LA COMTESSE. Voici les deux noces, asseyons-nous donc pour les recevoir.
LE COMTE, à part. La noce! Il faut souffrir de ce qu'on ne peut empêcher._
Le Comte et la Comtesse s'assoient vers un des côtés de la galerie.
LE COMTE, LA COMTESSE, assis;
l'on joue les Folies d'Espagne
d'un mouvement de marche (symphonie notée)
MARCHE
LES GARDES-CHASSE, fusil sur l'épaule.
L'ALGUAZIL. LES PRUD'HOMMES. BRID'OISON.
LES PAYSANS ET PAYSANNES en habits de fête.
DEUX JEUNES FILLES, portant la toque virginale à plumes blanches.
DEUX AUTRES, le voile blanc.
DEUX AUTRES, les gants et le bouquet de côté.
ANTONIO donne la main à SUZANNE, Comme étant celui qui la marie à FIGARO.
D'AUTRES JEUNES FILLES prennent une autre toque, un autre voile, un autre bouquet blanc, semblables aux premiers, pour MARCELINE.
FIGARO donne la main à MARCELINE, comme celui qui doit la remettre au DOCTEUR, lequel ferme la marche, un gros bouquet au côté. Les jeunes filles, en passant devant le Comte, remettent à ses valets tous les ajustements destinés à SUZANNE et à MARCELINE.
LES PAYSANS ET PAYSANNES s'étant rangés sur deux colonnes à chaque côté du salon, on danse une reprise du fandango (air noté) avec des castagnettes: puis on joue la ritournelle du duo, pendant laquelle ANTONIO conduit SUZANNE au COMTE; elle se met à genoux devant lui.
Pendant que le COMTE lui pose la toque, le voile, et lui donne le bouquet, deux jeunes filles chantent le duo suivant (air noté):.
Jeune épouse, chantez les bienfaits et la gloire
D'un maître qui renonce aux droits qu'il eut sur vous:
Préférant au plaisir la plus noble victoire,
Il vous rend chaste et pure aux mains de votre époux.
SUZANNE est à genoux, et, pendant les derniers vers du duo, elle tire le COMTE par son manteau et lui montre le billet qu'elle tient: puis elle porte la main qu'elle a du côté des spectateurs à sa tête, où LE COMTE a l'air d'ajuster sa toque; elle lui donne le billet.
LE COMTE le met furtivement dans son sein; on achève de chanter le duo: la fiancée se relève, et lui fait une grande révérence.
FIGARO vient la recevoir des mains du COMTE, et se retire avec elle à l'autre côté du salon, près de MARCELINE. (On danse une autre reprise du fandango pendant ce temps.)
LE COMTE, pressé de lire ce qu'il a reçu, s'avance au bord du théâtre et tire le papier de son sein; mais en le sortant il fait le geste d'un homme qui s'est cruellement piqué le doigt; il le secoue, le presse, le suce, et regardant le papier cacheté d'une épingle, il dit:
LE COMTE (Pendant qu'il parle, ainsi que Figaro, l'orchestre joue pianissimo.) Diantre soit des femmes, qui fourrent des épingles partout!
Il la jette à terre, puis il lit le billet et le baise.
FIGARO, qui a tout vu, dit à sa mère et à Suzanne: C'est un billet doux, qu'une fillette aura glissé dans sa main en passant. Il était cacheté d'une épingle, qui l'a outrageusement piqué. La danse reprend: le Comte qui a lu le billet le retourne; il y voit l'invitation de renvoyer le cachet pour réponse. Il cherche à terre, et retrouve enfin l'épingle qu'il attache à sa manche.
FIGARO, à Suzanne et à Marceline. D'un objet aimé tout est cher. Le voilà qui ramasse l'épingle. Ah! c'est une drôle de tête!. Pendant ce temps, SUZANNE a des signes d'intelligence avec la Comtesse. La danse finit; la ritournelle du duo recommence. Figaro conduit Marceline au Comte, ainsi qu'on a conduit Suzanne; à l'instant où le Comte prend la toque, et où l'on va chanter le duo, on est interrompu par les cris suivants:
L'HUISSIER, criant à la porte. Arrêtez donc, messieurs! vous ne pouvez entrer tous… Ici les gardes! les gardes! Les gardes vont vite à cette porte.
LE COMTE, se levant. Qu'est-ce qu'il y a?
L.HUISSIER. Monseigneur, C'est monsieur BAZILE entouré d'un village entier, parce qu'il chante en marchant.
