Il y eut bien d’autres arguments lexicologiques, historiques, pédagogiques, développés dans des chroniques, interviews, confrontations à la radio. L’abondant courrier des lecteurs démontrait que la France profonde participait au débat et qu’on s’empoignait là-dessus en famille et dans les cafés. Oui, dans quel autre pays l’orthographe d’une plante, au demeurant très jolie avec ses larges feuilles vertes et ses fleurs à pétales blancs ou jaunes flottant au-dessus de l’eau, aurait-elle pu déclencher un tel tintamarre ?
Il est toutefois regrettable que l’on n’ait pas songé à demander leur avis aux paresseuses usagères des nénuphars : les grenouilles.
Je ne suis pas doué pour créer des néologismes, c’est-à-dire des mots nouveaux qui ont une utilité, qui apportent quelque chose d’inédit à la langue française. Quand, en plus, ils sont amusants ou malins, ils sont les bienvenus. En voici quelques-uns — San Antonio étant hors concours — repérés au cours de lectures récentes.
Pugiler : de pugilat , donner des coups de poing, boxer.
« Hier, j’étais dans le RER et un grand Noir assis à côté de moi a lancé à son copain : “Le frère de David, je l’ai pugilé grave !” C’est pas beau, ça, pugiler ? » (Anna Gavalda, Lire , avril 2008).
Criticailler : critiquer sans raison sérieuse, chercher la petite bête.
« Que Bienvenue chez les Ch’tis soit une réponse dans le style brasero au sinistre industriel d’une région, on n’ira pas criticailler » (Francis Marmande, Le Monde , janvier 2009).
Ouillouiller : gémir.
Répertorié dans les synonymes du verbe gémir par Bertaud du Chazaud ( Dictionnaire de synonymes, mots de sens voisin et contraires ).
Girafer : copier, pomper.
Néologisme africain. L’élève tend le cou vers son camarade assis à côté de lui pour mieux lire sa copie.
Luxorien, enne : d’un luxe inouï.
« Car il (le critique vertueux) a eu l’idée la plus triomphante, la plus pyramidale, la plus ébouriffante, la plus luxorienne qui soit tombée dans une cervelle d’homme… » (Théophile Gautier, préface à Mademoiselle de Maupin ).
Audouzer : déboucher une vieille bouteille au moins quatre heures avant de la boire.
De François Audouze, collectionneur de vins très vieux, de bouteilles mathusalémiques, qui les propose à la dégustation après un minutieux et savant rituel. « Il faudrait audouzer nos beychevelle 28. »
Bondieuser : s’identifier à Dieu le Père.
Edmond de Goncourt emploie ce néologisme à propos d’Ernest Renan.
À noter que Jules Vallès avait, lui, créé bondieusard , synonyme de bigot .
Papauter : « pour le Saint-Père, bavarder longuement et en toute simplicité » (Gabriel Boccara, Pope-corn ).
Tictaquer : produire à cadence régulière un tic-tac.
Créé par Huysmans, ce néologisme est rarement employé. « Il regarda le réveil tictaquant sur la commode » (Franz Kafka, La Métamorphose ).
Robinsonner : vivre comme Robinson, sur une île, à l’écart du monde.
Mais Rimbaud lui donne un sens un peu différent quand il écrit dans son poème Roman :
« Le cœur fou robinsonne à travers les romans,
Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants… »
Le cœur fou va de roman en roman, d’île en île.
Vachéité : qui relève de la nature, du caractère de la vache. Pas très joli. Mais c’est Gombrowicz qui l’emploie : « Je me promenais dans l’allée bordée d’eucalyptus quand tout à coup surgit de derrière un arbre une vache. Je m’arrêtai et nous nous regardâmes dans le blanc des yeux. Sa vachéité surprit à ce point mon humanité que… » ( Journal , t. 1).
Witold Gombrowicz, par l’intermédiaire de son traducteur Georges Lisowski, invente aussi équivocité , dans La Pornographie .
