Deux domaines ont cependant connu un regain d’intérêt particulièrement marqué. Le premier est le genre biographique. Divers historiens se sont ainsi penchés sur les vies de certains personnages parmi les plus marquants de la période, notamment Ulrich Wille, 3nommé général en 1914, Theophil Sprecher von Bernegg, 4chef de l’Etat-major général à partir de 1906, et Fritz Gertsch, 5officier instructeur non-conformiste, envoyé en mission au cours de la guerre russo-japonaise. Ces biographies viennent s’ajouter à des études antérieures, comme celle d’Arnold Linder sur le chef de l’Etat-major général, Arnold Keller. 6Le second domaine est celui, remarquablement vaste, de l’histoire sociale. Un premier ouvrage général s’est intéressé aux relations entre le peuple suisse et son armée. 7Cette intéressante synthèse établit notamment une comparaison entre les situations spécifiques des deux guerres mondiales. Les aspects idéologiques, les conceptions politiques et militaires du corps des officiers, ainsi que les querelles qui en ont découlé, ont aussi fait l’objet d’une attention particulière. Rudolf Jaun a étudié l’influence des conceptions militaires prussiennes sur les officiers suisses de la Belle Epoque. 8De son côté, David Rieder a décortiqué de manière approfondie l’«affaire de l’hydre» qui a entraîné la démission de nombreux chefs de l’administration du Département militaire fédéral, dont le chef de l’Etat-major général. 9
En ce qui concerne plus particulièrement cette dernière institution, sujet du présent livre, les principaux ouvrages qui lui sont consacrés pour la fin du XIX esiècle sont plus anciens et datent des années 1980 et du début de la décennie 1990. La collection Der Schweizerische Generalstab/L’Etat-major général suisse, qui retrace son histoire depuis les origines jusqu’au milieu des années 1960, comprend deux volumes qui étudient les questions institutionnelles et politiques. Le premier est celui réalisé par Victor Hofer pour les années 1848–1874. 10Le second, qui aborde la période 1907–1924, a été publié par Hans Rapold. 11Les aspects sociologiques relatifs au corps des officiers d’Etat-major général ont par ailleurs été traités par Rudolf Jaun dans deux autres tomes qui couvrent des tranches chronologiques d’une septantaine d’années chacun, en donnant une vision large et synthétique. 12
La période étudiée dans le présent ouvrage, volume IV de la collection, s’intercale chronologiquement entre celles abordées par Victor Hofer et Hans Rapold et comble enfin une lacune vieille d’un quart de siècle! Notre étude complète également celles, prosopographiques, de Rudolf Jaun. Elle approfondit en effet certains aspects sociologiques, la tranche chronologique abordée, plus étroite, permettant une analyse et une présentation plus détaillées.
Notre étude s’inscrit dans le cadre de l’antagonisme franco-allemand qui découla de la guerre de 1870–1871. De par sa situation géographique, la Suisse se trouvait au milieu des belligérants potentiels et elle contrôlait les voies de communication les plus courtes reliant les Etats de la Triplice, ainsi que certaines lignes d’opération particulièrement favorables entre la France et l’Italie. Nous avons utilisé les grands ouvrages classiques français pour donner le contexte international général de cette période. 13Même s’ils sont généralement anciens, ces livres représentent encore une source d’informations importante. De plus, nous avons complété ponctuellement notre texte au moyen de publications plus récentes. 14
En ce qui concerne les relations entre la Suisse et ses voisins, surtout les questions politico-militaires, les principaux ouvrages sont souvent anciens, comme le montre l’état des lieux présenté par Roland Ruffieux dans la Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses. 15Les études de Camille Gorgé 16et d’Edgar Bonjour 17sur la neutralité restent de référence pour la période, mais il faut leur ajouter l’article publié il y a une dizaine d’années par Andreas Suter, qui constitue une intéressante synthèse récente sur la question. 18Les relations germano-helvétiques ont fait l’objet de quelques études ponctuelles, mais il n’existe aucun ouvrage de synthèse. L’affaire Wohlgemuth a été étudiée de manière détaillée par Hansjörg Renk, 19tandis que Manfred Todt s’est penché sur la politique allemande au tournant du siècle. 20Plus récemment toutefois, Hans Rudolf Fuhrer a publié un très intéressant article, en collaboration avec Michael Olsansky, sur la menace militaire allemande et le rôle joué par notre pays dans l’élaboration du Plan Schlieffen. 21Quant aux relations avec l’Autriche-Hongrie, elles ont été marquées par une grande cordialité. De plus, la double monarchie a surtout été préoccupée par son expansion à l’est, de sorte qu’il y a peu à dire sur les menaces politico-militaires. L’ouvrage de Dannecker reste la référence dans ce domaine. 22
Les menaces politico-militaires italiennes ont été davantage étudiées. Il faut d’emblée préciser que l’Etat-major italien a régulièrement planifié des actions militaires en Suisse à la suite de la signature de la Triplice. De plus, les revendications irrédentistes ont été perçues, dans notre pays, comme une menace importante, même si, en réalité, elles ne provenaient que de milieux extrémistes particuliers qui n’ont jamais exercé une influence significative sur les instances dirigeantes italiennes. L’étude de Hans Eberhart 23et l’article synthétique de Rudolf Dannecker 24constituent les références de base pour toutes ces questions. Pour les aspects plus strictement militaires, les publications d’Antonello Biagini/Daniel Reichel 25et d’Alberto Rovighi 26présentent beaucoup d’intérêt, d’autant qu’elles contiennent nombre de documents en annexe.
A l’instar des relations avec l’Italie, celles avec la France ont également été bien étudiées. Le livre d’Adolf Lacher, en dépit de son âge, représente l’ouvrage fondamental sur la question. 27Les actes du colloque de Neuchâtel de 1982 apportent de précieux compléments, notamment l’article de Jean-Claude Allain sur la politique helvétique de la France. 28Plus récemment, la Revue historique des armées a publié un numéro spécial sur les relations franco-suisses comprenant deux articles concernant notre période. 29Nous avons par ailleurs publié deux articles sur la perception de la menace militaire française en Suisse dans les années 1870–1880, 30ainsi qu’un recueil de documents d’archives qui contient l’ensemble des rapports des attachés militaires français en poste à Berne relatifs aux grandes manœuvres de l’armée suisse. 31Enfin, pour ce qui touche plus particulièrement à la Savoie, citons l’ouvrage récent de Rita Stöckli, qui traite de l’affaire de Savoie de 1860. 32
L’ouvrage est articulé en deux parties. La première est consacrée aux aspects institutionnels de l’Etat-major général et comprend quatre chapitres. Le premier traite de l’organisation de l’Etat-major général, de son Bureau, de l’Etat-major de l’armée et du Grand Quartier général. Nous avons également voulu présenter de manière synthétique les différentes «ères» de l’institution, par le biais de courtes biographies de ses différents chefs, dans le but de montrer ce que chacun d’eux a réalisé, ce qu’il a apporté, ainsi que l’évolution de leur position institutionnelle. Enfin, le Service de renseignements a fait l’objet d’une étude spécifique. Elément indispensable de la planification stratégique, même s’il fut l’un des parents pauvres de l’Etat-major général, ce service méritait une étude plus particulière, notamment de son organisation et de ses méthodes de travail, ce qui a permis de mettre en évidence une partie des raisons des difficultés à évaluer les menaces politico-militaires étrangères.
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