Simenon, Georges - Maigret chez les Flamands

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Quand Maigret descendit du train, en gare de Givet, la première personne qu'il vit, juste en face de son compartiment, fut Anna Peeters. à croire qu'elle avait prévu qu'il s'arrêterait à cet endroit du quai exactement !
Elle n'en paraissait pas étonnée, ni fière. Elle était telle qu'il l'avait vue à Paris, telle qu'elle devait être toujours, vêtue d'un tailleur gris fer, les pieds chaussés de noir, chapeautée de telle sorte qu'il était impossible de se souvenir ensuite de la forme ou même de la couleur de son chapeau.
[http://www.amazon.fr/Chez-flamands-Georges-Simenon/dp/2253124931](http://www.amazon.fr/Chez-flamands-Georges-Simenon/dp/2253124931)

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GEORGES SIMENON

Maigret chez

les Flamands

Maigret XIV

ARTHÈME FAYARD I Anna Peeters Quand Maigret descendit du train en gare de - фото 1

ARTHÈME FAYARD

I

Anna Peeters

Quand Maigret descendit du train, en gare de Givet, la première personne qu’il vit, juste en face de son compartiment, fut Anna Peeters.

À croire qu’elle avait prévu qu’il s’arrêterait à cet endroit du quai exactement ! Elle n’en paraissait pas étonnée, ni fière. Elle était telle qu’il l’avait vue à Paris, telle qu’elle devait être toujours, vêtue d’un tailleur gris fer, les pieds chaussés de noir, chapeautée de telle sorte qu’il était impossible de se souvenir ensuite de la forme ou même de la couleur de son chapeau.

Ici, dans le vent qui balayait le quai où n’erraient que quelques voyageurs, elle paraissait plus grande, un peu plus forte.

Elle avait le nez rouge et elle tenait à la main un mouchoir roulé en boule.

— J’étais sûre que vous viendriez, monsieur le commissaire…

Était-elle sûre d’elle ou sûre de lui ? Elle ne souriait pas pour l’accueillir. Elle questionnait déjà :

— Vous avez d’autres bagages ?

Non ! Maigret n’avait que son sac à soufflets, en gros cuir culotté, et il le portait lui-même, malgré son poids.

Le train n’avait laissé sur le quai que des voyageurs de troisième classe qui avaient déjà disparu. La jeune fille tendait son ticket de quai à l’employé, qui la regarda avec insistance.

Dehors, elle reprit sans embarras :

— J’ai d’abord pensé à vous préparer une chambre à la maison. Puis j’ai réfléchi. Je suppose qu’il vaut mieux que vous descendiez à l’hôtel. Alors, j’ai retenu la meilleure chambre à l’Hôtel de la Meuse…

Ils avaient à peine parcouru cent mètres dans les petites rues de Givet que déjà tout le monde se retournait sur eux. Maigret marchait lourdement, en traînant sa valise à bout de bras. Il essayait de tout observer : les gens, les maisons et surtout sa compagne.

— Quel est ce bruit ? questionna-t-il en entendant une rumeur qu’il ne parvenait pas à identifier.

— La Meuse en crue, qui bat les piles du pont… Il y a trois semaines que la navigation est arrêtée…

En débouchant d’une ruelle, on découvrait soudain le fleuve. Il était large. Ses rives étaient imprécises. Le flot brun, par endroits, s’étalait sur les prairies. Ailleurs, un hangar émergeait de l’eau. Cent péniches pour le moins, des remorqueurs, des dragues étaient là, serrés l’un contre l’autre, formant un vaste bloc.

— Voici votre hôtel… Il n’est pas très confortable… Désirez-vous vous arrêter pour prendre un bain ?…

C’était ahurissant ! Maigret était incapable de définir son impression. Jamais, sans doute, une femme n’avait autant éveillé sa curiosité que celle-ci, qui restait calme, sans rire, sans essayer de paraître jolie, et qui tapotait parfois ses narines de son mouchoir.

Elle devait avoir entre vingt-cinq et trente ans. Beaucoup plus grande que la moyenne, elle avait une charpente solide, une ossature qui enlevait toute grâce à ses traits.

Des vêtements de petite bourgeoise, d’une extrême sobriété. Un maintien calme, presque distingué.

Elle avait l’air de le recevoir. Elle était chez elle. Elle pensait à tout.

— Je n’ai aucune raison de prendre un bain.