Gallimardeux : de la maison d’édition Gallimard. Créé et employé péjorativement par Céline :
« Ce gros matou gallimardeux (Gaston Gallimard) croit que les écrivains sont des filles de joie. Eh bien, il a raison, il faut se vendre et chèrement » (Rapporté par Mikaël Hirsch dans Le Réprouvé ).
> Audimateux, euse
Je tombais amoureux, c’était fatal, pendant les vendanges (je l’ai raconté dans le Dictionnaire amoureux du vin ) et pendant les mariages.
Déjà, petit garçon en culottes longues flanqué d’une petite fille en robe de mousseline blanche ou rose, je m’empressais auprès d’elle, lui donnant des bisous, dans le sillage de la traîne de la mariée. Peut-être étais-je déjà sensible au parfum de sensualité qui flotte dans l’air du jour des noces ?
Adolescent, puis jeune homme, j’étais un cavalier à qui les futurs mariés ou leurs parents attribuaient une cavalière. Nous formions l’un des couples de la cérémonie. Généralement, j’étais assez chanceux. Ma cavalière me plaisait, et quand, enfin, on pouvait se lever de table pour danser, je ne la lâchais plus, comme si, à l’exemple des jeunes mariés, nous étions promis à une nuit d’amour. Aujourd’hui ces dénouements rapides sont fréquents, alors qu’à l’époque ils étaient inenvisageables.
Je me rappelle être tombé raide amoureux d’une cousine, lointaine par les liens familiaux et par sa vie en Provence, et à laquelle, sitôt repartie chez elle, j’envoyai une lettre d’amour et de quasi-demande en mariage.
Quand ma cavalière ne m’inspirait pas, j’en entreprenais une autre, ou je jetais mon dévolu sur une femme de la noce, bien plus âgée que moi, qui s’étonnait de la fréquence de mes regards et de mes invitations à danser. Probablement s’en amusait-elle et peut-être était-elle flattée de sentir contre elle, dans les slows, l’effet dissimulé mais quand même flagrant de sa séduction.
Une journée de mariage est une journée très particulière puisqu’on est assuré qu’un couple la terminera en faisant l’amour. D’où le charivari, les farces médiévales, les blagues grossières, le ramdam autour du départ et du lever des nouveaux mariés. Je n’y participais pas. Ce qui me faisait rêver et excitait ma libido, en ces temps où même l’expression « faire l’amour » se prononçait en catimini, c’était la représentation imaginaire des deux jeunes mariés, nus, dans un lit. Il me semblait que tous les couples de la noce auraient dû faire de même. Moi compris, bien sûr, avec ma cavalière ou la femme de mon choix, puisque j’en étais amoureux.
Au temps où ma notoriété était la plus étendue, j’avais dit que, descendant les Champs-Élysées accompagné de Claude Lévi-Strauss et de Julien Green, c’est moi que le public solliciterait pour des autographes ou des photographies, et que vis-à-vis des deux illustres écrivains au visage inconnu du plus grand nombre, j’en aurais été honteux.
La notoriété par la télévision est la plus facile à obtenir. Avec une émission régulière qui dure de nombreuses années, on s’invite sans cesse au domicile des gens, on s’installe au bout de leur table ou de leur lit, et l’on devient vite un personnage plus familier que les neveux, les oncles, les tantes, les cousines dont les visites sont rares. Combien de fois m’a-t-on reconnu rien qu’au son de ma voix ?
Encore n’animais-je qu’une émission littéraire. Son audience, même exceptionnelle pour ce type de programme, n’était pas comparable avec celle des feuilletons, des jeux, des shows, des journaux télévisés. Pierre Desgraupes m’avait proposé le journal de 20 heures en alternance avec Christine Ockrent. Je lui avais répondu que je me sentais plus libre à converser avec des écrivains qu’à lire un prompteur sous le regard critique des confrères et des hommes politiques. Il m’avait alors dit que je retirerais du journal d’Antenne 2 une popularité sans égale comparée à celle dont je bénéficiais avec Apostrophes . Mais je n’étais pas en recherche de renommée supplémentaire. Il est vrai que, comme les riches qui veulent devenir de plus en plus riches, beaucoup de stars sont en quête de plus en plus de lumière.
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