J'ai les ordres sur moi qui vont être transmis
À chaque compagnie, à l'instant même, hormis...
(Il en détache un).
Celui-ci ! C'est celui des cadets.
(Il le met dans sa poche).
Je le garde.
(Riant).
Ah ! ah ! ah ! Cyrano !.. Son humeur bataillarde !..
- Vous jouez donc des tours aux gens, vous ?..
ROXANE, le regardant.
Quelquefois.
DE GUICHE, tout près d'elle.
Vous m'affolez ! Ce soir - écoutez - oui, je dois
Être parti. Mais fuir quand je vous sens émue !..
Écoutez. Il y a, près d'ici, dans la rue
D'Orléans, un couvent fondé par le syndic
Des capucins, le Père Athanase. Un laïc
N'y peut entrer. Mais les bons Pères, je m'en charge !..
Ils peuvent me cacher dans leur manche : elle est large.
- Ce sont les capucins qui servent Richelieu
Chez lui ; redoutant l'oncle, ils craignent le neveu. -
On me croira parti. Je viendrai sous le masque.
Laissez-moi retarder d'un jour, chère fantasque !..
ROXANE, vivement.
Mais si cela s'apprend, votre gloire...
DE GUICHE.
Bah !
ROXANE.
Mais
Le siège, Arras...
DE GUICHE.
Tant pis ! Permettez !
ROXANE.
Non !
DE GUICHE.
Permets !
ROXANE, tendrement.
Je dois vous le défendre !
DE GUICHE.
Ah !
ROXANE.
Partez !
( À part).
Christian reste.
(Haut).
Je vous veux héroïque, - Antoine !
DE GUICHE.
Mot céleste !
Vous aimez donc celui ?..
ROXANE.
Pour lequel j'ai frémi.
DE GUICHE, transporté de joie.
Ah ! je pars !
(Il lui baise la main).
Êtes-vous contente ?
ROXANE.
Oui, mon ami !
(Il sort).
LA DUÈGNE, lui faisant dans le dos une révérence comique.
Oui, mon ami !
ROXANE, à la duègne.
Taisons ce que je viens de faire.
Cyrano m'en voudrait de lui voler sa guerre !
(Elle appelle vers la maison).
Cousin !
Scène III
Roxane, la duègne, Cyrano.
ROXANE.
Nous allons chez Clomire.
(Elle désigne la porte d'en face).
Alcandre y doit
Parler, et Lysimon !
LA DUÈGNE, mettant son petit doigt dans son oreille.
Oui ! mais mon petit doigt
Dit qu'on va les manquer !
CYRANO, à Roxane.
Ne manquez pas ces singes.
(Ils sont arrivés devant la porte de Clomire).
LA DUÈGNE, avec ravissement.
Oh ! voyez ! le heurtoir est entouré de linges !..
(Au heurtoir).
On vous a bâillonné pour que votre métal
Ne troublât pas les beaux discours, - petit brutal !
(Elle le soulève avec des soins infinis et frappe doucement).
ROXANE, voyant qu'on ouvre.
Entrons !..
(Du seuil, à Cyrano).
Si Christian vient, comme je le présume,
Qu'il m'attende !
CYRANO, vivement, comme elle va disparaître.
Ah !..
(Elle se retourne).
Sur quoi, selon votre coutume,
Comptez-vous aujourd'hui l'interroger ?
ROXANE.
Sur...
CYRANO, vivement.
Sur ?
ROXANE.
Mais vous serez muet, là-dessus !
CYRANO.
Comme un mur.
ROXANE.
Sur rien !.. Je vais lui dire : Allez ! Partez sans bride !
Improvisez. Parlez d'amour. Soyez splendide !
CYRANO, souriant.
Bon.
ROXANE.
Chut !..
CYRANO.
Chut !..
ROXANE.
Pas un mot !..
(Elle rentre et referme la porte).
CYRANO, la saluant, la porte une fois fermée.
En vous remerciant.
(La porte se rouvre et Roxane passe la tête).
ROXANE.
Il se préparerait !..
CYRANO.
Diable, non !..
