– Vous dictez trop vite, dit Angèle. – Je ne peux pas vous suivre...
– Alors tant pis ! – n'écrivez plus ; – écoutez, Angèle ! Écoutez – car mon âme est désespérée. Que de fois, que de fois j'ai fait ce geste, comme en un cauchemar affreux où j'imaginais le ciel de mon lit détaché, tomber, m'envelopper, peser sur ma poitrine – et presque debout, lorsque je me réveillais – pour repousser de moi, à bras tendus, quelques parois invisibles – ce geste d'écarter quelqu'un dont je sentais trop près de moi l'impure haleine – de retenir à bras tendus des murs qui toujours se rapprochent, ou dont la pesante fragilité branle et chancelle au-dessus de nos têtes ; ce geste aussi, de rejeter des vêtements trop lourds, des manteaux, de dessus nos épaules. Que de fois, cherchant un peu d'air, suffocant, j'ai connu le geste d'ouvrir des fenêtres – et je me suis arrêté, sans espoir, parce qu'une fois, les ayant ouvertes...
– Vous aviez pris froid ? dit Angèle.
– ... Parce qu'une fois, les ayant ouvertes, j'ai vu qu'elles donnaient sur des cours – ou sur d'autres salles voûtées – sur des cours misérables, sans soleil et sans air – et qu'alors, ayant vu cela, par détresse, je criai de toutes mes forces : Seigneur ! Seigneur ! nous sommes terriblement enfermés ! – et que ma voix me revint tout entière de la voûte. – Angèle ! Angèle ! que ferons-nous à présent ? Tenterons-nous encore de soulever ces oppressants suaires – ou nous accoutumerons-nous à ne plus respirer qu'à peine – à prolonger ainsi notre vie dans cette tombe ?
– Nous n'avons jamais vécu plus, dit Angèle. Peut-on, dites-moi vraiment, vivre plus ? Où prîtes-vous le sentiment d'une plus grande exubérance ? Qui vous a dit que cela soit possible ? – Hubert ? – Vit-il plus parce qu'il s'agite ?
– Angèle ! Angèle ! voyez comme je sanglote à présent ! Auriez-vous donc un peu compris mon angoisse ? En votre sourire aurais-je mis peut-être enfin quelque amertume ? – Eh ! quoi ! vous pleurez maintenant. – C'est bien ! Je suis heureux ! J'agis ! – Je m'en vais terminer Paludes ! »
Angèle pleurait, pleurait et ses longs cheveux se défirent.
Ce fut alors que Hubert entra. En nous voyant échevelés : « Pardon ! – je vous dérange », dit-il, en faisant mine de ressortir.
Cette discrétion me toucha beaucoup ; de sorte que je m'écriai :
« Entre ! Entre, cher Hubert ! On ne nous dérange jamais ! – puis tristement j'ajoutai : – N'est-ce pas, Angèle ? »
Elle répondit : « Non, nous causions.
– Je ne venais qu'en passant, dit Hubert – et pour quelques mots seulement. – Je pars pour Biskra dans deux jours ; – j'ai décidé Roland à m'y accompagner. »
Brusquement je m'indignai :
« Outrecuidant Hubert – c'est moi, moi qui l'y ai décidé. Nous sortions de chez Abel tous deux – je me souviens – quand je lui dis qu'il devrait faire ce voyage. »
Hubert éclata de rire ; il dit :
« Toi ? mais mon pauvre ami, réfléchis un peu que tu en as eu assez pour être allé jusqu'à Montmorency ! comment peux-tu prétendre ?... Au reste il se peut bien que ce soit toi qui en aies parlé le premier ; mais à quoi ça sert-il, je te prie, de mettre des idées dans la tête des gens ? penses-tu que ce soit là ce qui les fasse agir ? Et même laisse-moi t'avouer ici que tu manques étrangement de force impulsive... Tu ne peux donner aux autres que ce que tu as. – Enfin, veux-tu venir avec nous ?... – non ? Eh bien ! alors ?... Donc, chère Angèle, adieu – je repasserai vous voir. »
Il sortit.
