Simenon, Georges - Maigret a peur

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***Maigret a peur*** se situe à Fontenay-le-Comte, alors que Maigret séjourne chez son ami le juge d'instruction Julien Chabot.
Il est alors confronté à une énigme, l'assassinat de trois personnes : Robert de Courçon, un aristocrate, une ancienne sage-femme et un ivrogne.

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1 Le petit train sous la pluie Tout à coup entre deux petites gares dont il - фото 1

1 Le petit train sous la pluie Tout à coup entre deux petites gares dont il - фото 2

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Le petit train sous la pluie

Tout à coup, entre deux petites gares dont il n’aurait pu dire le nom et dont il ne vit presque rien dans l’obscurité, sinon des lignes de pluie devant une grosse lampe et des silhouettes humaines qui poussaient des chariots, Maigret se demanda ce qu’il faisait là.

Peut-être s’était-il assoupi un moment dans le compartiment surchauffé ? Il ne devait pas avoir perdu entièrement conscience car il savait qu’il était dans un train ; il en entendait le bruit monotone ; il aurait juré qu’il avait continué à voir, de loin en loin, dans l’étendue obscure des champs, les fenêtres éclairées d’une ferme isolée. Tout cela, et l’odeur de suie qui se mélangeait à celle de ses vêtements mouillés, restait réel, et aussi un murmure régulier de voix dans un compartiment voisin, mais cela perdait en quelque sorte de son actualité, cela ne se situait plus très bien dans l’espace, ni surtout dans le temps.

Il aurait pu se trouver ailleurs, dans n’importe quel petit train traversant la campagne et il aurait pu être, lui, un Maigret de quinze ans qui s’en revenait le samedi du collège par un omnibus exactement pareil à celui-ci, aux wagons antiques dont les cloisons craquaient à chaque effort de la locomotive. Avec les mêmes voix, dans la nuit, à chaque arrêt, les mêmes hommes qui s’affairaient autour du wagon de messageries, le même coup de sifflet du chef de gare.

Il entrouvrit les yeux, tira sur sa pipe qui s’était éteinte et son regard se posa sur l’homme assis dans l’autre coin du compartiment. Celui-ci aurait pu se trouver, jadis, dans le train qui le ramenait chez son père. Il aurait pu être le comte, ou le propriétaire du château, le personnage important du village ou de n’importe quelle petite ville.

Il portait un costume de golf de tweed clair et un imperméable comme on n’en voit que dans certains magasins très chers. Son chapeau était un chapeau de chasse vert, avec une minuscule plume de faisan glissée sous le ruban. Malgré la chaleur, il n’avait pas retiré ses gants fauves, car ces gens-là n’enlèvent jamais leurs gants dans un train ou dans une auto. Et, en dépit de la pluie, il n’y avait pas une tache de boue sur ses chaussures bien cirées.

Il devait avoir soixante-cinq ans. C’était déjà un vieux monsieur. N’est-il pas curieux que les hommes de cet âge-là se préoccupent tellement des détails de leur apparence ? Et qu’ils jouent encore à se distinguer du commun des mortels ?

Son teint était du rose particulier à l’espèce, avec une petite moustache d’un blanc argenté dans laquelle se dessinait le cercle jaune laissé par le cigare.

Son regard, cependant, n’avait pas toute l’assurance qu’il aurait dû avoir. De son coin, l’homme observait Maigret qui, de son côté, lui jetait de petits coups d’œil, et qui, deux ou trois fois, parut sur le point de parler. Le train repartait, sale et mouillé, dans un monde obscur semé de lumières très dispersées et parfois, à un passage à niveau, on devinait quelqu’un à bicyclette qui attendait la fin du convoi.

Est-ce que Maigret était triste ? C’était plus vague que ça. Il ne se sentait pas tout à fait dans sa peau. Et d’abord, ces trois derniers jours, il avait trop bu, parce que c’était nécessaire, mais sans plaisir.