— Dans ce cas, voulez-vous venir tout de suite à la maison ? Donnez votre valise au garçon… Garçon !… Portez cette valise au 3… Monsieur viendra tout à l’heure.

Et Maigret pensait en l’observant du coin de l’œil :

— Je dois paraître idiot !

Car il n’avait quand même rien d’un petit garçon ! Si elle n’était pas mièvre, il était deux fois plus large qu’elle et son gros pardessus lui donnait l’air d’être taillé dans la pierre.

— Vous n’êtes pas trop fatigué ?

— Je ne suis pas fatigué du tout !

— Dans ce cas, je peux déjà, chemin faisant, vous donner les premières indications…

Les premières indications, elle les lui avait données à Paris ! Un beau jour, en arrivant à son bureau, il avait trouvé cette inconnue qui l’attendait depuis deux ou trois heures et que le garçon n’était pas parvenu à décourager.

— C’est personnel ! avait-elle affirmé comme il la questionnait devant deux inspecteurs.

Et, une fois en tête à tête, elle lui avait tendu une lettre. Maigret avait reconnu l’écriture d’un cousin de sa femme qui habitait Nancy.

Mon cher Maigret,

Mlle Anna Peeters m’est recommandée par mon beau-frère qui l’a connue voilà une dizaine d’années. C’est une jeune fille très sérieuse, qui te racontera elle-même ses malheurs. Fais ce que tu pourras pour elle…

— Vous habitez Nancy ?

— Non, Givet !

— Pourtant, cette lettre…

— Je suis allée à Nancy tout exprès, avant de venir à Paris. Je savais que mon cousin connaissait quelqu’un d’important à la police…

Ce n’était pas une solliciteuse banale. Elle ne baissait pas les yeux. Sa contenance était sans humilité. Elle parlait net et regardait droit devant elle, comme pour réclamer son dû.

— Si vous n’acceptez pas de vous occuper de nous, nous sommes perdus, mes parents et moi, et ce sera la plus odieuse erreur judiciaire…

Maigret avait pris quelques notes résumant son récit. Une histoire de famille assez embrouillée.

Les Peeters, qui tenaient une épicerie à la frontière belge… Trois enfants : Anna, qui les aidait dans leur commerce ; Maria, qui était institutrice, et Joseph, étudiant en droit à Nancy… Joseph avait eu un enfant d’une jeune fille du pays… L’enfant avait trois ans… Or, la jeune fille avait soudain disparu et l’on accusait les Peeters de l’avoir tuée ou de la séquestrer…

Maigret n’avait pas à se mêler de cela. Un collègue de Nancy était sur l’affaire. Il lui avait télégraphié et en avait reçu une réponse catégorique :

Peeters archi coupable. Stop. Arrestation prochaine.

Cela l’avait décidé. Il arrivait à Givet, sans aucune mission, sans titre officiel. Et, dès la gare, il tombait sous la tutelle de cette Anna, qu’il ne se lassait pas d’observer.

Le courant était violent. Le flot formait des cascades bruyantes à chaque pile du pont et charriait des arbres entiers. Le vent, qui s’engouffrait dans la vallée de la Meuse, prenait le fleuve à rebrousse-poil, soulevait l’eau à des hauteurs inattendues et créait de vraies vagues.

Il était trois heures de l’après-midi. La nuit s’annonçait.

Il y avait des courants d’air dans les rues presque désertes et les rares passants marchaient vite, et Anna n’était pas la seule à se moucher.

— Regardez cette ruelle, à gauche…

La jeune fille marquait un temps d’arrêt, discrètement, désignait d’un geste à peine perceptible la seconde maison de la ruelle. Une maison pauvre, à un seul étage. Il y avait déjà de la lumière – celle d’une lampe à pétrole – à une fenêtre.

— C’est là qu’elle habite !

— Qui ?

— Elle ! Germaine Piedbœuf… La fille qui…

— Celle à qui votre frère a fait un enfant ?

— Si c’est de lui ! Ce n’est même pas prouvé… Regardez…

Sur un seuil, on voyait un couple : une fille sans chapeau, une petite ouvrière d’usine sans doute, et le dos d’un homme qui l’étreignait.

— C’est elle ?

— Non, puisqu’elle a disparu… Mais c’est la même race… Vous comprenez ?… Elle est parvenue à faire croire à mon frère…

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