C’est donc à l’imitation de son ami le cheval que l’homme s’emporte sur un soupçon. « Les fréquentes visites d’un cavalier donnent de l’ombrage aux maris jaloux », note Furetière.
Prendre la mouche
« Volonté de folle et vache qui mouche sont trop fors à tenir », dit un ancien proverbe. Tout autant que le cheval c’est en effet la vache qui prend la mouche. P.-J. Héliaz fait une description précise de la chose dans le cas d’un bœuf : « Un taon peut se glisser sous sa queue et c’est la déroute, aveugle, éperdue, la corde entre les jambes, le pieu battant les flancs et l’échine quand la bête secoue vainement les cornes. » (Le Cheval d’orgueil.) En effet la notion de « mouche » était autrefois très extensible, et allait jusqu’à la mouche à miel : l’abeille. Comme on s’en doute c’est surtout la mouche à bœufs, ou mouche bovine, autrement dit le taon, énorme, au dard aigu, qui provoque ces fureurs soudaines et à première vue inexplicables.
« On dit aussi Prendre la mouche, pour dire, se piquer, se fâcher sans sujet et mal à propos. Et lorsque quelqu’un s’emporte, se met en colère sans qu’on sache pourquoi, sans qu’il paraisse en avoir eu le moindre sujet, on demande quelle mouche l’a piqué. » (Furetière.)
Naturellement c’est affaire d’épaisseur de cuir. On disait au XVII e siècle « être tendre aux mouches », pour dire « avoir le cœur facile aux moindres émotions, ressentir vivement les moindres désagréments. » C’était le cas de M me de Sévigné : « En vérité — dit-elle — la vie est triste quand on est aussi tendre aux mouches que je le suis. »
Un coup de pied en vache
Le cheval rue. C’est-à-dire qu’il est capable de vous lancer noblement les deux pieds à la fois en pleine figure, à condition que vous soyez placé juste derrière lui. La vache non, ou très exceptionnellement. Elle est trop lourde.
Elle ne sait guère lancer qu’un seul pied à la fois. Par contre, elle peut vous l’envoyer à l’improviste, aussi bien vers l’avant, que par côté, un peu à la façon d’un karatéka… Chacun sa technique. La sienne est si connue qu’on en a fait un temps un pas de danse. « En terme de danse — signale Furetière — on appelle “rut de vache”, un pas où l’on jette le pied à côté. »
Or il arrive que certains chevaux particulièrement vicieux, négligeant la belle ruade spectaculaire de leur espèce, puissent eux aussi vous allonger un coup de pied en travers, d’une seule jambe, lorsque vous passez à côté d’eux. C’est cela que les cavaliers appellent le coup de pied « en vache », précisément parce que cette technique n’appartient pas en principe à leur catégorie. Mais il est fréquemment employé dans le commerce, l’industrie, et généralement dans une foule d’activités humaines !
L’expression, qui apparut vers le milieu du siècle dernier, était promise à une belle carrière. « Aucun d’eux n’a le culot de dire carrément son opinion, et de telles séances ne paraissent avoir d’autre objet que le plaisir que prennent deux hommes à s’adresser publiquement, tout en s’offrant leurs sourires vinaigrés, à s’adresser, dis-je, dans les côtes et dans les tibias des renfoncements meurtriers et des coups de pied en vache. » (Jehan Rictus, Le cas Edmond Rostand, 1905.)
