— Pour qui me prends-tu ? dit Hilda en retroussant les lèvres tout en toisant Béryl. Le Journal de 20h ?
Béryl leva les mains en signe d’apaisement.
— Mes excuses. Je demandais simplement si vous aviez des nouvelles de Morrigan.
— Morri n’est pas revenue de sa chasse, dit Siggy.
Son regard fixait sans vergogne les bijoux de famille de Béryl.
Quelques semaines plus tôt, Corin, le frère de Béryl, avait conclu un accord avec les Valkyries pour qu’elles leur ramènent des sacrifiées en échange de pierres précieuses. Béryl avait pris Morrigan à part et lui avait offert son poids en émeraudes si elle lui ramenait sa première prise. Mais il n’avait plus vu un cheveu de la Valkyrie depuis.
— Je double le prix si vous la rejoignez dans sa chasse.
Béryl laissa le dragon remonter à la surface. Ses yeux étincelèrent d’un vert émeraude.
Les regards des Valkyries eurent un éclair doré de convoitise. C’était l’unique faiblesse des farouches guerrières. Elles aimaient les pierres précieuses. Elles aimaient la plupart des choses scintillantes. Les dragons extrayaient les joyaux de leurs mines et étaient réputés pour couver leurs trésors. Mais les dragons chérissaient leurs sacrifiées plus que les joyaux de leur montagne.
— Nous ne travaillons pas pour toi, dit Hilda dont la voix avait perdu son ton mordant. Nous ne sommes pas ici pour faire apparaître ton plan cul personnel.
Ce n’était pas un plan cul. C’était une bouée de sauvetage. Une sacrifiée, une femme toute à lui, à protéger, à chérir et à qui donner du plaisir, était la seule chose qui calmerait sa bête de façon permanente et la garderait en laisse. Si Béryl n’obtenait pas de sacrifiée rapidement, son dragon prendrait le contrôle du corps qu’ils partageaient, et l’homme serait coincé à l’intérieur. Sinon, Béryl devrait continuer à combattre lors de ces matches en cage pour garder un semblant de contrôle. Si ce soir avait prouvé quelque chose, c’est qu’avec son contrôle qui diminuait, au cours du prochain match, quelqu’un mourrait.
— Vous êtes fatiguée de votre train-train quotidien ?
Poppy Maddow releva la tête de sa planche à repasser. Sur l’écran carré de la télévision, une jeune femme blonde au sourire joyeux haussa le sourcil d’un air conspirateur. La jeune femme regardait Poppy en simple définition sur l’écran douze pouces, mais Poppy eut l’impression qu’elle pouvait voir ses désirs les plus profonds.
— Nous vivons sur une belle planète avec de magnifiques paysages, des vues à couper le souffle, et des paradis tropicaux.
Poppy jeta un coup d’œil par la fenêtre de la caravane. Il n’y avait pas grand-chose à voir. À part des arbres nus, des voitures rouillées posées sur des blocs, des tas débordants d’ordures, et une décharge qui était autrefois un étang boueux.
— Alors venez avec moi et évadez-vous dans un univers de montagnes pittoresques, de mers émeraude et de cités médiévales.
Sur l’écran douze pouces, la caméra dévoila une vue aérienne d’eaux vertes, mais pas du vert des eaux usées de l’arrière-cour de Poppy. Elle pouvait voir dans les profondeurs de la mer, à la télévision. À l’inverse de la forêt aride derrière chez elle, des feuilles d’un vert luxuriant couronnaient chaque arbre. Le brun qui recouvrait le paysage, dans l’émission télévisée, était du sable et non la poussière et la crasse de la pauvreté.
Poppy se pencha en avant, les yeux écarquillés, le cœur battant, les pieds mourant d’envie de s’enfuir vers cette merveille.
— Où est mon putain de pantalon ?
Poppy ne sursauta pas en entendant le braillement rauque. On lui avait crié dessus toute sa vie. C’était normal, pour elle, que Bruce élève la voix.
