— T’as fini de flirter ? dit Léander. Ou tu veux que je quitte le ring pour que tu puisses prendre ces fleurs au corps à corps ?
— Il y a d’autres choses dont tu devrais t’inquiéter, frérot, dit Béryl. Qu’est-ce que tu feras quand Bérylmania viendra pour toi ?
Léander leva les yeux au ciel et chargea. Il sauta dans les airs avec deux pieds, comme un homme, et atterrit à quatre pattes comme un lion gigantesque. Ses pattes puissantes tambourinèrent sur le sol du ring, faisant trembler tout l’endroit de sa férocité. Il ouvrit la bouche, ses canines dégoulinantes, et rugit. L’atmosphère tout autour s’agita comme au début d’une tempête.
Le dragon avait poussé contre la peau de Béryl toute la soirée. Enfin, Béryl laissa la bête prendre possession de son corps. C’était la seule manière de le satisfaire, ce soir. Et puis, ce n’était pas comme s’il pouvait encore beaucoup contrôler ses métamorphoses. Si le dragon voulait sortir, il le ferait.
Les griffes de Béryl raclèrent le sol lorsqu’il atterrit. Les deux animaux s’affrontèrent au centre du ring. Léander infligea encore quelques petits coups bien placés avant que Béryl ne lui entoure le corps de ses griffes. Il souleva l’énorme lion dans les airs et le projeta en un body-slam, exactement comme il avait vu son héros, Hulk Hogan, le faire à André le Géant dans leur match final.
L’impact secoua l’établissement. Une vague de créatures sautèrent hors de leurs sièges, puis bondirent sur leurs pieds, rugissant leurs acclamations. Une fois Léander sur le dos, Béryl fut capable de le bloquer avec une autre prise de soumission. Cette prise suffit car, contrairement à l’homme qui pouvait facilement être distrait, le dragon n’avait qu’un seul objectif.
La douleur.
Infliger de la douleur était la seule chose qui mettait la bête au pas. Alors il resserra son étreinte autour de la crinière de Léander.
La tête du lion était trop grosse. Il ne pouvait pas baisser le menton et s’échapper, cette fois. La seule option de Léander était de taper de la main pour abandonner. Après de longs moments pris au piège dans l’étreinte du dragon, les griffes de Léander vinrent tapoter le bras de Béryl.
Il avait réussi. Il avait sauvegardé son titre. Le combat était terminé. Alors pourquoi Ilia criait-il toujours des instructions depuis le coin ?
Béryl ignora son frère et savoura sa victoire. Beaucoup de métamorphes mâles avaient combattu dans ces matches en cage au fil des semaines. Personne n’avait surpassé Béryl. Ni les ours, ni les loups. Ni son frère. Et à présent, le puissant Léander, Roi des Animaux, était vaincu.
Béryl baissa les yeux vers Léander. Ses lèvres étaient bleues. Ses yeux lui ressortaient des orbites.
Oh, merde. Il le tenait toujours dans une prise d’étranglement. Il fallait qu’il le lâche. Seulement, son dragon ne cédait pas.
Béryl essaya de desserrer la prise de la bête, mais le dragon était trop puissant. Il voulait le sang du lion.
Béryl regarda au fond des yeux du lion tandis que la vie les quittait lentement. Il y avait de la reconnaissance, là. C’était Léander. Son ami. Ils jouaient à se battre quand ils n’étaient encore tous les deux que des bébés. Ils partageaient une passion pour l’haltérophilie et la musculation, essayant de voir qui aurait le plus de muscles.
Les muscles de Léander étaient tendus à présent que son souffle quittait son corps. Le lion n’avait même pas eu envie de ce combat. Béryl l’avait provoqué de la seule manière qu’il connaisse. Léander avait un secret ; un secret qu’il n’avait confié qu’à lui. Et Béryl avait menacé de le révéler à tout le royaume si Léander ne le rejoignait pas sur le ring.
À l’intérieur de lui-même, Béryl luttait pour un combat perdu d’avance. Son dragon goûtait le sang dans l’air, et il en voulait davantage. Était-ce la fin ? Était-ce son dernier instant en tant qu’homme alors que le dragon prenait complètement le contrôle de son corps comme son frère Rhyol l’avait fait ?
