Au début de l’année 1899, la nouvelle organisation n’avait pas encore été présentée à la Commission de défense nationale, ni sanctionnée par une décision officielle. Elle avait toutefois un caractère officieux et elle aurait été mise en vigueur en cas de mobilisation. 182Un mémoire de la Section géographique, rédigé en 1897, en réglait les modalités. Dès la même année cependant, Keller pensait à un autre système de couverture de la frontière, basé sur l’emploi des bataillons de landwehr de premier ban, auxquels une nouvelle loi venait de donner une organisation concrète. Il ne semble pas qu’il ait poussé plus loin les études dans cette direction. Le problème résidait, en effet, dans le fait que les troupes de la landwehr entraient en service seulement à partir du deuxième jour de mobilisation, soit trop tardivement pour garantir la surveillance de la frontière. En 1903, celle-ci était toujours assurée par vingt-six détachements d’une force variant entre une compagnie et un bataillon, auxquels étaient joints les escadrons de cavalerie nécessaires. De plus, une partie des modalités de mise sur pied et les missions étaient identiques à celles définies quelques années plus tôt.
A cette date, Keller avait toutefois introduit deux nouveautés dans la surveillance de la frontière. La première résidait dans un renforcement du dispositif, par la présence de forces significatives pouvant comprendre, par endroit, des formations de l’importance d’un régiment d’infanterie. La deuxième innovation consistait dans le fait que la mise en place du dispositif de surveillance n’était plus automatique. La mobilisation de l’armée pouvait avoir lieu avec ou sans déploiement des détachements de surveillance, qui étaient organisés dans des dispositifs correspondant aux quatre fronts possibles – nord, est, sud et ouest – selon les dispositions suivantes:
– Front ouest:
Bataillon 11: Martigny et surveillance frontière
Bataillon 18 et Bataillon 24: surveillance frontière
Compagnie de carabiniers III/2: surveillance frontière
Escadrons 1 et 2: surveillance frontière
Escadron 3: Martigny et surveillance frontière
Régiment d’infanterie 17: près de Soleure
Escadron 7: surveillance frontière
Bataillon de carabiniers 4: Langnau
Régiment de cavalerie 4: Zäziwil
– Front nord:
Bataillon 24: surveillance frontière
Bataillon 54: surveillance frontière
Escadrons 7, 14 et 15: surveillance frontière
Bataillon 61: surveillance frontière
Bataillon 82: Emmishofen et surveillance frontière
Escadrons 16, 19 et 20: surveillance frontière
Bataillon 97: Pratteln
Escadron 23: surveillance frontière
– Front est:
Régiment d’infanterie 26 (sans Bataillon 78): près de Walenstadt
Bataillon 82: surveillance frontière
Bataillon 126 de landwehr de 1 erban: près de Walenstadt
Escadrons 19 et 20: surveillance frontière
Batterie 40: Gossau
Compagnies de parc 13 et 14: Rapperswil
Bataillon 91: Thusis
Bataillon 92: Maienfeld et surveillance frontière
Bataillon 93: Zernez et surveillance frontière
Escadron 24: Zernez et surveillance frontière
– Front sud:
Régiment d’infanterie 4 et Bataillon 88: Brigue
Bataillon 11: Martigny et surveillance frontière
Escadron 3: Martigny et surveillance frontière
Régiment d’infanterie 26 (sans Bataillon 78): Ragaz-Maienfeld
Bataillon 126 de landwehr de 1 erban: Mels
Compagnie de parc 13 et 14: Rapperswil
Bataillon 72: Airolo
Bataillon 86: Bedretto et surveillance frontière
Bataillon de carabiniers 8: surveillance frontière
Régiment d’infanterie 30 (sans Bataillon 89): Trimmis-Zizers
Bataillon 89: Brigue et surveillance frontière
Bataillon 91: Thusis et surveillance frontière
Bataillon 92: Bonaduz
Bataillon 93: Samedan et surveillance frontière
Bataillon 130 de landwehr de 1 erban: Naters
Escadron 22: surveillance frontière
Escadron 24: Samedan et surveillance frontière
Batterie 48: Bellinzone
Bataillon 130 de landwehr de 2 eban: près de Brigue
