Charles Baudelaire - Les Fleurs Du Mal

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Brûlant comme un volcan, profond comme le vide!

Rien ne rassasiera ce monstre gémissant

Et ne rafraîchira la soif de l’Euménide

Qui, la torche à la main, le brûle jusqu’au sang.

Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,

Et que la lassitude amène le repos!

Je veux m’anéantir dans ta gorge profonde,

Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux!»

– Descendez, descendez, lamentables victimes,

Descendez le chemin de l’enfer éternel!

Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes,

Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel,

Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d’orage.

Ombres folles, courez au but de vos désirs;

Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,

Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.

Jamais un rayon frais n’éclaira vos cavernes;

Par les fentes des murs des miasmes fiévreux

Filtrent en s’enflammant ainsi que des lanternes

Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux.

L’âpre stérilité de votre jouissance

Altère votre soif et roidit votre peau,

Et le vent furibond de la concupiscence

Fait claquer votre chair ainsi qu’un vieux drapeau.

Lion des peuples vivants, errantes, condamnées,

À travers les déserts courez comme les loups;

Faites votre destin, âmes désordonnées,

Et fuyez l’infini que vous portez en vous!

VI. – Les métamorphoses du vampire

La femme cependant, de sa bouche de fraise,

En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise,

Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,

Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc:

– «Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science

De perdre au fond d’un lit l’antique conscience.

Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,

Et fais rire les vieux du rire des enfants.

Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,

La lune, le soleil, le ciel et les étoiles!

Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés,

Lorsque j’étouffe un homme en mes bras redoutés,

Ou lorsque j’abandonne aux morsures mon buste,

Timide et libertine, et fragile et robuste,

Que sur ces matelas qui se pâment d’émoi,

Les anges impuissants se damneraient pour moi!»

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,

Et que languissamment je me tournai vers elle

Pour lui rendre un baiser d’amour, je ne vis plus

Qu’une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus!

Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,

Et quand je les rouvris à la clarté vivante,

À mes côtés, au lieu du mannequin puissant

Qui semblait avoir fait provision de sang,

Tremblaient confusément des débris de squelette,

Qui d’eux-mêmes rendaient le cri d’une girouette

Ou d’une enseigne, au bout d’une tringle de fer,

Que balance le vent pendant les nuits d’hiver.

APPENDICE I. SUPPLÉMENT AUX FLEURS DU MAL

Nouvelles Fleurs du Mal

I. – Épigraphe pour un livre condamné

Lecteur paisible et bucolique,

Sobre et naïf homme de bien,

Jette ce livre saturnien,

Orgiaque et mélancolique.

Si tu n’as fait ta rhétorique

Chez Satan, le rusé doyen,

Jette! tu n’y comprendrais rien;

Ou tu me croirais hystérique.

Mais si, sans se laisser charmer,

Ton œil sait plonger dans les gouffres,

Lis-moi, pour apprendre à m’aimer;

Âme curieuse qui souffres

Et vas cherchant ton paradis,

Plains-moi!… sinon, je te maudis!

II. – L’examen de minuit

La pendule, sonnant minuit,

Ironiquement nous engage

À nous rappeler quel usage

Nous fîmes du jour qui s’enfuit:

– Aujourd’hui, date fatidique,

Vendredi, treize, nous avons,

Malgré tout ce que nous savons,

Mené le train d’un hérétique;

Nous avons blasphémé Jésus,

Des Dieux le plus incontestable!

Comme un parasite à la table

De quelque monstrueux Crésus,

Nous avons, pour plaire à la brute,

Digne vassale des Démons,

Insulté ce que nous aimons,

Et flatté ce qui nous rebute;

Contristé, servile bourreau,

Le faible qu’à tort on méprise;

Salué l’énorme Bêtise,

La Bêtise au front de taureau;

Baisé la stupide Matière

Avec grande dévotion,

Et de la putréfaction

Béni la blafarde lumière.

Enfin, nous avons, pour noyer

Le vertige dans le délire,

Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,

Dont la gloire est de déployer

L’ivresse des choses funèbres,

Bu sans soif et mangé sans faim!…

– Vite soufflons la lampe, afin

De nous cacher dans les ténèbres!

III. – Madrigal triste

I

Que m’importe que tu sois sage?

Sois belle! et sois triste! Les pleurs

Ajoutent un charme au visage,

Comme le fleuve au paysage;

L’orage rajeunit les fleurs.

Je t’aime surtout quand la joie

S’enfuit de ton front terrassé;

Quand ton cœur dans l’horreur se noie;

Quand sur ton présent se déploie

Le nuage affreux du passé.

Je t’aime quand ton grand œil verse

Une eau chaude comme le sang;

Quand, malgré ma main qui te berce,

Ton angoisse, trop lourde, perce

Comme un râle d’agonisant.

J’aspire, volupté divine!

Hymne profond, délicieux!

Tous les sanglots de ta poitrine,

Et crois que ton cœur s’illumine

Des perles que versent tes yeux!

II

Je sais que ton cœur, qui regorge

De vieux amours déracinés,

Flamboie encor comme une forge,

Et que tu couves sous ta gorge

Un peu de l’orgueil des damnés;

Mais tant, ma chère, que tes rêves

N’auront pas reflété l’Enfer,

Et qu’en un cauchemar sans trêves,

Songeant de poisons et de glaives,

Éprise de poudre et de fer,

N’ouvrant à chacun qu’avec crainte,

Déchiffrant le malheur partout,

Te convulsant quand l’heure tinte,

Tu n’auras pas senti l’étreinte

De l’irrésistible Dégoût,

Tu ne pourras, esclave reine

Qui ne m’aimes qu’avec effroi,

Dans l’horreur de la nuit malsaine,

Me dire, l’âme de cris pleine:

«Je suis ton égale, ô mon Roi!»

IV. – À une malabaraise.

Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche

Est large à faire envie à la plus belle blanche;

À l’artiste pensif ton corps est doux et cher;

Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.

Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t’a fait naître,

Ta tâche est d’allumer la pipe de ton maître,

De pourvoir les flacons d’eaux fraîches et d’odeurs,

De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,

Et, dès que le matin fait chanter les platanes,

D’acheter au bazar ananas et bananes.

Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus

Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus;

Et quand descend le soir au manteau d’écarlate,

Tu poses doucement ton corps sur une natte,

Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,

Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.

Pourquoi, l’heureuse enfant, veux-tu voir notre France,

Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,

Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,

Faire de grands adieux à tes chers tamarins?

Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,

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