BRID'OISON, à Marceline. Et tou-out le monde est satisfait.
LE COMTE. Qu'on dresse les deux contrats; j'y signerai.
TOUS ENSEMBLE. Vivat!
ils sortent.
LE COMTE. J'ai besoin d'une heure de retraite.
Il veut sortir avec les autres.
GRIPE-SOLEIL, FIGARO, MARCELINE, LE COMTE
GRIPE-SOLEIL, à Figaro. Et moi, je vais aider à ranger le feu d'artifice sous les grands marronniers, Comme on l'a dit.
LE COMTE revient en courant. Quel sot a donné un tel ordre?
FIGARO. Où est le mal?
LE COMTE, vivement. Et la Comtesse qui est incommodée, d'où le verra-t-elle, l'artifice? C'est sur la terrasse qu'il le faut, vis-à-vis son appartement.
FIGARO. Tu l'entends, Gripe-Soleil? la terrasse.
LE COMTE. Sous les grands marronniers! belle idée! (En s'en allant, à part.) Ils allaient incendier don rendez-vous!
FIGARO, MARCELINE
FIGARO. Quel excès d'attention pour sa femme!
Il veut sortir.
MARCELINE l'arrête. Deux mots, mon fils. Je veux m'acquitter avec toi: un sentiment mal dirigé m'avait rendue injuste envers ta charmante femme; je la supposais d'accord avec le Comte, quoique j'eusse appris de BAZILE qu'elle l'avait toujours rebuté.
FIGARO. Vous connaissiez mal votre fils de le croire ébranlé par ces impulsions féminines. Je puis défier la plus rusée de m'en faire accroire.
MARCELINE. Il est toujours heureux de le penser, mon fils; la jalousie…
FIGARO…N'est qu'un sot enfant de l'orgueil, ou c'est la maladie d'un fou. Oh! j'ai là-dessus, ma mère, une philosophie… imperturbable; et si Suzanne doit me tromper un jour, je le lui pardonne d'avance; elle aura longtemps travaillé…
Il se retourne et aperçoit Fanchette qui cherche de côté et d'autre.
FIGARO, FANCHETTE, MARCELINE
FIGARO. Eeeh!… ma petite cousine qui nous écoute!
FANCHETTE. Oh! pour ça, non: on dit que c'est malhonnête.
FIGARO. Il est vrai; mais comme cela est utile, on fait aller souvent l'un pour l'autre.
FANCHETTE. Je regardais si quelqu'un était là.
FIGARO. Déjà dissimulée, friponne! vous savez bien qu'il n'y peut être.
FANCHETTE. Et qui donc?
FIGARO. Chérubin.
FANCHETTE. Ce n'est pas lui que je cherche, car je sais fort bien où il est; c'est ma cousine Suzanne.
FIGARO. Et que lui veut ma petite cousine?
FANCHETTE. A vous, petit Cousin, je le dirai. – C'est… ce n'est qu'une épingle que je veux lui remettre.
FIGARO, vivement. Une épingle! une épingle!… Et de quelle part, Coquine? A votre âge, vous faites déjà un mét… (Il se reprend et dit d'un ton doux.) Vous faites déjà très bien tout ce que vous entreprenez, Fanchette; et ma jolie cousine est si obligeante…
FANCHETTE. A qui donc en a-t-il de se fâcher? Je m'en vais.
FIGARO, l'arrêtant. Non, non, je badine. Tiens, ta petite épingle est celle que Monseigneur t'a dit de remettre à Suzanne, et qui servait à cacheter un petit papier qu'il tenait: tu vois que je suis au fait.
FANCHETTE. Pourquoi donc le demander, quand vous le savez si bien?
FIGARO, cherchant. C'est qu'il est assez gai de savoir comment Monseigneur s'y est pris pour te donner la Commission.
FANCHETTE, naïvement. Pas autrement que vous le dites: Tiens, petite Fanchette, rends cette épingle à ta belle cousine, et dis-lui seulement que c'est le cachet des grands marronniers.
FIGARO. Des grands?…
FANCHETTE. Marronniers. Il est vrai qu'il a ajouté: Prends garde que personne ne te voie…
FIGARO. Il faut obéir, ma cousine: heureusement personne ne vous a vue. Faites donc joliment votre commission, et n'en dites pas plus à Suzanne que Monseigneur n'a ordonné.
FANCHETTE. Et pourquoi lui en dirais-je?.Il me prend pour un enfant, mon cousin.