Il s’était rendu au congrès de police international qui, cette année-là, se tenait à Bordeaux. On était en avril. Quand il avait quitté Paris, où l’hiver avait été long et monotone, on croyait le printemps tout proche. Or, à Bordeaux, il avait plu pendant les trois jours, avec un vent froid qui vous collait les vêtements au corps.

Par hasard, les quelques amis qu’il rencontrait d’habitude dans ces congrès, comme Mr Pyke, n’y étaient pas. Chaque pays semblait s’être ingénié à n’envoyer que des jeunes, des hommes de trente à quarante ans qu’il n’avait jamais vus. Ils s’étaient tous montrés très gentils pour lui, très déférents, comme on l’est avec un aîné qu’on respecte en trouvant qu’il date un peu.

Était-ce une idée ? Ou bien la pluie qui n’en finissait pas l’avait-elle mis de mauvaise humeur ? Et tout le vin qu’ils avaient dû boire dans les caves que la Chambre de Commerce les invitait à visiter ?

— Tu t’amuses bien ? lui avait demandé sa femme au téléphone.

Il avait répondu par un grognement.

— Essaie de te reposer un peu. En partant, tu m’as paru fatigué. De toute façon, cela te changera les idées. Ne prends pas froid.

Peut-être s’était-il soudain senti vieux ? Même leurs discussions, qui portaient presque toutes sur de nouveaux procédés scientifiques, ne l’avaient pas intéressé.

Le banquet avait eu lieu la veille au soir. Ce matin, il y avait eu une dernière réception, à l’Hôtel de Ville cette fois, et un lunch largement arrosé. Il avait promis à Chabot de profiter de ce qu’il ne devait être à Paris que le lundi matin pour passer le voir à Fontenay-le-Comte.

Chabot non plus ne rajeunissait pas. Ils avaient été amis jadis quand il avait fait deux ans de médecine, à l’université de Nantes. Chabot, lui, étudiait le droit. Ils vivaient dans la même pension. Deux ou trois fois, le dimanche, il avait accompagné son ami chez sa mère, à Fontenay.

Et, depuis, à travers les années, ils s’étaient peut-être revus dix fois en tout.

— Quand viendras-tu me dire bonjour en Vendée ?

Mme Maigret s’était mise de la partie.

— Pourquoi, en revenant de Bordeaux, ne passerais-tu pas voir ton ami Chabot ?

Il aurait dû être à Fontenay depuis deux heures déjà. Il s’était trompé de train. À Niort, où il avait attendu longtemps, à boire des petits verres dans la salle d’attente, il avait hésité à téléphoner pour que Chabot vienne le prendre en voiture.

Il ne l’avait pas fait, en fin de compte, parce que, si Julien venait le chercher, il insisterait pour que Maigret couche chez lui, et le commissaire avait horreur de dormir chez les gens.

Il descendrait à l’hôtel. Une fois là, seulement, il téléphonerait. Il avait eu tort de faire ce détour au lieu de passer chez lui, boulevard Richard-Lenoir, ces deux jours de vacances. Qui sait ? Peut-être qu’à Paris, il ne pleuvait plus et que le printemps était enfin arrivé.

— Ainsi, ils vous ont fait venir…

Il tressaillit. Sans s’en rendre compte, il avait dû continuer à regarder vaguement son compagnon de voyage et celui-ci venait de se décider à lui adresser la parole. On aurait dit qu’il en était gêné lui-même. Il croyait devoir mettre dans sa voix une certaine ironie.

— Pardon ?

— Je dis que je me doutais qu’ils feraient appel à quelqu’un comme vous.

Puis, Maigret n’ayant toujours pas l’air de comprendre :

— Vous êtes bien le commissaire Maigret ?

Le voyageur redevenait homme du monde, se soulevait, sur la banquette pour se présenter : — Vernoux de Courçon.

— Enchanté.

— Je vous ai reconnu tout de suite, pour avoir vu souvent votre photographie dans les journaux.

À la façon dont il disait cela, il avait l’air de s’excuser d’être de ceux qui lisent les journaux.

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