Le Petit Docteur nota tout cela avec application, comme un élève consciencieux. Puis il se dirigea vers la gare des voyageurs et se livra à une longue enquête auprès des employés. Ce fut pour lui une occasion de plus de constater combien les renseignements les plus simples sont les plus difficiles à obtenir.
Il lui fallut près de deux heures pour apprendre :
1° Que la nommée Marthe Donville avait répété mot pour mot au commissaire spécial de la gare le récit qu’elle avait fait dans le train au contrôleur ;
2° Qu’elle était en effet très blonde, probablement oxygénée, et d’une élégance moyenne ;
3° Que son manteau de fourrure, d’après le commissaire, était en lapin et ne valait guère plus de quinze cents à deux mille francs ;
4° Qu’elle portait effectivement une petite mallette en fibre, de couleur claire, comme on en vend dans toutes les maisons d’articles de voyage et dans tous les bazars ;
5° Qu’elle ne paraissait pas désireuse de porter plainte, mais que, sur l’insistance du commissaire, elle avait signé sa déposition d’une écriture assez fruste ;
6° Qu’elle s’était ensuite dirigée vers la sortie…
Le Petit Docteur questionna l’employé qui, cette nuit-là, prenait les billets des voyageurs. Il avait remarqué la jeune femme, car peu de gens descendent à Laroche-Migennes, où l’on change plutôt de train.
— Y avait-il quelqu’un qui l’attendait ?
— Je n’ai vu personne… Il pleuvait à torrents… Devant la gare, il n’y avait qu’un vieux fiacre, qui stationne chaque soir jusqu’à minuit… Mais la personne en question n’y est pas montée… Elle ne s’est pas dirigée non plus vers l’hôtel qui est sur la place… Elle a tourné à droite, en marchant vite, comme quelqu’un qui connaît la ville.
Personne ne l’avait revue et c’est en vain que Dollent fit, comme un authentique inspecteur de police, le tour des hôtels de Laroche, où aucune jeune femme n’était descendue cette nuit-là et où, depuis quinze jours, personne ne s’était inscrit sous le nom de Marthe Donville.
Fallait-il croire que la voyageuse n’avait pas menti et qu’elle s’était réellement rendue chez sa sœur ? Celle-ci, si elle était mariée, portait un autre nom et il devenait impossible de la retrouver.
Mais pourquoi avait-elle donné une fausse adresse à Paris ?
Le Petit Docteur en était là de ses réflexions et il venait d’entrer dans un café pour avaler un grog, quand il sursauta : il venait de reconnaître un des consommateurs, qui lisait un journal.
C’était son fabricant de cierges, M. Etienne Chaput, qui ne manifesta aucun embarras et qui vint à lui, sa molle main tendue.
— Hier au soir, j’ai pensé que je pourrais peut-être vous aider et, comme les affaires sont calmes en ce moment, j’ai pris le train… Je savais que je ne manquerais pas de vous retrouver ici… Eh bien ! Docteur, avez-vous déjà trouvé quelque chose ?…
Il s’efforçait de sourire, ce qui rendait son visage encore plus flasque.
II
Où le Petit Docteur, patiemment, remonte une piste comme un nageur remonte le courant, et où il commence à avoir l’impression qu’on se moque de lui
— Je ne veux pas vous importuner par ma présence ! protestait Etienne Chaput… Si vous voulez, je m’installerai ici… Vous n’aurez qu’à me faire signe quand vous aurez besoin de moi… De mon côté, je ne m’occuperai de rien. J’ai d’ailleurs emporté mon facturier et je vais profiter du temps que j’aurai de libre pour mettre certains comptes à jour…
Il avait pris pension dans un hôtel moyen, la Cloche-d’Or, et le Petit Docteur, dès huit heures du matin, s’était mis en chasse.
Le temps était gris, humide. Les arbres avaient déjà perdu la plupart de leurs feuilles et il y avait une boue épaisse dans les chemins.