Elle sort en sautant.
FIGARO, MARCELINE
FIGARO. Eh bien, ma mère?
MARCELINE, Eh bien, mon fils?
FIGARO, comme étouffé. Pour Celui-ci!… Il y a réellement des choses!…
MARCELINE. Il y a des choses! Hé, qu'est-ce qu'il y a?
FIGARO, les mains sur sa poitrine. Ce que je viens d'entendre, ma mère, je l'ai là comme un plomb.
MARCELINE, riant. Ce coeur plein d'assurance n'était donc qu'un ballon gonflé? une épingle a tout fait partir!
FIGARO, furieux. Mais cette épingle, ma mère, est celle qu'il a ramassée!
MARCELINE, rappelant ce qu il a dit. La jalousie! oh! j'ai là-dessus, ma mère, une philosophie… imperturbable; et si Suzanne m'attrape un jour, je le lui pardonne…
FIGARO, vivement. Oh, ma mère! On parle comme on sent: mettez le plus glacé des juges à plaider dans sa propre cause, et voyez-le expliquer la loi! – Je ne m'étonne plus s'il avait tant d'humeur sur ce feux! – Pour la mignonne aux fines épingles, elle n'en est pas où elle le croit, ma mère, avec ses marronniers! Si mon mariage est assez fait pour légitimer ma colère, en revanche il ne l'est pas assez pour que je n'en puisse épouser une autre, et l'abandonner…
MARCELINE. Bien Conclu! Abîmons tout sur un soupçon. Qui t'a prouvé, dis-moi, que c'est toi qu'elle joue, et non le Comte? L'as-tu étudiée de nouveau, pour la condamner sans appel? Sais-tu si elle se rendra sous les arbres, à quelle intention elle y va? ce qu'elle y dira, ce qu'elle y fera? Je te croyais plus fort en jugement!
FIGARO, lui baisant la main avec transport. Elle a raison, ma mère; elle a raison, raison, toujours raison! Mais accordons, maman, quelque chose à la nature: on en vaut mieux après. Examinons en effet avant d'accuser et d'agir. Je sais où est le rendez-vous. Adieu, ma mère. Il sort.
MARCELINE, seule
Adieu. Et moi aussi, je le sais. Après l'avoir arrêté, veillons sur les voies de Suzanne, ou plutôt avertissons-la; elle est si jolie créature! Ah! quand l'intérêt personnel ne nous arme pas les unes contre les autres, nous sommes toutes portées à soutenir notre pauvre sexe opprimé contre ce fier, ce.terrible… (en riant) et pourtant un peu nigaud de sexe masculin.
Elle sort.
Le théâtre représente une salle de marronniers, dans un parc; deux pavillons, kiosques, ou temples de jardins, sont à droite et à gauche; le fond est une clairière ornée, un siège de gazon sur le devant. Le théâtre est obscur.
FANCHETTE, seule, tenant d'une main deux biscuits et une orange, et de l'autre une lanterne de papier allumée
Dans le pavillon à gauche, a-t-il dit. C'est celui-ci. S'il allait ne pas venir à prirent! mon petit rôle… Ces vilaines gens de l'office qui ne voulaient pas seulement me donner une orange et deux biscuits! – Pour qui, mademoiselle? – Eh bien, monsieur, c'est pour quelqu'un. – Oh! nous savons. – Et quand ça serait? Parce que Monseigneur ne veut pas le voir, faut-il qu'il meure de faim? – Tout ça pourtant m'a coûté un fier baiser sur la joue!… Que sait-on? Il me le rendra peut-être. (Elle voit Figaro qui vient l'examiner; elle fait un cri.) Ah!…
Elle s'enfuit, et elle entre dans le pavillon à sa gauche.
FIGARO, un grand manteau sur les épaules, un large chapeau rabattu,
BAZILE, ANTONIO, BARTHOLO, BRID'OISON, GRIPE-SOLEIL, TROUPE DE VALETS ET DE TRAVAILLEURS
FIGARO, d'abord seul. C'est Fanchette! (Il parcourt des yeux les autres à mesure qu'ils arrivent, et dit d'un ton farouche.) Bonjour, messieurs; bonsoir: êtes-vous tous ici?
BAZILE. Ceux que tu as pressés d'y venir.
FIGARO. Quelle heure est-il bien à peu près?
ANTONIO regarde en l'air. La lune devrait être levée.
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