Herman Melville - Moby Dick

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Ismaël, attiré par la mer et le large, décide de partir à la chasse à la baleine. Il embarque sur le Pequod, baleinier d'un capitaine nommé Achab, amputé d'une jambe, qui emmènera Ismaël autour du monde à la poursuite du cachalot blanc…
Faut-il présenter ce livre mythique, magnifique aventure, suspense prenant qui nous amène peu à peu à l'apocalypse finale, parabole chargée de thèmes universels et nouvelle Bible aux accents prophétiques.

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– Aux postes de vigie! Tout le monde sur le pont!

Sur le pont du gaillard d’avant, Daggoo fit un tel tonnerre avec le bout de trois anspects réunis, il éveilla les dormeurs avec un tel fracas de jugement dernier qu’ils semblèrent rejetés par l’écoutille tant ils apparurent avec promptitude, leurs vêtements à la main.

– Que voyez-vous? cria Achab le visage renversé vers le ciel.

– Rien, rien, sir! fut la réponse qui tomba d’en haut.

– Les perroquets!… les bonnettes! Hautes et basses sur les deux bords!

Toute la toile établie, il largua la sauvegarde destinée à le hisser au mât de grand cacatois. Il était au deux tiers de son ascension lorsque, regardant dans l’espace vide séparant le grand perroquet du grand hunier, il poussa un cri de goéland:

– La voilà qui souffle! La voilà qui souffle! Une bosse comme une colline neigeuse! C’est Moby Dick!

Enflammés par le cri qui parut poussé par les trois hommes de vigie ensemble, les matelots se ruèrent dans le gréement pour voir la fameuse baleine si longuement poursuivie. Achab avait maintenant atteint le sommet de son perchoir dominant les autres postes de vigie, Tashtego se trouvant juste au-dessous de lui, au chouquet du mât de grand perroquet de sorte que sa tête était au niveau du talon d’Achab. De cette hauteur, on apercevait le cachalot à un mille environ à l’avant, chaque vague dévoilant sa haute bosse étincelante cependant que son souffle montait régulièrement et silencieusement dans les airs. Aux yeux des crédules matelots c’était là le souffle silencieux qu’ils avaient vu sous la lune dans l’Atlantique et l’océan Indien.

– Et nul d’entre vous ne l’avait-il repéré avant moi? cria Achab aux hommes perchés tout autour de lui.

– Je l’ai vu presque au même moment, sir, que le capitaine Achab, et j’ai donné de la voix, dit Tashtego.

– Mais pas au même instant, non, pas au même instant… le doublon est à moi, le Destin m’avait réservé le doublon. À moi seul! Aucun d’entre vous n’aurait pu signaler la Baleine blanche le premier. La voilà qui souffle! La voilà qui souffle! Encore et encore! répéta-t-il plusieurs fois avec des intonations longues, lentes, mesurées, accordées au rythme prolongé du souffle de la baleine:

– Elle va sonder! Rentrez les bonnettes, amenez les perroquets! Parez trois baleinières! Monsieur Starbuck, souvenez-vous, vous restez à bord et vous gardez le navire. Vous, à la barre. Loffe, loffe un point! Doucement, homme, doucement! Voilà la queue! Non, non, ce n’est que la noirceur de l’eau! Parées, les pirogues? Paré! paré! Descendez-moi, monsieur Starbuck, descendez-moi, plus vite… vite! et il traversa l’air jusqu’au pont.

– Elle file droit sous le vent, sir, dit Stubb, droit devant nous, elle n’a pas encore pu voir le navire.

– Silence, homme! Paré aux bras! Barre dessous toute! Brassez! Ralinguez! Ralinguez! C’est ça… bien! Les pirogues à la mer!

Toutes les baleinières, hormis celle de Starbuck, furent bientôt à la mer, les voiles établies, toutes les pagaies maniées vigoureusement, soulevant des ondulations rapides, elles se ruaient sous le vent, celle d’Achab en tête. Dans les yeux caves de Fedallah s’alluma une pâle lueur de mort, un rictus hideux tordit sa bouche.

