Qui donc, la nuit précédente, avait pénétré dans cette cabine et…
— Je voudrais vous poser encore quelques questions, commissaire… On m’a affirmé que personne, du bateau, n’était descendu à terre… Mais a-t-on la même certitude que personne ne soit monté à bord ?
— Gardes et douaniers sont formels…
— Je pensais… Étant donné que Victor Hugo a pu disparaître en se servant du hublot et en nageant, est-ce qu’un homme venu en barque n’a pas pu…
— Nous sommes à six mètres au moins au-dessus du niveau de la mer… À moins de croire qu’il ait apporté une échelle… Ou que quelqu’un, de l’intérieur, lui ait lancé une corde…
Alors le Petit Docteur sourit et l’irascible commissaire se demanda pourquoi. C’est qu’il se passait un assez curieux phénomène. Au moment précis où Dollent abandonnait cette hypothèse d’un assassin venu du dehors, il sentait que cette idée frappait son interlocuteur et que celui-ci allait s’élancer sur cette piste.
Elle n’aboutirait nulle part !
Le déclic venait de se produire chez le Petit Docteur et il avait désormais une base, une vérité première : Ce n’était pas de quelqu’un venu du dehors que Popaul avait peur.
Sinon, pourquoi, durant toute la croisière, alors qu’on était en pleine mer et que personne ne pouvait monter à bord, aurait-il pris tant de précautions, au point de se faire accompagner par son nègre, du matin au soir, jusque dans la salle à manger ?
Et pourquoi était-ce justement à Bordeaux qu’il avait relâché sa surveillance ?
— Je me demande, dit-il à mi-voix, comme pour lui-même, pourquoi, alors qu’il était occupé à boire là-haut, il est descendu si précipitamment…
Les bagages étaient encore là. Le commissaire suivit le regard du Petit Docteur.
— J’ai tout fouillé cette nuit, s’empressa-t-il de déclarer. Je vous signale que dans la poche du mort on a retrouvé un revolver…
— Smith and Wesson ?
— Non… Un revolver à barillet, de fort calibre… Il y en a un autre dans le tiroir de cette, malle…
— Et nulle part vous n’avez trouvé un petit portefeuille en peau de crocodile ? Je vais peut-être vous donner un travail inutile, commissaire. Je crois, cependant, qu’il serait bon de fouiller minutieusement cette cabine et la salle de bains… Pendant ce temps, on pourrait enfermer les deux nègres à côté…
La fouille dura près d’une heure et le commandant, prévenant, fit servir des apéritifs. Dollent se tourna vers le steward et demanda :
— C’est vous qui, cette nuit, desserviez cette coursive ?
— Oui, monsieur…
— Quand vous avez donné l’alarme, pouvez-vous, préciser quelles sont les personnes qui arrivèrent les premières ?
— J’avoue n’avoir pas fait attention… J’étais très ému… C’est la première fois que je voyais un pareil spectacle… Je me souviens que le docteur…
— Mais les passagers ?… Est-ce que M. Lardilier est arrivé un des premiers ?
— Non ! Cela, je peux l’affirmer…
— Pourquoi ?
— Parce que, au milieu du tumulte, j’entendais une sonnerie. Je me demandais qui pouvait appeler à un tel moment. Je suis allé voir dans le couloir. La lampe était allumée au-dessus de la porte de M. Lardilier. J’ai frappé. Je suis entré. Il était dans son lit, de très mauvaise humeur, et il m’a demandé :
« — Qui est-ce qui fait tout ce vacarme ? Non seulement on nous retient à bord une nuit de trop, mais encore on nous empêche de dormir !… Dites au commandant…
— Vous l’avez mis au courant ?
— Oui… Il a passé une robe de chambre et il m’a suivi…
— Vous n’avez pas remarqué Mme Mandine ?
