Une commode, une table de couturière et quelques chaises formaient l’ameublement. Tout cela souriait, inondé de gai soleil. Il n’y avait de triste qu’un meuble en bois de rose qui restait là, parlant d’un luxe évanoui, et faisant contraste avec tout ce qui l’entourait.
La Gloriette était levée depuis longtemps déjà. On le voyait à l’ordre établi dans le modeste ménage. Elle avait savonné des chemises, des collerettes, des bas mignons appartenant à Petite-Reine; les souliers de Petite-Reine étaient cirés et sa gentille toilette attendait, bien brossée.
Que disions-nous qu’il était triste le meuble en bois de rose! Il était joyeux plutôt et, certes, Lily ne regrettait rien en le regardant. C’était l’armoire de Petite-Reine, il contenait tous les objets à l’usage de l’enfant adoré qui était l’âme de cette demeure.
Ah! qui pourrait dire comme on la chérissait, comme on était follement fière d’elle, et heureuse, et facile à glisser sur la pente d’or des beaux rêves d’avenir!
Il y avait un deuil dans le passé, un grand amour brisé, une douleur que rien ne devait éteindre.
Mais supposez le cœur le mieux doué, vous y trouverez un battement qui domine. Chaque femme surtout a une corde qui vibre plus passionnément, un attrait, un élan supérieur à tous autres: une vocation dans la passion.
Celle-là est mère avant tout, celle-ci, avant tout, est amante.
La Gloriette était mère jusqu’au culte, jusqu’au délire.
Elle avait aimé Justin, elle avait pleuré Justin, son premier, son unique ami, mais ce berceau, cette allégresse, cette idolâtrie!
J’en ai vu qui restaient inconsolables et mornes à regarder l’enfant dont le père n’était plus; j’en ai vu qui regrettaient le père avec assez d’emportement furieux pour prendre l’enfant en horreur.
La Gloriette avait souri parmi ses larmes, dès le premier jour de son veuvage, penchée qu’elle était en un recueillement dévot au-dessus du sommeil de Petite-Reine.
Elle s’était dit peut-être après le départ de Justin, tant il peut y avoir de joie jalouse dans le spasme de cette folie maternelle: Petite-Reine sera à moi toute seule.
Elle n’aura que moi au monde. Je lui donnerai ma vie. Elle me payera avec tout son amour.
Elle aimait encore Justin, surtout parce que Justin était le père de Petite-Reine; elle le regrettait, parce qu’il eût si bien admiré la chère enfant du matin au soir; mais son cœur était plein, et quand elle parlait à Dieu, c’était un long cantique d’actions de grâces. Elle remerciait la bonté de Dieu qui faisait sourire sa fille, si jolie dans ce pauvre berceau: elle s’agenouillait, ne sachant plus si elle adorait Dieu ou la frêle créature endormie, calme, rose, et dont les lèvres fraîches, entrouvertes pour laisser passer le souffle si doux des petits, semblaient appeler le baiser en murmurant: Maman chérie!
Elle se trouvait heureuse: il n’y avait pas au monde une créature humaine dont elle enviât le sort, car la pauvreté est légère à supporter quand une grande joie soutient l’âme, ou un grand orgueil, et la Gloriette avait pour exalter sa jeune âme la plus grande de toutes les joies, le plus grand de tous les orgueils.
La Gloriette avait appris à Petite-Reine une prière bien courte, mais si belle! pour demander à la bonne Vierge, qui est mère aussi, le retour de son papa. Elle était sûre que Justin reviendrait, non point pour elle peut-être, mais pour Petite-Reine. Elle avait un moyen sûr, infaillible!
Encore quelques semaines d’amour sans partage; puis, quand l’enfant grandissant devait avoir des besoins que le travail acharné de ses mains ne pourrait plus satisfaire, elle comptait se rendre chez un de ces photographes qui font si beaux les amours dans les bras de leur mère.
Si vous saviez combien de fois elle s’était arrêtée à regarder tous ces chérubins qui rient aux vitrines de Nadar et de Carjat, jolis comme des anges, mais moins jolis que Petite-Reine.
