André Gide
André Gide: Oeuvres majeures
Romans, Nouvelles, Poésie, Cahiers de Voyage, Essais Littéraires & Ouvres Autobiographiques
e-artnow, 2022
Contact: info@e-artnow.org
EAN: 4066338121257
Romans et Nouvelles Romans et Nouvelles Table des matières
Les Cahiers d'André Walter Les Cahiers d'André Walter Table des matières Le Cahier Blanc Le Cahier Noir
Le Voyage d'Urien Le Voyage d'Urien Table des matières Prélude La Mer des Sargasses Voyage Sur Une Mer Glaciale Envoi
Paludes Paludes Table des matières Hubert Angèle Le Banquet Hubert ou la Chasse au Canard Angèle ou le Petit Voyage Dimanche Envoi Alternative
Le Prométhée Mal Enchaîné Le Prométhée Mal Enchaîné Table des matières Chronique de la Moralité Privée I II III IV V La Détention de Prométhée I II III IV V VI VII VIII La Maladie de Damoclès I II III IV V VI Histoire de Tityre I II III Épilogue Réflexions
L'Immoraliste L'Immoraliste Table des matières
Le Retour de l'Enfant Prodigue Le Retour de l'Enfant Prodigue Table des matières L’Enfant Prodigue La Réprimande du Père La Réprimande du Frère Aîné La Mère Dialogue Avec le Frère Puîné
La Porte Étroite La Porte Étroite Table des matières I II III IV V VI VII VIII Journal d’Alissa
Isabelle
Les Caves du Vatican
La Symphonie Pastorale
Les Faux-Monnayeurs
L'École des Femmes
Robert
Geneviève
Ouvres Poétiques et Lyriques
Les Poésies d'André Walter
Les Nourritures Terrestres
Les Nouvelles Nourritures
Écrits de Voyage
Amyntas
Voyage au Congo
Le Retour de Tchad
Retour de l'U. R. S. S.
Retouches â Mon Retour de l'U. R. S. S.
Essais Littéraires
Prétextes; Réflexions sur quelques points de littérature et de morale
Nouveaux Prétextes
Le Journal des Faux-Monnayeurs
Dostoïevski (Articles et Causeries)
Notes sur Chopin
Ouvres Autobiographiques
Si le Grain ne Meurt
Journal 1939–1949
Table des matières
Les Cahiers d'André Walter
Table des matières
Le Cahier Blanc
Le Cahier Noir
Table des matières
Attends,
Que ta tristesse soit un peu plus reposée, – pauvre âme, que la lutte d'hier a faite si lasse.
Attends.
Quand les larmes seront pleurées, les chers espoirs refleuriront.
Maintenant tu sommeilles.
Berceuses, escarpolettes, barcarolles,
Le chant des pleureuses alanguit les chutes.
Il te faudra prier bien sagement ce soir, et que tu croies. Cela te reste, qui ne te sera pas ôté. Tu diras : Le Seigneur est ma part et mon héritage ; quand tous m'abandonneraient, tu ne me laisseras pas orphelin .
Et puis tu dormiras, – car ne réfléchis pas encore : les jours amers ne sont pas assez loin.
Endors le souvenir au gré des rêves.
Repose.
Jeudi.
Écrit des lettres...
J'ai tâché de lire, de penser... La fatigue assoupit ma tristesse ; il me semble l'avoir rêvée.
Maintenant, sous les arbres ;
L'ombre est pacifiante.
*
Que la nuit est silencieuse. J'ai presque peur à m'endormir. On est seul. La pensée se projette comme sur un fond noir ; le temps à venir apparaît sur le sombre comme une bande d'espace. Rien ne distrait de la vision commencée. On n'est plus qu'elle.
Il ne faut pas que l'âme s'alanguisse en ses rêveries mélancoliques, – mais qu'elle se réveille enfin et recommence à vivre.