Telles de silencieuses coquilles de nautiles, leurs proues légères fendaient la mer, mais elles ne purent approcher leur ennemi que lentement, car à mesure qu’elles avançaient, l’Océan se fit plus calme encore, il paraissait étaler un tapis sur les vagues et sa sérénité en faisait une prairie matinale. Enfin le chasseur haletant fut si près de sa proie, apparemment sans méfiance, que sa bosse éblouissante fut tout entière visible, glissant comme une île solitaire sans cesse sertie de l’anneau mouvant d’une écume verdâtre, légère et floconneuse. Il vit les grandes rides indiquées qui barraient son front soulevé hors de l’eau à l’avant et, projetée loin en avant sur le moelleux tapis d’Orient des eaux, la chatoyante ombre blanche de ce large front laiteux qu’accompagnait, joueuse, la musique des vaguelettes, cependant que, derrière lui, la mer bleue roulait dans la vallée mouvante de son sillage, et que de part et d’autre de ses flancs des bulles brillantes jaillissaient en dansant. Les pattes légères de centaines d’oiseaux joyeux les faisaient aussitôt éclater, dont les plumes posaient leur douceur sur la mer au gré de leur vol capricieux. Pareil au mât de pavillon d’une caraque dressé sur sa coque peinte, la haute hampe brisée d’une lance, récemment reçue, se dressait sur le dos blanc de la baleine. Par moments, s’isolant du dais léger tendu par le nuage des oiseaux qui planaient au-dessus du poisson, l’un d’eux se perchait et se balançait sur la hampe, les longues plumes de sa queue flottant comme des banderoles.

Une joie paisible, une souveraine sérénité dans l’élan même enveloppaient le glissement de la baleine. Jupiter, taureau blanc emportant à la nage Europe accrochée à ses cornes gracieuses, coulant ses beaux yeux malicieux vers la jeune fille, filant, avec une vitesse ensorcelante, vers la demeure nuptiale de Crète, Jupiter ne surpassait pas, en sa majesté suprême, la glorieuse Baleine blanche en sa nage divine.

De chaque côté de son flanc éclatant, le flot partagé s’évasait largement, et la baleine soulevait une vague de séduction. Il n’est pas étonnant, dès lors, que certains chasseurs, indiciblement transportés et attirés par tant de sérénité se soient aventurés à l’attaquer, découvrant pour leur malheur que cette quiétude n’était qu’apparence et cachait des ouragans. Ainsi tu voguais, ô baleine, calme si calme aux yeux de ceux qui te voyaient pour la première fois, sans souci de tous ceux que tu avais déjà pris à ce piège pour les tromper et les détruire.

Ainsi à travers la tranquillité de la mer tropicale dont les vagues, au comble de l’extase, taisaient leurs applaudissements, Moby Dick avançait, cachant encore l’épouvante détenue par son corps, et dissimulant la hideur de sa mâchoire torve. Mais bientôt il se leva sur l’eau, et pendant un instant le marbre de son corps s’arqua, pareil au pont naturel de Virginie, il agita, en signe d’avertissement, l’étendard de sa queue, et le dieu révéla en entier sa grandeur, sonda et disparut. Les oiseaux blancs planèrent et plongèrent, puis s’attardèrent longuement sur le lac agité qu’il avait laissé.

Les avirons matés, les pagaies baissées, leurs écoutes choquées, les trois baleinières flottaient en silence, attendant que réapparût Moby Dick.

– Une heure, dit Achab, planté debout à l’arrière de sa pirogue, et il regarda loin au-delà de l’endroit où la baleine avait sondé vers les vastes et pâles espaces bleus qui laissaient sous le vent des vides caressants. Mais cela ne dura qu’un instant, ses yeux parurent se révulser tandis qu’ils embrassaient la mer du regard. La brise fraîchissait et la mer commençait à enfler.

– Les oiseaux!… les oiseaux! cria Tashtego.

En longue file indienne, tels des hérons prenant leur vol, les oiseaux blancs se dirigeaient tous vers la pirogue d’Achab, et lorsqu’ils s’en furent approchés ils commencèrent à battre des ailes au-dessus de l’eau en tournoyant, avec des cris joyeux d’attente. Leur œil était plus aigu que celui de l’homme, Achab ne voyait rien sur la mer. Mais soudain, tandis qu’il scrutait encore et encore les profondeurs, il y discerna un point blanc pas plus gros qu’une hermine et qui montait et augmentait de volume à une vitesse surprenante, jusqu’à ce que, se retournant, il montrât brusquement les deux longues rangées crochues de ses dents éblouissantes remontant des abîmes indiscernables. C’était la gueule ouverte de Moby Dick et sa mâchoire tordue. Sa masse énorme, ombrée, était encore à demi dissimulée dans l’azur marin. Cette bouche éclatante bâillait juste sous la baleinière telle la porte ouverte d’une tombe de marbre. D’un long coup de son aviron de queue, Achab écarta l’embarcation de cette effrayante apparition. Puis, ordonnant à Fedallah de changer de place avec lui, il passa à l’avant, et, saisissant le harpon de Perth, il dit à ses hommes d’empoigner leurs avirons et d’être prêts à culer.

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