Charles de Gaulle s’est peut-être souvenu de la méthode en — ouille de Jules Romains quand il se moqua des journalistes en ces termes : « Tout ce qui grouille, grenouille et scribouille n’a pas de conséquence historique dans ces grandes circonstances, pas plus que cela n’en eut jamais dans d’autres. »
À ses débuts, la ratatouille était exécrable. Un ragoût de mauvaise cuisine. Pis : son diminutif, rata . « C’est pas d’la soupe, c’est du rata, c’est pas d’la merde, mais ça viendra ! » chantaient les soldats. La ratatouille est ensuite devenue un mélange provençal, estival, de tomates, de courgettes, d’aubergines, de poivrons et d’oignons cuits à l’huile d’olive. Il faut qu’elle soit savoureuse, la ratatouille niçoise, pour faire oublier les origines calamiteuses du mot et son acception violente — prendre une ratatouille , prendre une volée de coups — ou méprisante — « on leur a fichu une ratatouille », on les a battus par un score cuisant. Enfin, le film d’animation Ratatouille , de Brad Bird, grâce au génial et sympathique rat cuisinier Rémy, sorti des studios américains de Pixar et des égouts parisiens, acheva de réhabiliter le mot.
Mais pour obtenir le mot en — ouille le plus populaire, il suffit d’ajouter un c devant. La couille , ou plutôt les couilles , car elles vont par deux, l’homme se glorifiant d’avoir la paire. Il ne se targue pas d’avoir une paire de génitoires ou de testicules alors qu’il fait volontiers référence à sa paire de couilles . Il affirme ainsi sa virilité. Et son courage de mâle : avoir des couilles . Et, encore plus dynamique, encore plus vulgaire, et même, si l’on ne craint pas les tête-à-queue, encore plus crâne : avoir des couilles au cul . D’ailleurs, si l’on veut exprimer un refus viril, catégorique, on s’exclame : mes couilles ! Variante : mon cul ! On notera la perfide méchanceté de Flaubert qui, pour mieux accabler Lamartine, remplace tout simplement la virilité par le mot couille au singulier : « C’est un esprit eunuque, la couille lui manque, il n’a jamais pissé que de l’eau claire » (lettre à Louise Colet du 20 avril 1853).
Cependant la dépréciation fatale de — ouille frappe aussi les couilles. Elles ne sont pas toujours sûres d’elles et arrogantes. Une couille molle, en avoir plein les couilles (agacement maximum), casser les couilles , ou les burnes ou les bonbons (ennuyer, importuner jusqu’à l’exaspération).
Plus grave : une couille dans le déroulement d’une action, c’est une erreur, un échec. « Il y a eu une couille quelque part et tout a foiré. » L’expression partir en couilles signifie que l’opération s’est délitée et a été ratée. C’est de la couille ! Ça ne vaut rien ! Que faire, en effet, avec une seule couille ? Peau de balle et balai de crin !
À propos…
Ouille ! J’ai failli oublier tout au long de ce pot-bouille que, pour notre oreille enchantée, les oiseaux, les ruisseaux et les bébés gazouillent.
> Carabistouille, Cul
Pas le bigoudi, la friandise.
Comme tous les enfants, il avait mis ses sabots devant la cheminée. Il n’espérait pas grand-chose du père Noël. C’était la guerre, et il n’était qu’un garçon de l’Assistance publique placé chez un couple de viticulteurs. Habitué aux taloches, aux réprimandes, aux rebuffades, en découvrant dans ses chaussures quelques papillotes au papier argenté, il manifesta une joie spontanée. Il se laissa aller à un instant de bonheur avant de savourer les douceurs, chocolats ou bonbons, promises par les papillotes. Mais, de la première, ouverte avec impatience, ne s’échappèrent que des crottes de bique…
Je n’ai jamais oublié les papillotes garnies aux excréments de chèvre parce que c’était la première fois que je voyais à l’œuvre la méchanceté humaine. Ce garçon était un peu plus âgé que moi et, moi qui avais reçu du père Noël — je feignais encore d’y croire par connivence amoureuse avec ma mère — des oranges et de vraies papillotes, je fus horrifié par un acte aussi pervers. J’en ressentis la moquerie et l’humiliation. Je saurais désormais distinguer la cruauté naturelle de l’homme — dont la manifestation la plus répandue est de tuer les animaux pour les manger — et la cruauté sans autre raison, sans autre dessein que de faire souffrir. La guerre n’était-elle pas aussi un effet de nos mauvais instincts ? Je ne crois pas que cela me soit apparu aussi clairement que les papillotes de Noël aux crottes de bique.
Les papillotes viendraient de l’Europe de l’Est. Dans la région Rhône-Alpes, où l’on en consomme plus qu’ailleurs, l’histoire ou la légende en attribue l’invention à un pâtissier lyonnais de la rue du Bât-d’Argent. Ou plutôt à son commis. Il chipait des chocolats qu’il entourait d’un billet galant destiné à sa bien-aimée. Le patron surprit le doux commerce, renvoya son commis, mais conserva son stratagème. Il s’appelait Papillot.
Une papillote est constituée d’un chocolat entouré d’un petit papier sur lequel est imprimé une blague, un rébus, un dessin humoristique, une devinette, une citation, une devise ou un proverbe. Le tout est placé à l’intérieur d’un papier de couleur, brillant, torsadé, frangé aux deux extrémités. C’est une parure de fête. Une friandise bling-bling. Sur les nappes qui recouvrent les tables de Noël et du jour de l’an, on fait des chemins de papillotes. On en glisse dans les serviettes. On en offre des sacs. On les ouvre autant par curiosité pour le message que par gourmandise pour les ganaches et l’enrobage des palets.
Les chocolats des papillotes n’ont jamais été aussi bons. Mais Révillon, le principal fabricant, a abandonné les blagues et calembours de l’almanach Vermot qui nous faisaient rire. C’était souvent, il est vrai, des plaisanteries misogynes. Les ligues féministes ont protesté. Maintenant, on nous sert des pensées de Pythagore, de Sénèque, de Pascal, de La Rochefoucauld, de Corneille, de Chateaubriand, de Molière, de Renan… Le Lagarde et Michard a envahi les papillotes.
Apocope ou forme abrégée de à perpétuité , c’est-à-dire pour toujours. Toujours, c’est long. Très long, trop long. On voudrait écourter. C’est ce qu’a fait le langage populaire avec perpète , approximative moitié de perpétuité. Le condamné à perpète paraît avoir une chance de ne pas faire toute sa peine. À perpète (ou à perpette ) est un raccourci compassionnel.
À rapprocher du mot fameux de Woody Allen : « L’éternité c’est long, surtout vers la fin. »
La locution argotique a débordé du temps pour s’imposer aussi dans l’espace. À perpète signifie alors très très loin : « Ah ! non, je n’irai pas, c’est à perpète ! »
> Apocope
Je m’efforce de lutter contre cette locution. Parce qu’elle est une scorie de l’âge.
On évoque des souvenirs, on raconte en donnant beaucoup de détails, on ouvre une parenthèse, on s’aperçoit qu’on est trop long et que l’auditoire s’y perd. Alors on referme subitement la parenthèse en disant : « Peu importe ! » Et l’on en revient au propos initial.
Ou bien, tout à coup, c’est la mémoire qui fait défaut. On bute sur un nom, sur un titre, sur une date. Quelqu’un suggère ceci, un autre cela. Non, ce n’est pas ça. On cherche, on s’énerve. Et puis on abandonne : « Enfin, peu importe ! »
Читать дальше