Simenon, Georges - Le petit docteur

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Nouvelles figurant également dans le recueil :
L'Amiral a disparu
L'amoureux aux pantoufles
La bonne fortune du Hollandais
Le château de l'arsenic
La demoiselle en bleu pâle
Le fantôme de Monsieur Marbe
Le flair du Petit Docteur
Les mariés du 1er décembre
Le mort tombé du ciel
Le passager et son nègre
La piste de l'homme roux
Rendez-vous avec un mort
La sonnette d'alarme
Une femme a crié
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« C’est tout… Vous pouvez vous servir de ces révélations ! Pour votre journal…

Dix minutes plus tard, il grimpait les escaliers de la France de Bordeaux et du Sud-Ouest, le journal concurrent, et il se montrait aussi cabotin que précédemment, recommençait toute son histoire, avec des enjolivures par surcroît :

— Je prétends que mon raisonnement nous amène fatalement à dire que…

Une journée exaltante, vraiment ! Ce beau bateau blanc dans le soleil, ces uniformes, ces officiers si aimables, et lui qui se sentait si léger, si subtil, et qui avait l’impression de jongler avec le sort des gens !

Jamais il ne s’était autant agité de sa vie. Sa chemise lui collait au dos. Bien qu’on fût déjà en septembre, le bitume semblait fondre dans les rues où le sol était mou comme un épais tapis.

— À la police ! cria-t-il au chauffeur de son taxi. Car il avait laissé Ferblantine sur le quai.

— Je me suis permis, commissaire… Voici… Je voudrais vous demander deux petits services… D’abord, que vous fassiez surveiller discrètement la cabine de Popaul et celle de son domestique…

— C’est déjà fait !

— Pourquoi ?

— Parce que c’est une règle…

Et le Petit Docteur sourit. Il avait de bonnes raisons, lui, de désirer la surveillance de ces cabines !

— La surveillance durera toute la nuit ?… Bon… Seconde demande, celle-ci plus délicate… Je suppose que vous avez gardé le nègre à votre disposition ?

— Victor Hugo est dans une cellule… Toujours nos principes… Tant qu’il n’est pas prouvé que…

— Eh bien ! Justement, je désirerais que vous le relâchiez… Entendons-nous, je ne vous demande pas de l’abandonner purement et simplement à son sort… Vous le relâchez… Vous mettez sur ses talons un ou deux de vos meilleurs inspecteurs… Je ne crois pas que Victor Hugo soit assez subtil pour leur échapper…

— Vous croyez qu’il vous conduira quelque part ?

Ce qu’il y avait d’extraordinaire avec le commissaire Frittet, c’est que chaque fois qu’il prenait cet air malicieux, c’est-à-dire chaque fois qu’il croyait avoir percé à jour les secrets desseins de son interlocuteur, il tombait à faux !

— On ne peut rien vous cacher… soupira le Petit Docteur sans ironie.

— Ce n’est pas mon opinion… Je suis persuadé que c’est du travail inutile… Victor Hugo est trop bête pour être un complice ou pour… Enfin ! La compagnie nous a tellement recommandé de faire tout pour vous être agréable… C’est tout ce que vous désirez ?

— Pendant que vous donnerez les ordres au sujet du nègre, j’aimerais me servir de votre téléphone…

Il appela le secrétaire de rédaction de la Petite Gironde, puis celui de la France de Bordeaux.

— Votre mise en pages est terminée ?… Vous paraissez dans une heure ?… Voulez-vous ajouter quelques lignes à votre article ?… Je vous assure qu’elles sont sensationnelles : Le nègre que Popaul avait emmené avec lui comme garde de corps et qu’il avait baptisé Victor Hugo sera relâché dans une heure au plus… Vous ne voyez pas l’importance ?… Croyez-moi ! C’est de la plus haute importance… Surtout si vous ajoutez que, ne parlant pas le français, il ira sans doute retrouver son interprète de ce matin dans certaine ruelle du port qui n’est fréquentée que par des Noirs… Vous dites ? Cela sera dans votre édition ?… Merci…

Et le Petit Docteur tira de sa poche un des magnifiques cigares de la compagnie, car il avait pris la précaution d’en emporter quelques-uns.

