfin au poussin qu’elle avait oublié sous la corbeille. Croyant la nuit tombée, il s’était endormi.
En rentrant de la foire où ils s’étaient rendus depuis le matin dans l’intention d’acheter un bœuf, les parents se montrèrent de mauvaise humeur. Ils n’avaient pas pu acheter de bœuf, tout étant hors de prix.
— C’est malheureux, rageaient-ils, avoir perdu toute une journée pour ne rien trouver. Et avec quoi allons-nous travailler ?
— Il y a tout de même un bœuf à l’écurie ! firent observer les petites.
— Bel attelage ! Comme si un bœuf pouvait suffire ! Vous feriez mieux de vous taire. Et puis, on dirait qu’il s’est passé ici de bien drôles de choses en notre absence. Pourquoi ce seau est-il à l’entrée de la cour ?
— C’est moi qui ai fait boire le veau tout à l’heure, dit Delphine, et j’aurai oublié de remettre le seau en place.
— Hum ! Et cette fleur de jasmin et cet œillet qui traînent là par terre ?
— Un œillet ? firent les petites. Tiens, c’est vrai…
Mais sous le regard des parents, elles ne purent pas s’empêcher de rougir. Alors, saisis d’un terrible soupçon, ils coururent au jardin.
— Toutes les fleurs coupées ! le jardin dévalisé ! Les roses ! Les jasmins, les œillets, les lilas ! Petites malheureuses, pourquoi avez-vous cueilli nos fleurs ?
— Je ne sais pas, balbutia Delphine, nous n’avons rien vu.
— Ah ! vous n’avez rien vu ? Ah ! vraiment ?
Voyant les parents qui se préparaient à tirer les oreilles de leurs filles, le chat sauta sur la plus basse branche d’un pommier et leur dit sous le nez :
— Ne vous emportez pas si vite. Je ne suis pas bien surpris que les petites n’aient rien vu. A midi, pendant qu’elles déjeunaient, je me chauffais sur le rebord de la fenêtre et j’ai aperçu un vagabond qui lorgnait le jardin depuis la route. Je me suis endormi sans y prendre garde autrement. Et un moment plus tard, comme j’ouvrais un œil, j’ai vu mon homme s’éloigner sur la route en tenant quelque chose à pleins bras.
— Fainéant, ne devais-tu pas courir après lui ?
— Et qu’aurais-je fait, moi, pauvre chat ? Les vagabonds ne sont pas mon affaire. Je suis trop petit. Ce qu’il faudrait ici, c’est un chien. Ah ! s’il y avait eu un chien !
— Encore plutôt, grommelèrent les parents. Nourrir une bête à ne rien faire ? C’est déjà bien assez de toi.
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