Le nouveau système fut, pour l’essentiel, mis en place assez rapidement. Toutefois, Keller apporta de nombreux changements dans les détails des dispositifs. De plus, il réalisa une distinction entre les modalités de concentration opérée directement avec les divisions ou avec les corps d’armée constitués. Ces derniers ne devaient en effet être rassemblés avant la concentration que si le temps le permettait. Il s’agissait de déplacer certaines troupes des divisions, de manière à accélérer les transports de concentration. Une fois les corps d’armée constitués, l’armée se trouvait dans un dispositif dit de mobilisation («Mobilmachungsaufstellung»). Ces travaux d’organisation des grandes unités devaient être terminés, pour les troupes les plus lentes, au matin du sixième jour de la mobilisation. L’armée pouvait alors soit être concentrée sur l’un ou l’autre des fronts, soit prendre un dispositif de concentration intermédiaire au cas où la menace ne serait pas clairement définie. Ce dispositif de mobilisation, à la fin des années 1890, était le suivant:
– I erCorps d’armée
Etat-major: Fribourg
1 èreDivision: région Lausanne–Morges–Echallens
2 eDivision: région Cerlier –Aneth–St-Blaise
Les bataillons jurassiens: Tavannes–Tramelan
Les Bataillons neuchâtelois 19 et 20: Colombier
Troupes de corps: région Moudon–Morat
– II eCorps d’armée
Etat-major: Berne
3 eDivision: région Berne–Münchenbuchsee–Muri
5 eDivision: région Aarau–Olten–Liestal
Troupes de corps: Berthoud et Wangen
– III eCorps d’armée
Etat-major: Zurich
6 eDivision: région Oerlikon–Winterthour
7 eDivision: région Wil–Frauenfeld
Troupes de corps: région Altstetten–Uster
– IV eCorps d’armée
Etat-major: Lucerne
4 eDivision: région Huttwil
8 eDivision: répartie en 4 groupes à Airolo, Brigue, Biasca et Coire
Troupes de corps: près du lac de Sempach, de Wolhusen et Hochdorf
Par ailleurs, Keller établit de nouveaux plans de concentration intermédiaire. 185Dans la seconde moitié des années 1890, il étudia deux dispositifs qu’il nomma «Armeeaufmarsch Ia» et «Armeeaufmarsch Ib». La réflexion du chef du Bureau d’état-major l’avait conduit à la conclusion qu’un regroupement plus serré de l’armée ne pouvait avoir lieu que dans la région de Lucerne. Cette solution, idéale, présentait toutefois un caractère trop théorique. Elle avait en effet le désavantage d’éloigner l’armée de la frontière. De plus, elle ne tenait pas compte de l’importance relative des menaces, ni des différences géographiques de chacun des fronts. Keller considéra que la frontière est était peu menacée et que celle avec l’Italie était défendue par un terrain très «fort», où les troupes de la 8 eDivision et celles des fortifications seraient suffisantes. Il ne restait donc plus que deux variantes pour les fronts ouest et nord. Le premier dispositif devait être pris en cas de menace française, hypothèse considérée comme la plus probable («Armeeaufmarsch Ia») et le second si le commandant en chef s’attendait à une attaque allemande («Armeeaufmarsch Ib»). La décision revenait à celui-ci, en fonction de la situation politico-militaire du moment.
Dans la variante Ia, le I erCorps d’armée restait en Suisse romande. La 1 èreDivision devait se retirer sur le plateau d’Echallens, le gros de la 2 eDivision avancer depuis le canal de la Thielle en direction du Val-de-Ruz et les troupes de corps s’installer dans la région de Payerne. Le II eCorps d’armée devait prendre position sur la ligne Soleure–Berthoud, à l’exception des troupes mobilisées dans le canton de Bâle, qui devaient rester dans cette région. Le III eCorps d’armée se déplaçait vers l’ouest en installant sa 6 eDivision à Brugg et sa 7 eà Winterthour, mais laissait les troupes de corps à Zurich. Enfin, le IV eCorps d’armée maintenait la 8 eDivision sur le front sud, tandis que la 4 ese déplaçait à Langenthal et les troupes de corps à Huttwil.
Dans la variante Ib, le I erCorps d’armée restait en place en Suisse romande. Le II eCorps d’armée s’installait entre Olten et Zofingue, tout en détachant des troupes près de Liestal. Le III eCorps d’armée se trouvait dans la région zurichoise, avec un détachement à Winterthour. Enfin, le IV eCorps d’armée laissait sa 8 eDivision sur le front sud, tandis que la 4 eDivision se déplaçait à Brugg.
Après 1900, Keller apporta des changements de détail à ces différents plans. 186Le dispositif de mobilisation du IV eCorps d’armée connut toutefois des modifications significatives. De plus, Keller se mit à travailler aux dispositifs de mobilisation particuliers («besondere Mobilmachungsaufstellung»), relatifs à chacun des quatre fronts. Ces derniers devaient être pris si l’adversaire était connu d’emblée. Les troupes devaient prendre directement leur dispositif au moment de la mobilisation, sans passer par un quelconque dispositif intermédiaire. Le but était de gagner du temps, d’éviter les déplacements inutiles et de réaliser immédiatement un effort principal sur la frontière menacée. La mise en place des détachements de surveillance de la frontière était également fonction de la menace, seuls ceux des fronts menacés s’installant dans leur dispositif. Ces dispositifs particuliers de mobilisation ne doivent pas être confondus avec les dispositifs de concentration en cas de guerre directe, contre un adversaire connu. Alors que les opérations de mise en place de ces derniers ne pouvaient être modifiées, celles concernant les premiers pouvaient être arrêtées.
A la fin de l’ère Keller, les modalités de la mobilisation étaient devenues très complexes et les différents plans d’application, avec toutes leurs variantes, particulièrement nombreux. 187Cette complexité était admise par Keller qui avoua qu’un successeur ou un remplaçant aurait de la peine à se retrouver dans la masse de documents. Un autre désavantage résidait dans la difficulté à tenir à jour l’ensemble des documents. Ceux-ci devaient être adaptés ou refaits chaque année, dans leurs différentes variantes, en raison des changements dans l’organisation des troupes, des chemins de fer ou des infrastructures cantonales. Il s’agissait d’un travail qui devait être réalisé par les différents chefs de section du Bureau d’état-major, ce qui représentait une charge considérable. L’expérience avait, en effet, montré que ces travaux ne pouvaient être réalisés par des officiers effectuant leur service à l’Etat-major. Ils ne restaient pas assez longtemps en place pour avoir l’aisance nécessaire dans ces activités.
Ce constat fut partagé par le successeur de Keller, von Sprecher. Trouvant le système de mobilisation beaucoup trop compliqué, il informa, peu de temps après son entrée en fonction en 1905, la Commission de défense nationale qu’il voulait revenir à un système unique. Keller, lui-même, avait d’ailleurs voulu remédier à ce problème. Il avait l’intention de mettre en place un nouveau système beaucoup plus simple, mais il n’eut pas le temps de réaliser ce projet durant l’année et demie qu’il resta encore à la tête du Bureau d’état-major. Par ailleurs, dès 1904, il eut l’intention d’organiser, à l’Etat-major général, des exercices de mobilisation et de concentration. Ces exercices devaient familiariser les différents membres de l’institution avec les quatorze (!) situations différentes de mobilisation. Afin de faciliter les activités de ses subordonnés et de son éventuel successeur lors d’une mobilisation, Keller prévoyait également de rédiger un aide-mémoire pour chacun de ces cas, dans lesquels seraient inscrits les procédures de travail ainsi que les documents à employer.
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