IV

Qui prouve qu’un homme qui a joué sa tête une fois et qui a gagné peut être obligé par les circonstances de la jouer à nouveau et de perdre

— Drôle de métier ! Songeait-il avec bonne humeur. Dire qu’il y a des gens qui gagnent leur vie à faire ça du matin au soir…

Ça, c’était ce qu’on appelle une filature ou, en terme de métier, une planque !

Il y avait déjà trois bonnes heures qu’il était sur les talons de l’ineffable Victor Hugo, essayant de ne pas se montrer, échangeant parfois un clin d’œil avec les deux policiers chargés, de leur côté, de surveiller officiellement le nègre.

Pauvre nègre, en vérité ! La grande ville l’avait ébloui comme le grand soleil d’août éblouit une chouette. Et dix fois, pour le moins, il avait failli passer sous les roues des tramways, ou être renversé par des taxis et des autobus.

Il ne savait où aller. Sa silhouette, dans le vieux complet dont Popaul l’avait affublé, et qu’un séjour dans la Gironde avait rendu plus pitoyable, était cocasse, et des gens se retournaient sur lui.

Au surplus, n’était-il pas sans un centime en poche ? Personne n’avait pensé à lui donner de l’argent. Il errait, il zigzaguait, il regardait autour de lui avec des yeux ahuris et, quand il lui fallait traverser une rue, il s’élançait comme un fou, au point qu’on risqua à plusieurs reprises de perdre sa piste.

Heureusement qu’il aperçut de loin, par-delà les Quinconces, les cheminées des bateaux ! C’était la seule chose qu’il connût des Blancs et, comme le Petit Docteur l’avait prévu, c’est de ce côté qu’il se dirigea.

D’autres nègres flânaient sur le quai, mais ceux-là étaient des nègres arabisés, civilisés, d’une race toute différente et autrement évoluée que celle du pauvre Bantou qui n’osait pas leur adresser la parole.

Il marchait toujours, toujours le long du quai. Il atteindrait fatalement le coin que le Petit Docteur avait repéré, en face des derniers docks, un ramassis de ruelles habitées uniquement par des soutiers noirs et par toute la lie ramenée d’Afrique au hasard des bateaux…

Les deux journaux avaient paru depuis plus d’une heure. C’était autant de gagné. Sans eux, le Petit Docteur aurait été obligé, comme il l’avait fait pour Lardilier, d’aller trouver chacun des passagers du Martinique et, chaque fois, de recommencer son long discours, l’histoire de la cachette introuvable, etc.

Grâce aux journaux, tous les passagers, maintenant, étaient au courant de ses idées au sujet du crime. Donc, fatalement, l’un d’eux…

Si c’était Mandine, est-ce qu’il aurait le temps d’arriver d’Arcachon ?… Et si c’était Mme Mandine ?… Si c’était le commandant en personne ?… Si…

Allons ! Le Petit Docteur, décidément cabotin, s’amusait à tricher avec lui-même. Il savait très bien qui il s’attendait à voir surgir. Ou, plutôt, il n’avait le choix qu’entre deux personnages.

Du moment qu’Antoinette Lardilier s’était tue… Car elle n’avait pas pu ne pas rencontrer l’assassin… Du moment qu’elle s’était laissé enfermer plutôt que de prononcer un nom…

Qui une jeune fille peut-elle vouloir sauver de la sorte ?…

Son père d’abord, soit… Mais aussi son fiancé ou son amant… Or, le commandant du Martinique…

Il ne restait qu’à attendre… Et une nouvelle scène comique se déroulait non loin du Petit Docteur qui avait quelque peine à se cacher. Victor Hugo, à la terrasse d’un petit bistrot, si crasseux qu’on se serait cru plutôt en Orient qu’en France, apercevait son interprète du matin. Il restait là au bord du trottoir, à le contempler stupidement.

L’autre lui faisait signe d’approcher, avec toute l’autorité que lui donnait son pantalon bois-de-rose, sa casquette blanche et sa qualité de déjà vieux Français.

Que pouvaient-ils se dire ? On le devinait aux gestes, à la mimique de chacun.

— Ils t’ont relâché ? demandait l’interprète.

— Je ne sais pas… Ils m’ont dit de « foutre le camp »…

— Assieds-toi… Tu as de l’argent, au moins ?

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