Elle ouvrit la bouche pour lui dire qu’elle était en train de repasser le pantalon qu’il cherchait. Au lieu de cela, elle s’étrangla, et aucun mot ne sortit de sa bouche. En baissant les yeux, elle vit qu’il y avait une tache noire sur la jambe droite du pantalon. Quand elle avait été captivée par la destination touristique exotique, elle avait oublié le fer à repasser, et il avait brûlé une partie du meilleur pantalon de Bruce.
Merde. Elle allait s’en prendre une.
Poppy se précipita pour cacher la preuve. Malheureusement, il n’y avait pas beaucoup de place dans la caravane. Chaque pièce faisait double emploi. La cuisine était aussi la salle à manger. Chaque placard était rempli à ras bord de pots en verre, de casseroles, de tubes et autres outils et ustensiles nécessaires à la fabrication de la drogue abrutissante qui maintenait un toit métallique au-dessus de leurs têtes. Alors, elle ne pouvait pas fourrer le pantalon là-dedans.
La seule option était de fourrer le pantalon sous sa robe d’été. C’était un endroit où Bruce ne regarderait pas. Il lui écarterait bien les cuisses au milieu de la journée s’il n’avait pas tiré son coup avec une de ses michetonneuses pendant la nuit, mais il ne lèverait jamais les yeux sur elle pendant qu’il le faisait.
— Tu m’as entendu, espèce de pétasse moche ? dit Bruce en tournant l’angle de la chambre à coucher qui faisait aussi office de salon.
Il portait un caleçon moulant et miteux, sa bedaine débordant par-dessus. Son torse velu était nu. Il y avait un trou à l’orteil de l’une de ses chaussettes bleues. Mais c’était ses chaussettes des grandes occasions. Visiblement, il devait aller quelque part d’important, et il avait besoin de ce jean, sa meilleure tenue.
Merde, merde.
— Tu as regardé dans le panier à linge ? demanda innocemment Poppy.
Elle tapota son ventre, essayant d’avoir l’air naturel et non pas l’air d’être enceinte. Une chose sur laquelle elle ne faisait jamais l’impasse malgré ses maigres revenus, c’était la contraception. Elle se rendait à la clinique voisine tous les mois, avec une régularité de métronome, pour sa pilule. Elle n’avait pas envie de faire naître un bébé dans cette misérable vie dont elle voulait elle-même s’échapper.
— Tu devais faire la lessive, dit Bruce en fonçant vers elle tandis que ses pas secouaient la caravane sur sa base. Je ne peux pas mettre ton cul répugnant sur le trottoir pour gagner quelque chose. Tu es allergique aux putains de produits chimiques pour fabriquer mon produit. Tu sers à quoi si tu ne peux même pas faire le putain de ménage, salope ?
Il la poussa, mais il n’y avait pas vraiment de place où elle puisse aller dans l’espace confiné. Son dos cogna la cuisinière, et elle glissa le long de sa surface. Le pantalon s’échappa de sous sa robe.
— C’est quoi, ce bordel ?
Il lui arracha le pantalon avant qu’elle puisse à nouveau le cacher. Le dos de la main de Bruce entra en contact avec le côté du visage de Poppy avant qu’elle ne puisse lui faire des excuses ou s’écarter de son chemin.
— Putain de connasse bonne à rien. Ce pantalon, c’est une vraie imitation de Gucci. Je l’ai payé cinquante balles.
Deux ou trois mois auparavant, elle avait brûlé le steak qu’il avait volé dans la cuisine d’un restaurant. Il y en avait eu pour vingt-cinq dollars de viande. Il l’avait frappée une fois pour ça. Cinquante balles, c’était une fortune. Poppy leva les bras, attendant le second coup.
— Couvre-toi, aboya Bruce.
Il tira sur sa robe pour la faire descendre, mais le tissu usé ne s’étendait pas assez pour couvrir la laideur de ses jambes. Il se détourna d’elle. Les taches sur ses membres étaient une des raisons pour lesquelles il ne la regardait pas quand il la sautait au milieu de la journée.
— Tu sais ce que je devrais faire ? dit-il, toujours accroupi au-dessus d’elle. Je devrais balancer ton cul derrière un glory hole . Personne n’aurait à regarder ce cul répugnant, alors.
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