Poppy resta figée. Son corps était même trop effrayé pour trembler de peur. Quand elle releva les yeux, la femme l’examinait du regard. Pas son visage, sa main.
La femme leva une main, celle qui ne tenait pas l’épée, et fit un signe signifiant viens ici à Poppy. Sa peur de la violence l’avait bien dressée. Sans hésitation, Poppy fit ce qu’on lui demandait. Ses pas étaient lents et raides, mais elle parcourut la courte distance les séparant pour se tenir devant la femme.
La femme tendit le bras et prit la culotte d’enfant des mains de Poppy.
— Celui-ci a été sur mon radar pendant une minute, mais son dernier geste a signé son arrêt de mort.
Elle utilisa la culotte pour essuyer le sang de Bruce de sa lame, recouvrant les nounours câlins avec l’essence de sa défunte vie. Ça semblait juste. Sa mort pour une innocence perdue.
— On dirait que c’était la goutte d’eau pour toi aussi.
Les yeux de la femme étincelèrent brillamment, comme des étoiles, lorsqu’ils passèrent du couteau de boucher abandonné à Poppy.
La seule réponse que Poppy put lui donner fut de déglutir. Il y avait eu une assistante sociale qui s’était arrêtée à la caravane, une fois, habillée d’une robe boutonnée jusqu’en haut et de chaussures reluisantes. Bruce avait mis une bonne trempe à Poppy la nuit précédente. Le regard de l’assistante sociale était resté figé sur ces traces de coup. Quand Poppy avait refusé de partir avec elle, l’assistante sociale lui avait demandé pourquoi elle restait. Poppy avait laissé la porte-moustiquaire grinçante claquer au nez de cette femme.
Elle avait vu quelques dramatisations filmées de femmes échappant à leurs maris en plein milieu de la nuit avec un mascara impeccable et des lèvres brillantes de gloss. Elle avait même vu assez de talk-shows de l’après-midi parlant de violences conjugales où l’animateur bien intentionné offrait des services en espèces et une porte de sortie. Rien de tout cela n’était le monde réel.
En voyant Bruce étendu mort sur le sol, Poppy ne ressentit aucun remords pour lui. Mais elle commença à s’inquiéter pour elle-même. Elle n’avait pas d’instruction, pas de talent. Elle n’avait même pas un joli visage. Comment allait-elle gagner sa vie, à présent ?
Poppy se passa la main dans les cheveux. Ses doigts exécutèrent ce geste en tremblant. Le regard de la femme se rétrécit en suivant ses mouvements. Avec la rapidité de l’éclair, elle tendit la main et baissa le haut de la robe de Poppy.
Poppy eut un hoquet de surprise. Un réflexe lui dicta de se couvrir. L’autopréservation lui fit refermer les doigts en poings immobiles.
— Des cheveux roux et des écailles ? C’est mon jour de chance ou quoi ?
Poppy se tortilla pour se libérer de sa poigne. Un sourire malicieux s’étendit sur le visage de la femme. Poppy connaissait ce regard. C’était un regard de prédateur.
— Tu vas me rapporter un beau paquet de joyaux.
Poppy se retourna pour s’enfuir. Mais elle reçut un coup sourd à l’arrière de la nuque. Et tout devint noir.
Le bruit du métal rencontrant le métal résonna dans la grotte souterraine. Béryl avait entendu dire que les humains mâles avaient des tanières ; une petite pièce où ils pouvaient se retirer loin des femmes. Il ne comprenait pas pourquoi un homme aurait envie de se retirer loin de sa femme. Si lui-même avait une femme, il la laisserait entrer dans sa tanière chaque fois qu’elle en aurait envie. Il lui construirait une tanière à elle et s’assoirait dans l’entrée en espérant qu’il serait le bienvenu dans son sanctuaire.
Il avait une vraie tanière à l’intérieur du château qu’il partageait avec ses frères. Beaucoup de pièces étaient des cavernes, à l’extérieur des vraies cavernes d’où les frères extrayaient chacun leurs joyaux et où ils amassaient leurs trésors.