Aucune route ne longeant la voie du chemin de fer, le Petit Docteur était obligé de s’engager dans des chemins de traverse, à la recherche de son « kilomètre 139 ». Mais, avant de le trouver, il questionna le garde-barrière de Cézy.
— Vous souvenez-vous de la nuit où le rapide 19 s’est arrêté à hauteur de votre passage à niveau ?… Pourriez-vous me dire si, vers le moment où le rapide s’est arrêté, il y avait une voiture en stationnement dans les environs ?
— Il n’y avait pas de voiture ! affirma le bonhomme sans une hésitation. La nuit, avec les phares, on les remarque. Et je l’aurais d’autant mieux remarquée que la barrière est restée fermée plus longtemps…
— Vous n’avez vu personne descendre du train ?
— Vous savez, d’ici, je ne distinguais guère que la locomotive… Un serre-freins a dû courir le long du train pour couvrir son convoi d’un feu rouge…
Cela aurait été trop beau, bien sûr ! Est-ce qu’il avait vraiment espéré que le garde lui déclarerait : « En effet, il y avait une puissante auto qui attendait près de la barrière… J’ai vu une ombre se faufiler le long du train… L’homme est monté dans la voiture et, dès que la barrière a été ouverte, celle-ci s’est élancée à une allure folle…»
— Le kilomètre 139 est loin d’ici ?
— À peu près au petit bois que vous apercevez à droite… Mais il n’est pas permis de suivre la voie, ou alors vous devez aller à pied à travers les taillis…
C’est ce qu’il fit. Il était bien décidé à poursuivre son enquête patiemment, à rechercher avec soin les plus petits détails avant de se lancer dans des raisonnements prestigieux.
Laissant Ferblantine sur la route, il s’engagea dans un sentier étroit, où les ronces mouillées l’accrochaient au passage, et c’était autour de lui le morne décor qui borde le plus souvent les voies de chemin de fer, poteaux télégraphiques, ballast noirci et bois pelé, encombré de mauvaises herbes comme un terrain vague.
Il y avait au moins un quart d’heure qu’il pataugeait de la sorte et ses souliers commençaient à prendre l’eau par le dessus, quand le paysage changea assez brusquement. Un ruisseau d’eau vive coulait à sa droite, et il devait être plein d’écrevisses. Des saules le bordaient. Une prairie s’élevait en pente douce, avec des vaches noires et blanches, le toit d’une ferme se dessinait sur le ciel nuageux.
Puis, soudain, ce fut une route, non une route goudronnée, mais une bonne route de campagne, bien entretenue.
À travers les arbres, le Petit Docteur eut l’impression d’apercevoir des escarpolettes et il pressa le pas, découvrit bientôt une façade avenante, un pignon où s’étalait une réclame pour un apéritif, des bancs peints en vert aux côtés de la porte.
Au Rendez-Vous-des-Fins-Pêcheurs, disait une enseigne où l’on avait naïvement essayé de reproduire une truite saumonée comme il n’y en avait certes pas dans le ruisseau.
— Quelqu’un ! appela-t-il… Allô !… Patron !…
Il fut stupéfait de voir une admirable fille sortir d’une arrière-salle. Elle était grande, bien faite, avec un casque de cheveux bruns, une poitrine solidement plantée et des hanches harmonieuses. Occupée aux soins du ménage, sans doute, elle s’essuyait les mains à son tablier.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ma foi, je ne serais pas fâché de boire une chopine de vin blanc.
— Au surplus, l’odeur qui règne chez vous me paraît si agréable qu’avec votre permission je déjeunerai ici…
— Léon !… cria la femme en se retournant. Viens un instant…
Elle ne le servait pas. Elle restait là, hésitante, et un homme maigre, qui ne paraissait pas bien éveillé, malgré l’heure, parut à son tour, examina l’étranger avec un certain cynisme.
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