Une fois les états-majors et les corps de troupes mobilisés, il restait encore à réaliser deux opérations avant que l’armée ne fût en mesure de commencer des opérations. Il fallait tout d’abord constituer les grandes unités, puis les concentrer dans la région voulue. Ces activités nécessitaient de nombreux transports par chemin de fer et, par conséquent, une planification détaillée. Si cette dernière était indispensable, elle faisait toutefois courir deux risques. Le premier résidait dans le fait qu’elle était rigide et ne pourrait être adaptée, en cours d’exécution, à des circonstances imprévues. Cette rigidité amenait à ne déclencher la concentration qu’en cas de certitude par rapport à l’ennemi. Le deuxième problème, qui découlait du précédent, tenait au fait que la situation stratégique internationale, une fois la mobilisation terminée, ne serait pas forcément claire. Il n’y aurait peut-être pas d’ennemi déclaré ou de menace directe suffisante. Dès lors, le haut commandement ne serait peut-être pas en mesure de décider contre qui la concentration devrait s’effectuer. Cette incertitude pourrait, par ailleurs, durer des jours, voire davantage. La situation pouvait devenir délicate pour l’armée, car le dispositif de mobilisation ne permettait pas de faire vivre les troupes durant une période relativement longue. Il pouvait aussi être dangereux de rester ainsi, avec des troupes dispersées. Une attaque brusque et imprévue pourrait avoir lieu et prendre par surprise l’armée, avant qu’elle n’ait le temps de se concentrer.
Pfyffer et Keller étaient conscients de ces problèmes et ils ont cherché des solutions. Le premier a établi, en plus des plans de concentration faisant face aux quatre voisins de la Suisse, un plan de concentration intermédiaire («unpräjudizierlichen ersten Aufmarsch»). 183Ce plan était valable tant que l’ennemi n’était pas connu et, comme son nom l’indique, il ne devait pas être préjudiciable à une concentration ultérieure contre quelque adversaire que ce fût. Pour ce faire, Pfyffer voulait adopter un dispositif permettant de couvrir certains secteurs particulièrement vulnérables de la frontière et occuper la position stratégique du St-Gothard, tout en permettant une concentration ultérieure rapide sur l’un des fronts. Il faisait prendre le dispositif suivant à ses huit divisions:
– 1 èreDivision: canton de Vaud
– 2 eDivision: canton de Neuchâtel et Jura bernois
– 8 eDivision: St-Gothard
– 3 e, 4 e, 5 e, 6 eet 7 eDivisions: région Olten–Brugg–Zurich
Après la mort de Pfyffer, le nouveau chef du Bureau d’état-major changea les modalités de la concentration. 184Jusqu’au début des années 1890, celle-ci s’opérait en concentrant les corps de troupes directement à partir des places de rassemblement de corps. Avec la création des corps d’armée, cette manière de faire n’était plus possible. Désormais, les divisions et les corps d’armée étaient d’abord constitués puis, une fois cette opération terminée, concentrés. Cette nouvelle procédure était beaucoup plus souple que l’ancienne. Les divisions organisaient elles-mêmes leurs transports de concentration. Le Bureau d’état-major ne devait plus s’occuper des documents concernant les nombreux corps de troupes qui les composaient et se limitait à préparer les transports à l’échelon divisionnaire. En revanche, le nouveau système était un peu plus lent que l’ancien. Keller ne voyait cependant pas un inconvénient notoire dans la journée de retard découlant des nouvelles modalités de concentration. Il ne s’attendait en effet pas à devoir faire face à des pénétrations importantes de forces ennemies dans les premiers jours de mobilisation et considérait que les détachements de surveillance seraient suffisants pour faire face à des incursions de petits détachements.
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