De toute cette comédie — aux deux extrémités les actes importants, — la naissance et la mort — de l'un nous ne nous apercevons pas encore; de l’autre nous ne nous apercevons plus. Et même il nous faut croire que, dès la terre rejetée, l’on ne se souvient plus d’ètre mort. On ne s'aperçoit que de la mort des autres, — parce qu’elle facilite notre vie.
Les caractères individuels sont plus généraux (j’entends plus humains) que les caractères ethniques.il faut comprendre: l'homme en tant qu’individu tente d’échapper à la race. Et sitôt qu’il ne représente plus la race, il représente l’homme; l’idiosyncrasie est prétexte à généralités.
HONNÊTETÉ. Tout ce qu’il y a dans ce mot.
L'étrange faiblesse d’esprit qui nous fait douter sans cesse que le bonheur de l’avenir puisse valoir le bonheur du passé est souvent notre seule cause de misère; nous nous attachons aux simulacres de nos deuils comme s’il convenait de prouver notre tristesse aux autres. Nous cherchons les souvenirs et les ruines, nous voudrions revivre le passé et souhaitons continuer encore des joies après qu’elles sont épuisées.
Je hais toute tristesse et ne comprends pas que la confiance en la beauté de l’avenir ne prévaille pas sur l’adoration du passé.
N’est ce pas ressembler à ces peuples des plages qui pleurent chaque soir le soleil enfoncé dans la mer — et crient longtemps encore vers le couchant après que derrière eux déjà le soleil rajeuni se relève.
... « Ou souffrir, ou mourir. — Aut pati aut mori. Il est di^ne de votre audience de comprendre solidement toute la force de cette parole;. . . . . vous confesserez avec moi qu’elle renferme comme en abrégé toute la doctrine du Fils de Dieu et tout l’esprit du Christianisme. »
Et plus loin: « Il n’est rien de plus opposé que de vivre selon la nature et de vivre selon la s;râce. »
Bossuet, Panégyr. de Sainte Thérèse Tant pis.
« Le moi est haïssable»... dites-vous. . . . Pas le mien.
Je l’aurais aimé chez un autre: sera-ce parce quec’estle mien que je devrai faire le difficile.
Sur quel moi pire n’aurais-je pu tomber! (D’abord je vis et cela est magnifique.)
Je vous plains si vous sentez en vous de quoi haïr. Je ne hais que cette triste morale; si j’aime mon moi ne croyez pas que j’en aime moins le vôtre, ou que ce soit à cause du plus ou moins de bonheur.
(Mais vous vivez aussi, je pense, et cela est magnifique aussi.)
L’histoire de l’homme, c’est celle des vérités que l’homme a délivrées.
Je ne veux pas, comprends-moi bien, considérer, ce disant, les vérités comme un petit nombre d’éluesdont la délivrance ou mieux l’élection serait une façon de reconnaître leur droit de résine sur nous-mêmes. De sorte que leur liberté à elles s’achèterait au prix de la nôtre.
Non. — Laissons même ce mot de Vérité — qui ferait croire trop aisément que le despotisme de certaines Idées est légitime. Disons, non Vérités,mais Idées. — Et appelons Idée tout rapport perçu; si tu veux, métaphoriquement, la réfraction dans le cerveau de l’homme d’un rapport effectif. Le nombre des Idées est infini comme le nombre des rapports, ou presque.
Il me plaît, pour ne pas me supprimer toute raison d’être et d'aimer être — de considérer l’humanité comme l’effectua-tion des rapports possibles. — La presque infinité des rapports possibles assure à l’humanité une presque infinie durée. Les rapports effectués constituent l’histoire du passé. —C’est là une chose faito et, plus ou moins bien jouée, il n y a plus à y revenir — d’ailleurs on ne le pourrait point. Pour la moindre idée d’aujourd’hui, il a fallu la presque infinité des rapports joués hier. On en est donc enfin débarrassé!
C’est ainsi que peu à peu l’humanité sc délivre. Mais si peu qu’elle ne s’en aperçoit point.
Et pourtant ne t’en va pas croire au progrès sinon pour ceci que:
N’importe quelle marche, fut-ce celle d’une écrevisse, ne peut s'imaginer qu’en avant, et même quand tu tourneraistoutes tes faces vers lui, le passé ne s’en irait pas moins dans le passé. Ce qui est fait n’est plus à refaire; le pléonasme est impossible ici.
Mais croire que l’humanité trouve un but en dehors d’elle-même et qui ne soit point par elle-même projeté, serait folie et course après son ombre. Le progrès de l’homme n’est qu’en lui-même et n’a pas la signification victorieuse que tu crois.
Ossa sur Pélion s’effondre et le ciel ne s’escalade pas, — où l’on ne trouverait point d’ailleurs les Vérités en petit nombre, assises sur des trônesoù nousaurions des coins pour nous asseoir.
Les dieux, s'ils étaient, verraient notre interminable la heur comme les enfants sur les plages s’amusent des relatifs progrès des values. L’une vient; ô progrès! elle monte; elle envahit, elle submerge tout — elle laisse une écume et passe; l’uutre succède et monte un peu plus haut — ô progrès! c’est une marée; la marée se retire; le lendemain elle gagne encore quelques pouces de plages — ô progrès! où n’ira-t-elle pas demain? Mais après-demain l’équinoxe est déjà passé et la mer décroît — mais travaille encore et pourtant lentement ronçe la terre.
Le temps et l’espace sont les tréteaux que pour s’y jouer les innombrables vérités ont déployés à l’aide de nos cerveaux, — et nous y jouons comme des marionnettes volontaires, convaincues, dévouées et voluptueuses. Je ne vois pas qu’il y ait là de quoi s’attrister, car moi je me plais au contraire à cette conviction de mon rôle, et ce rôle, somme toute, si tout le motive, c’est bien un chacun seul qui l’invente.
Tu apprendras à considérer l’humanité comme la mise en scène des idées sur la terre.
Nous n’avons de valeur que représentative.
Ils souffraient du fardeau d’eux-mè-mes et ne savaient comment faire pour s’en débarrasser. La charité ne les tentait point. L’individu leur devenait insupportable, et les autres encore plus qu'eux. Ne voulant plus s’occuper d’eux-mêmes, ce n’était certes pas pour s’occuper des autres. — Mais s’occuper de quoi, dès lors? A quoi se prendre?
Ceci les tourmenta tant qu’ils crurent les idées subordonnées aux hommes.Mais sitôt qu’ils les reconnurent souveraines, ils s’occupèrent d’elles seules et s’y oublièrent.
Les choses ont besoin de nous pour être, ou pour se sentir être, et, sans nous, restent dans l’attente. Et l’homme en sent un inquiet malaise: la pression en nous de tout ce qui n’a pas encore été et qui veut être, — de tout l’inconnu qui demande son petit instant de pensée, semble implorer de nous l’existence, parce qu’il faut que tout y passe —et comme s’il y avait quelque joie à se dire que l’on a été — lorsqu’on n’est plus.
Il est aisé de considérer l’âme comme cette particule de terrain où maintes plantes distinctes croissent et tant d’insectes vivent. Il y a surabondance; il y a lutte; il y aura donc suppression. —C’est trop! c’est trop; si l’on n'arrache celle-ci, elle étouffera celle-là. Si vous n’arrachez rien, la nature va disposer de la lutte.— Tant mieux!
Table des matières
À Henri Ghéon son franc camarade,
Читать дальше