Tenir la dragée haute
L’honneur d’être parrain s’accompagne traditionnellement de celui d’offrir des dragées à la ronde à l’issue de la cérémonie du baptême. Au temps où les messes étaient carillonnantes et les friandises rares, dans certains villages les gamins s’attroupaient devant le porche de l’église et guettaient la sortie du nouveau chrétien inconsolable, que l’onction sacrée et l’eau froide venaient brutalement d’arracher au sommeil. L’heureux parrain plongeait alors la main dans un sac et, du haut des marches, lançait à la volée des poignées de dragées, roses pour les bébés filles, bleues pour les garçons, que les gosses cueillaient sur les pierres, arrachaient à la poussière et aux touffes d’herbe avec une précipitation joyeuse, couvrant momentanément de leurs cris les hurlements sincères de l’enfant oint !…
Ce geste d’aimable prodigalité s’accorde mal avec l’expression autoritaire « tenir la dragée haute » à quelqu’un, qui signifie lui faire attendre longtemps, et ne lui accorder que parcimonieusement ce qu’il désire. C’est qu’en effet il s’agirait selon certains d’une autre sorte de dragée, en l’occurrence une botte de fourrage vert, ou dragée de céréales, anciennement « dragie », « mélange de grains qu’on laisse croître en herbe pour les bestiaux. » La dragée de cheval en particulier est composée de froment et de sarrasin. Il s’agirait donc aussi d’une manière de dessert, une friandise dont la bête est particulièrement gourmande, et qu’il convient de lui prodiguer avec modération en la plaçant à une hauteur convenable dans le râtelier, hors de sa portée, de sorte à l’habituer à maîtriser sa gloutonnerie. Tenir la dragée haute serait donc un exercice de dressage analogue à celui du « susucre » offert à un chien sous certaines conditions d’obéissance ou d’équilibre sur ses pattes de derrière.
Cela dit, la dragée de sucre ou de miel est elle aussi une friandise ancienne, le prototype de tous les bonbons, convoitée par les bambins de toutes époques, les pages, les chambrières, et je pense que la hauteur où elle était tenue a autant de sens pour eux que pour les quadrupèdes.
Avoir la fringale
Avoir la fringale est un signe de bonne santé lorsque l’on dispose de tout ce qu’il faut pour l’apaiser… La fringale est peut-être à l’origine une maladie des chevaux : la boulimie. Selon les étymologistes le mot est une transformation de faim-valle, ou mauvaise faim : « sorte de névrose qui force les chevaux à s’arrêter tout à coup, et ne leur permet de reprendre le travail qu’après que le besoin de manger qui les saisit est satisfait. » (Littré.) Au XVI esiècle Antoine Baïf résume ainsi les malheurs de l’imprévoyante cigale :
Tout l’été chante la cigale.
Et l’hiver elle a la faim-vale.
La variante faim-calle a vécu jusqu’au XIX e siècle, au sens de « faim de loup », et Raspail l’emploie dans son compte rendu de première main sur les conditions d’existence dans les prisons parisiennes où il avait séjourné : « M. le Directeur, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, permet aux guichetiers, pourvu qu’ils soient payés d’avance, de vous apporter des mets moins lourds à l’estomac et moins piquants au palais ; on va les chercher au restaurant désigné par la police. Mais comment aurait-on envie de prendre quelque chose sur de telles tables ? Il faut éprouver une faim canine, une faim-calle, pour se sentir en appétit ! » ( Lettres sur les prisons de Paris, 1831.)
Par ailleurs le mot fringale apparaît dans son sens déjà actuel dans l’édition de 1836 du Dictionnaire de Napoléon Landais : « Fringale, faim subite dont on est saisi hors de l’heure des repas : avoir la fringale. » La maladie des chevaux dont parle Littré n’a peut-être été nommée ainsi que par assimilation à la faim humaine…
Jeter sa gourme
Il semble que la gourme soit une maladie passagère et nécessaire chez les jeunes poulains, chez qui elle est une inflammation de la bouche. De là on est passé aux enfants auxquels il pousse des croûtes, que l’on considérait autrefois comme purificatrices. Furetière l’a définie ainsi : « Gourme, mauvaise humeur & corrompüe qui sort du corps des enfans. Ce n’est pas un mauvais signe, quand les enfans sont galeux, il faut qu’ils jettent leur gourme. On dit figurément des jeunes gens qui entrent dans le monde & qui ne savent pas encore vivre, qu’ils n’ont pas encore jeté leur gourme. »
Читать дальше