⁂ Quelque soir, revenant en arrière, je redirai ces mots de deuil ; maintenant cela m'écœure d'écrire : la phrase n'est pas pour ces choses, émotions trop pures pour être parlées ; – j'ai peur qu'une rhétorique, d'ailleurs impuissante, ne profane ; par haine des mots que j'ai trop aimés, je voudrais mal écrire exprès. Je romprai les harmonies, fussent-elles fortuites :
Que tu reposes en paix, ma mère. Tu as été obéie.
Certes, l'amertume de cette double épreuve étonne encore mon âme ; pourtant, pas trop de tristesse ; ce qui domine, c'est l'orgueil d'avoir vaincu. Tu me connaissais bien si tu pensais que l'excès même de cette vertu m'exciterait à la suivre. Tu savais que les routes ardues et téméraires m'attirent, que ma volonté aime les poursuites insensées, à cause du rêve, et qu'il faut un peu de folie pour rassasier mon orgueil.
Tu les as fait tous sortir pour me parler à moi seul, – c'était quelques heures seulement avant la fin : « André », m'as-tu dit, – « mon enfant, je voudrais mourir reposée. » Je savais déjà ce que tu me dirais et j'avais rassemblé mes forces. Tu te hâtais de parler, car ta fatigue était grande : « Il serait bon que tu quittes Emmanuèle... Votre affection est fraternelle, – ne vous y trompez pas... L'habitude d'une vie commune l'a fait naître. Bien qu'elle soit ma nièce, ne me fais pas regretter de l'avoir comme adoptée depuis qu'elle est orpheline. – Je craindrais en vous laissant libres, que ton sentiment ne t'entraîne et que vous ne vous rendiez malheureux tous les deux, – tu comprendras pourquoi. Emmanuèle a déjà bien souffert : je voudrais tant qu'elle puisse être heureuse. L'aimes-tu assez pour préférer son bonheur au tien ? »
Alors tu parlas de T*** qui venait d'accourir, appelé par les tristes nouvelles. – « Emmanuèle l'estime », dis-tu. – Je savais bien. Et, comme je ne répondais rien encore : « Ai-je trop compté sur toi, mon enfant, – ou pourrai-je mourir tranquille ? »
J'étais épuisé des épreuves récentes ; j'ai dit : – « Oui, mère », sans comprendre et parce que je voulais aller jusqu'au bout – avec seulement le sentiment de me jeter dans une nuit obscure.
Je suis sorti ; quand on m'a rappelé, j'ai vu près de ton lit Emmanuèle, la main dans celle de T***. Tous nous nous sommes agenouillés ; nous avons prié. Ma pensée était inerte, – puis tu t'es endormie.
Après les ennuis cérémonieux qui distraient, nous avons communié ensemble. Emmanuèle était devant moi ; je ne l'ai pas regardée, et pour ne pas penser à elle et m'empêcher de rêver, je répétais : « Puisqu'il faut que je la perde, que je te retrouve au moins, mon Dieu, – et que tu me bénisses d'avoir suivi la route étroite. »
Puis je suis parti ; je viens ici, parce que je ne pouvais pas rester.
Jeudi.
J'ai travaillé pour que l'esprit s'occupe ; c'est dans l'effort qu'il se sent vivre. – Sorti toutes les pages écrites qui me rappellent autrefois. Je les veux toutes relire, les ranger, copier, les revivre. J'en écrirai de nouvelles sur des souvenirs anciens.
Je délivrerai ma pensée de ses rêveries antérieures, pour vivre d'une nouvelle vie ; quand les souvenirs seront dits, mon âme en sera plus légère ; je les arrêterai dans leur fuite : une chose n'est pas tout à fait morte qui n'est pas encore oubliée. Enfin je ne veux pas m'en aller, sans même détourner la tête, de ce qui m'aura tant charmé durant toute ma jeunesse. – Puis pourquoi chercher après coup les raisons d'une volonté prise, comme pour s'excuser de l'avoir ? J'écris parce que j'ai besoin d'écrire – et voilà tout. La volonté qu'on raisonne en devient plus débile : que l'action soit spontanée.
Et c'est bien plutôt, avec l'ambition ravivée, l'idée du livre si longtemps rêvé, d'ALLAIN, qui de nouveau maintenant se réveille.
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