« Vous le voyez, benoîte Angèle – dis-je – je reste auprès de vous ;... mais ne croyez pas que ce soit par amour...
– O non ! je sais... répondit-elle.
– ... Mais, Angèle, voyez ! m'écriai-je avec un peu d'espoir : onze heures presque ! Oh ! comme l'heure du culte est passée ! »
Alors, en soupirant, elle dit :
« Nous irons à celui de quatre heures. »
Et tout retomba de nouveau.
Angèle eut à sortir.
– Regardant par hasard l'agenda j'y vis l'indication de la visite aux pauvres, je m'élançai vers le bureau de poste et télégraphiai :
« Oh ! Hubert ! – et les pauvres ! »
Puis rentré j'attendis la réponse en relisant le Petit Carême.
– A deux heures je reçus la dépêche. – On lisait : « Merde, lettre suit. »
– Alors m'envahit plus complètement la tristesse.
– Car, si Hubert s'en va, gémis-je – qui viendra me voir à six heures ? Paludes terminé, Dieu sait ce que je m'er vais pouvoir faire. – Je sais que ni les vers ni les drames... je ne les réussis pas bien – et mes principes esthétiques s'opposent à concevoir un roman. – J'avais pensé déjà à reprendre mon ancien sujet de POLDERS – qui continuerait bien Paludes , et ne me contredirait pas...
A trois heures, un exprès m'apporta la lettre de Hubert ; on y lisait : « Je remets à tes soins mes cinq familles indigentes ; un papier qui viendra te donnera leurs noms et les indications suffisantes ; – pour les autres diverses affaires, je les confie à Richard et à son beau-frère, car toi tu n'y connaîtrais rien. Adieu – je t'écrirai de là-bas. »
– Alors je rouvris mon agenda et sur la feuille du lundi, j'écrivis : « Tâcher de se lever à six heures. »
... A trois heures et demie, j'allai prendre Angèle ; – nous allâmes ensemble au culte de l'Oratoire.
A cinq heures – j'allai voir mes pauvres. – Puis, le temps rafraîchissant, je rentrai – je fermai mes fenêtres et me mis à écrire...
A six heures, entra mon grand ami Gaspard.
Il revenait de l'escrime. Il dit :
« Tiens ! Tu travailles ? »
Je répondis : « J'écris Polders... »
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Table des matières
Oh ! que le jour eut donc de peine Ce matin à laver la plaine .
Nous vous avons joué de la flûte
Vous ne nous avez pas écouté.
Nous avons chanté
Vous n'avez pas dansé
Et quand nous avons bien voulu danser
Plus personne ne jouait de la flûte.
Aussi depuis notre infortune
Moi je préfère la bonne lune
Elle fait se désoler les chiens
Et chanter les crapauds musiciens
Au fond des étangs bénévoles
Elle se répand sans paroles ;
Sa tiède nudité
Saigne à perpétuité.
Nous avons guidé sans houlettes
Les troupeaux vers nos maisonnettes.
Mais les moutons voulaient qu'on les mène à des fêtes
Et nous aurons été d'inutiles prophètes.
Eux mènent comme à l'abreuvoir
Les troupeaux blancs à l'abattoir.
Nous avons bâti sur le sable
Des cathédrales périssables.
Table des matières
– Ou d'aller encore une fois, ô forêt pleine de mystère, – jusqu'à ce lieu que je connais, où, dans une eau morte et brunie, trempent et s'amollissent encore les feuilles des ans passés, les feuilles des printemps adorables.
C'est là que se reposent le mieux mes résolutions inutiles, et que se réduit à la fin, à peu de chose, ma pensée.
Le Prométhée Mal Enchaîné
Table des matières
Chronique de la Moralité Privée
I
II
III
IV
V
La Détention de Prométhée
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
La Maladie de Damoclès
I
II
III
IV
V
VI
Histoire de Tityre
I
II
III
Épilogue
Réflexions
A PAUL ALBERT LAURENS
Je te dedie ce livre, cher ami, parce que tu voulus bien le louer.
Quelques rares pareils a toi puissent-ils, en cette gerbe de folle ivraie, trouver, comme tu fis, du bon grain.
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