— Non…
— C’est moi qui l’ai soignée, intervint le médecin du bord. Quand elle a appris la mort de M. Cairol, elle est descendue, comme tout le monde… Mais elle n’est pas arrivée jusqu’ici et elle s’est évanouie dans l’escalier… C’est là que je l’ai rappelée à elle… Je l’ai fait conduire dans sa cabine par une stewardesse…
Alors le commissaire Frittet soupira :
— J’aime mieux vous annoncer tout de suite que, dans cet ordre d’idées, vous n’arriverez à rien… J’ai questionné les passagers et l’équipage la nuit même, alors que les souvenirs de chacun étaient encore chauds… J’ai pu constater qu’il est impossible, dans un navire, d’établir les faits et gestes de chaque personne à un moment donné… À part les quatre joueurs de bridge… Ceux-là ne pouvaient pas quitter leur table…
— Pardon ! Riposta le Petit Docteur. Vous ne devez pas être joueur de bridge, commissaire. Car, au bridge, il y a toujours un mort, c’est-à-dire un des partenaires qui peut quitter la table pendant les quelques minutes que dure une partie…
Ses petits yeux brillaient. C’était amusant de lancer ainsi le policier sur des pistes, amusant, surtout, de voir avec quelle ardeur il s’y précipitait :
— Vous pensez que ?…
— Je pense que nous ne saurons rien tant que nous n’aurons pas retrouvé le petit portefeuille dont je vous ai parlé… Je pense aussi que ce n’est pas nous qui le trouverons… Nous ne connaissons pas assez les bateaux pour cela… C’est vous, commandant, et votre officier mécanicien qui devez nous aider… Voyons… Si vous occupiez cette cabine et cette salle de bains et que vous ayez un portefeuille de petites dimensions à cacher, comment vous y prendriez-vous ?
On fit le tour de toutes les hypothèses. On fit sonner les uns après les autres les carreaux de céramique qui garnissaient les murs de la salle de bains. On alla jusqu’à démonter certaines tuyauteries ainsi que les quatre ventilateurs.
— Peut-on rendre ces malles inutilisables, commissaire ?
— Ma foi… Vous vous arrangerez avec le Parquet…
On les découpa littéralement en petits morceaux, pour s’assurer qu’elles ne contenaient pas de cachette… On examina les talons des souliers ayant appartenu à Popaul.
— Enfin, messieurs, il est impossible que… Mettons-nous tous dans la peau de cet homme… Il a un portefeuille à cacher… C’est une question de vie ou de mort…
Il commençait à s’impatienter, lui aussi. Il ne pouvait admettre sa défaite. Il regardait autour de lui en cherchant une inspiration. C’est alors que s’éleva la voix du commissaire.
— Si c’était une question de vie ou de mort, qui vous dit que l’assassin n’a pas emporté ce portefeuille ? Au surplus, docteur, il me semble que nous voilà bien loin de Mlle Lardilier, qui se trouvait bel et bien ici, l’arme du crime à la main, quand le steward… Je vous fais remarquer, enfin, que ses empreintes sont indiscutables et…
— Évidemment ! Évidemment ! grommela le Petit Docteur. Je crois que je vais aller faire un tour en ville pour me changer les idées…
Le commandant le rejoignit au fond de la coursive.
— Encore un mot, docteur… Je crois traduire le désir de la compagnie… J’ignore si vous découvrirez la vérité et je le souhaite… Mais je voudrais que, dans tous les cas, vous donniez à M. Lardilier l’impression que vous agissez dans un sens favorable à sa fille… Je voudrais qu’il sache que nous avons fait l’impossible pour la tirer d’affaire… Vous me comprenez ?…
Celui-là était sûrement amoureux d’Antoinette Lardilier et il s’éloignait en rougissant légèrement !
III
Où le Petit Docteur devient bavard et où, pris soudain du goût de la réclame, il se promène dans les salles de rédaction
— Si je me suis permis de vous déranger, c’est que je suis persuadé que votre fille n’a pas tué Paul Cairol… La compagnie, désireuse de découvrir la vérité, m’a chargé de faire une enquête conjointement à celle de la police… J’ai cru que je ne pouvais pas agir plus sagement qu’en venant vous trouver le premier…
Читать дальше