LE COMTE. Qu'il entre seul.
LA COMTESSE. Ordonnez-moi de me retirer.
LE COMTE. Je n'oublie pas votre complaisance.
LA COMTESSE. Suzanne!… Elle reviendra. (A part, à Suzanne.) Allons changer d'habits.
Elle sort avec Suzanne.
MARCELINE. Il n'arrive jamais que pour nuire.
FIGARO. Ah! je m'en vais vous le faire déchanter.
TOUS LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, excepté la Comtesse et Suzanne; BAZILE tenant sa guitare; GRIPE-SOLEIL
BAZILE entre en chantant sur l'air du vaudeville de la fin.
(Air noté.)
Coeurs sensibles, coeurs fidèles,
Qui blâmez l'amour léger,
Cessez vos plaintes cruelles:
Est-ce un crime de changer?
Si l'Amour porte des ailes,
N'est-ce pas pour voltiger?
N'est-ce pas pour voltiger?
N'est-ce pas pour voltiger?
FIGARO s'avance à lui. Oui, C'est pour cela justement qu'il a des ailes au dos. Notre ami, qu'entendez-vous par cette musique.
BAZILE, montrant Gripe-Soleil. Qu'après avoir prouvé mon obéissance à Monseigneur en amusant Monsieur, qui est de sa compagne, je pourrai à mon tour réclamer sa justice.
GRIPE-SOLEIL. Bah! Monseigneur, il ne m'a pas amusé du tout: avec leurs guenilles d'ariettes…
LE COMTE. Enfin que demandez-vous, BAZILE?
BAZILE. Ce qui m'appartient, Monseigneur, la main de Marceline; et je viens m'opposer…
FIGARO s'approche. Y a-t-il longtemps que Monsieur n'a vu la figure d'un fou?
BAZILE. Monsieur, en ce moment même.
FIGARO. Puisque mes yeux vous servent si bien de miroir, étudiez-y l'effet de ma prédiction. Si vous faites mine seulement d'approximer Madame…
BARTHOLO, en riant. Eh pourquoi? Laisse-le parler.
BRID'OISON s'avance entre deux. Fau-aut-il que deux amis?…
FIGARO. NOUS, amis!
BAZILE. Quelle erreur!
FIGARO, vite. Parce qu'il fait de plats airs de Chapelle?
BAZILE, vite. Et lui, des vers comme un journal?
FIGARO, vite. Un musicien de guinguette!
BAZILE, vite. Un postillon de gazette!
FIGARO, vite. Cuistre d'oratorio!
BAZILE, vite. Jockey diplomatique!
LE COMTE, assis. Insolents tous les deux!
BAZILE. Il me manque en toute occasion.
FIGARO. C'est bien dit, si cela se pouvait!
BAZILE. Disant partout que je ne suis qu'un sot.
FIGARO. Vous me prenez donc pour un écho?
BAZILE. Tandis qu'il n'est pas un chanteur que mon talent n'ait fait briller.
FIGARO. Brailler.
BAZILE. Il le répète!
FIGARO. Et pourquoi non, si cela est vrai? Es-tu un prince, pour qu'on te flagorne? Souffre la vérité, coquin, puisque tu n'as pas de quoi gratifier un menteur; ou si tu la crains de notre part, pourquoi viens-tu troubler nos noces?
BAZILE, à Marceline. M'avez-vous promis, oui ou non, si, dans quatre ans, vous n'étiez pas pourvue, de me donner la préférence?
MARCELINE. A quelle Condition l'ai-je promis?
BAZILE. Que si vous retrouviez un certain fils perdu, je l'adopterais par complaisance.
TOUS ENSEMBLE. Il est trouvé.
BAZILE. Qu'à cela ne tienne!
TOUS ENSEMBLE, montrant Figaro. Et le voici.
BAZILE, reculant de frayeur. J'ai vu le diable!
BRID'OISON, à BAZILE. Et vou-ous renoncez à sa chère mère?
BAZILE. Qu'y aurait-il de plus fâcheux que d'être cru le père d'un garnement?
FIGARO. D'en être cru le fils; tu te moques de moi!
BAZILE, montrant Figaro. Dés que Monsieur est quelque chose ici, je déclare, moi, que je n'y suis plus de tien.
Il sort.
LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, excepté BAZILE
BARTHOLO, riant. Ah! ah! ah! ah!
FIGARO, sautant de joie. Donc à la fin j'aurai ma femme!
LE COMTE, à part. Moi, ma maîtresse.
Il se lève.
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