TOUS LES DEUX, ensemble.
Chut !..
(La porte se ferme).
CYRANO, appelant.
Christian !
Scène IV
Cyrano, Christian.
CYRANO.
Je sais tout ce qu'il faut. Prépare ta mémoire.
Voici l'occasion de se couvrir de gloire.
Ne perdons pas de temps. Ne prends pas l'air grognon.
Vite, rentrons chez toi, je vais t'apprendre...
CHRISTIAN.
Non !
CYRANO.
Hein ?
CHRISTIAN.
Non ! J'attends Roxane ici.
CYRANO.
De quel vertige
Es-tu frappé ? Viens vite apprendre...
CHRISTIAN.
Non, te dis-je !
Je suis las d'emprunter mes lettres, mes discours,
Et de jouer ce rôle, et de trembler toujours !..
C'était bon au début ! Mais je sens qu'elle m'aime !
Merci. Je n'ai plus peur. Je vais parler moi-même.
CYRANO.
Ouais !
CHRISTIAN.
Et qui te dit que je ne saurai pas ?..
Je ne suis pas si bête à la fin ! Tu verras !
Mais, mon cher, tes leçons m'ont été profitables.
Je saurai parler seul ! Et, de par tous les diables,
Je saurai bien toujours la prendre dans mes bras !..
(Apercevant Roxane, qui ressort de chez Clomire).
- C'est elle ! Cyrano, non, ne me quitte pas !
CYRANO, le saluant.
Parlez tout seul, Monsieur.
(Il disparaît derrière le mur du jardin).
Scène V
Christian, Roxane, quelques précieux et précieuses, et la duègne, un instant.
ROXANE, sortant de la maison de Clomire avec une compagnie qu'elle quitte : révérences et saluts.
Barthénoïde ! - Alcandre ! -
Grémione !..
LA DUÈGNE, désespérée.
On a manqué le discours sur le Tendre !
(Elle rentre chez Roxane).
ROXANE, saluant encore.
Urimédonte !.. Adieu !..
(Tous saluent Roxane, se resaluent entre eux, se séparent et s'éloignent par différentes rues. Roxane voit Christian).
C'est vous !..
(Elle va à lui).
Le soir descend.
Attendez. Ils sont loin. L'air est doux. Nul passant.
Asseyons-nous. Parlez. J'écoute.
CHRISTIAN, s'assied près d'elle, sur le banc. Un silence.
Je vous aime.
ROXANE, fermant les yeux.
Oui, parlez-moi d'amour.
CHRISTIAN.
Je t'aime.
ROXANE.
C'est le thème.
Brodez, brodez.
CHRISTIAN.
Je vous...
ROXANE.
Brodez !
CHRISTIAN.
Je t'aime tant.
ROXANE.
Sans doute. Et puis ?
CHRISTIAN.
Et puis... je serais si content
Si vous m'aimiez ! - Dis-moi, Roxane, que tu m'aimes !
ROXANE, avec une moue.
Vous m'offrez du brouet quand j'espérais des crèmes !
Dites un peu comment vous m'aimez ?..
CHRISTIAN.
Mais... beaucoup.
ROXANE.
Oh !.. Délabyrinthez vos sentiments !
CHRISTIAN, qui s'est rapproché et dévore des yeux la nuque blonde.
Ton cou !
Je voudrais l'embrasser !..
ROXANE.
Christian !
CHRISTIAN.
Je t'aime !
ROXANE, voulant se lever.
Encore !
CHRISTIAN, vivement, la retenant.
Non ! je ne t'aime pas !
ROXANE, se rasseyant.
C'est heureux !
CHRISTIAN.
Je t'adore !
ROXANE, se levant et s'éloignant.
Oh !
CHRISTIAN.
Oui... je deviens sot !
ROXANE, sèchement.
Et cela me déplaît !
Comme il me déplairait que vous devinssiez laid.
CHRISTIAN.
Mais...
ROXANE.
Allez rassembler votre éloquence en fuite !
CHRISTIAN.
Je...
ROXANE.
Vous m'aimez, je sais. Adieu.
(Elle va vers la maison).
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