Sauf Corin, qui avait donné son trésor en échange de sa sacrifiée. Béryl aurait fait la même chose. Sa nouvelle sœur valait chaque pierre précieuse, et bientôt Chryssie agrandirait encore leur famille. Deux dragonneaux grandissaient dans son ventre.
Il y avait un inconvénient au fait que Corin et Chryssie soient un couple. Ces deux-là étaient une des raisons pour lesquelles Béryl était actuellement dans sa tanière. Ils s’en donnaient à cœur joie, comme des lapins, sans arrêt.
— Si vous pouvez surmonter cette période douloureuse, vous pourrez devenir un champion, dit la voix mâle à l’accent prononcé. Si vous ne pouvez pas, oubliez.
Béryl baissa le volume du film à la télévision. C’était la seule chose qui sortait de la bouche de l’Autrichien avec laquelle il était d’accord. Il mit la cassette VHS sur avance rapide pour passer les parties avec Arnold Schwarzenegger et voir son héros, Lou Ferrigno. Dans le film, le titre de Monsieur Olympia aurait dû revenir à Ferrigno. Il était tellement meilleur, tellement plus grand que l’Autrichien.
À part se battre, soulever de la fonte était la seule chose qui apaisait le dragon de Béryl. À une époque, Béryl pouvait se contenter de se taper des fées. Mais les femmes-fleurs ne l’intéressaient plus, depuis un moment. Il voulait une femme en chair et en os. Une femme qui pourrait être à lui. Une femme dans laquelle son dragon pourrait planter les dents et la revendiquer.
Cela faisait des semaines que Morrigan avait accepté de lui trouver une sacrifiée. Il ne savait pas combien de temps encore il pourrait tenir.
— Est-ce que tu as pris mon maillot de bain Terminator ?
Les haltères firent à nouveau un bruit métallique quand Béryl les laissa tomber sur le sol. Au-dessus de lui se tenait un mâle avec des yeux sombres étincelants. Comme toujours, l’avorton de la portée était prêt à déclencher une bagarre pour affirmer sa dominance.
— Pourquoi est-ce que je toucherais à tes sous-vêtements, Ilia ? dit Béryl en haussant les épaules et en prenant un Coca-Cola du réfrigérateur que Morrigan avait rapporté quelque temps auparavant. Ils ne pourraient jamais contenir ce que je trimballe.
— De nous trois, c’est peut-être toi qui as eu la plus grande, mais c’est moi qui ai eu la plus grosse, aucun doute, se moqua Ilia.
Béryl savait qu’il ne devrait pas se lancer dans cette dispute stupide. Comme lui, Ilia cherchait seulement une raison d’en venir aux mains. Aucun de leurs dragons n’avait mieux à faire.
Béryl venait de soulever quatre cent cinquante kilos d’haltères. Son cœur pompait toujours et était surmené après son combat d’hier. Cela pourrait l’apaiser de frapper son frère au visage pendant quelques minutes. Le seul problème, c’était qu’il n’était pas certain d’avoir suffisamment de contrôle sur sa bête pour ne pas réellement tuer Ilia.
— Tu es juste fâché qu’Arnold ait gagné le titre, chantonna Ilia. Tu sais que Terminator pourrait battre Hulk quand il veut.
Et voilà comment son contrôle lui échappa. Béryl se releva. Il n’en fallait pas beaucoup pour que les dragons se battent. Ces mots-là étaient une sérieuse provocation. Tout le monde savait que Hulk était plus fort que ce bellâtre taiseux en métal.
Béryl se métamorphosa presque en faisant face à son frère, mais il se retint. Il portait un t-shirt Gold’s Gym. La Valkyrie avait dit que ce type de vêtement était de plus en plus difficile à trouver de l’autre côté du Voile. Il ne voulait pas détruire celui-ci. C’était son préféré.
— Peu importe, dit Béryl. Si tu veux soutenir le méchant qui remonte le temps pour détruire toute l’humanité, alors vas-y. Hulk se bat pour les opprimés.
— Même pas vrai, répliqua Ilia. Banner ne peut pas contrôler le monstre en lui. Mais Terminator est tout en contrôle.
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