Peut-être bien, parce que, d’une façon ou d’une autre, Béryl volait dans les airs sans se souvenir d’avoir décollé.
Les ailes de Béryl se déployèrent et attrapèrent le courant avant d’atterrir. Son dragon se retourna, prêt à faire face à l’ennemi suivant. Et il s’arrêta net.
Une femme blonde, plus petite que le lion, mais avec un regard féroce, se mettait en garde face à lui. Elle se tenait au-dessus du lion métamorphe inconscient. Bien qu’elle soit l’arbitre du match, son visage rond et ses hautes pommettes trahissaient son lien avec le mâle avachi sur le tapis.
Instantanément, la bête de Béryl laissa place à l’homme. Il se retrouva au centre du ring, nu comme un ver, sa bête ayant déchiré ses vêtements lors de la métamorphose. Béryl baissa la tête de honte, ne croisant pas le regard de la femme.
— Mes excuses, lionne.
— Contrôle ta bête, gronda Léona, ou tu ne seras plus invité à venir jouer avec mes garçons.
— Oui, m’dame.
Les matches avaient été l’idée de Léona. C’était elle qui avait approché Béryl. Il ne s’était pas demandé pourquoi la mère de six lions mâles avait organisé les matches. Ça avait semblé évident ; elle était la mère de six lions mâles. Elle avait besoin d’un moyen de libérer leur agressivité qui ne causerait pas davantage de dégâts dans son repaire.
Léona se retourna vers son fils. Elle n’examina pas ses blessures ni ne l’aida à se relever comme une mère normale le ferait. Parce que c’était une lionne. Quand elle vit que son aîné respirait toujours, elle se tourna vers la foule et annonça que Béryl était le vainqueur.
La foule scanda son nom. Lors de ses combats précédents, cela avait représenté le temps fort du match d’entendre des applaudissements pour ce qui lui venait naturellement. Mais avec ce match-ci, il avait l’impression d’avoir perdu le concours.
Il avait perdu quelque chose. Il s’était perdu lui-même. Il n’avait aucune prise sur son animal. Si Léona n’était pas intervenue, Béryl n’était pas certain qu’il aurait regagné le contrôle. Il aurait pu tuer Léander. Alors qu’en fait, Béryl aimait bien ce joli garçon, énorme et poilu. Plus qu’il aimait son propre frère.
— C’était un très mauvais esprit sportif, dit Ilia lorsque Béryl descendit du ring. Tu aurais dû viser ses genoux à la place—
— Ferme-là.
Béryl donna une bourrade à son frère.
Ilia, qui était trente centimètres plus petit et pesait dix kilos de moins que Béryl, retomba dans une foule de fées. Les fleurs le rattrapèrent dans leur étreinte végétale. Les yeux bruns d’Ilia furent traversés d’un éclair de jade, son dragon se manifestant en réponse à l’attaque de Béryl.
Béryl ressentit un pincement de remords, mais il le piétina rapidement. Ilia avait l’habitude de ce genre de traitement, étant l’avorton de la portée. Et Béryl n’avait pas le temps de s’excuser. Il y avait des choses plus importantes dont il devait s’occuper.
Il se fraya un chemin dans la foule enthousiaste. Sans se préoccuper de couvrir sa virilité en cours de route.
— Laisse-moi guérir ces blessures, dit une fée.
Elle s’appelait Dahlia.
Il l’avait eue plusieurs fois. Son doux parfum l’attirait d’habitude, mais il était amer, ce soir. Il n’avait pas cédé aux fées depuis un bon moment, à présent, pas depuis qu’il savait qu’il y avait une chance.
Béryl s’écarta de Dahlia et poursuivit son chemin vers les Valkyries qui partaient.
— Siggy ? Hilda ? Aucune nouvelle en provenance de l’autre côté du Voile ?
Hilda se tourna vers lui, ses tresses voletant avec son mouvement. Son épée se leva et décrivit un arc jusqu’à la gorge de Béryl. Il déglutit. La lame accrocha sa pomme d’Adam.
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