Elle comptait donc aller chez Carjat ou chez Nadar avec Petite-Reine habillée comme l’enfant Jésus; elle comptait enlever le filet qui tenait captifs ces cheveux blonds où elle baignait, le matin et le soir, ses baisers affolés. – Et alors, sur la vitre miraculeuse le rayon de soleil devait fixer un sourire d’ange, suave et doux, encadré dans les boucles d’or de cette chevelure, glorieuse comme une auréole.
Et, fût-il au bout de l’univers, que vouliez-vous que fit Justin, ouvrant la lettre et voyant ce portrait, sinon revenir, revenir bien vite pour s’agenouiller de l’autre côté du berceau?
Vous souriez? mais Lily savait mieux que vous comment était fait ce pauvre beau Justin de Vibray, le roi des étudiants, noble intelligence, faible volonté. On devait le retenir prisonnier quelque part, et Lily ne maudissait point le geôlier de cette prison, qui était encore une mère.
D’ailleurs, Lily, cette belle petite dame que nous vîmes hier, si discrète et si sage dans le rôle de maman, était un enfant aussi.
Ce matin, à l’heure où l’âge des femmes saute aux yeux, vous lui auriez donné dix-huit ou dix-neuf ans à toute peine.
Elle avait son déshabillé de travail: une jupe de bazin, une camisole de percale; ses cheveux, plus riches et plus doux que ceux de l’enfant, allaient où ils voulaient en un désordre charmant et lui faisaient une coiffure que nulle ne pourrait acheter, fût-ce au prix d’un trône.
Elle avait bien quelque pâleur aux joues, mais vous l’en eussiez mieux aimée, tant cette pâleur, délicate et douce, se mariait heureusement aux lumières de sa chevelure et à cette profonde étincelle qui jaillissait de ses grands yeux noirs.
Lily était belle, bien plus qu’autrefois; plus belle même que Petite-Reine n’était jolie. Un peintre connaisseur vous eût dit qu’elle devait devenir encore plus belle.
Mais je ne sais comment exprimer cela. Ce n’était point son exquise beauté qui frappait le cœur ni le regard, c’était sa gentillesse de jeune mère, active à la besogne. En elle la mère emportait tout. Les grâces enchantées de sa taille, la splendeur de ses traits n’étaient en une sorte que des charmes accessoires auprès de la séduction attendrie qui s’épandait autour de son travail.
Elle allait, elle venait, leste comme un oiseau, et gaie, et commençant un doux chant, interrompu par une distraction maternelle.
C’était une petite chemise, raide de savon, qu’il fallait retourner sur la corde où elle séchait, le manteau à brosser, le chapeau dont la plume coquette demandait un coup de doigt, puis les brillantes bottines, mignonnes comme des jouets – puis un regard au berceau, et après chaque regard, vous pensez, l’irrésistible besoin d’un baiser, puis, que sais-je?
Le soleil reluisait si joyeusement! On s’accoudait une minute à la fenêtre… Psst! La laitière! Et le déjeuner de Petite-Reine! Paresseuse!
La laitière, figurez-vous cela, montait chaque matin les trois étages pour quatre sous, ou plutôt pour madame Lily et pour la petite.
En bas, la laitière avait la voix rauque et mettait je ne sais quoi dans ses pots de fer-blanc; mais en haut, elle apportait de la vraie crème, et sa voix changeait.
Y avait-il quelque chose d’assez bon, d’assez doux pour ces deux chères créatures! Tout le quartier était comme la laitière. On les aimait, on les respectait.
– Madame Hureau, dit la Gloriette quand la paysanne entra, vous nous trompez, je m’aperçois bien de cela: vous faites trop bonne mesure.
Madame Hureau était déjà à regarder Petite-Reine dans son berceau.
Elle rabattit la corne de son tablier et l’enfant s’éveilla, inondée de lilas tout frais, tout mouillés, de bons gros lilas de campagne, qui réjouissent l’œil, protégés par de robustes feuillées.
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