L’aboi du vieux chien doit-on croire.
Vieux proverbe.
La chasse a toujours été la distraction favorite des hommes de guerre en temps de paix — c’est-à-dire dans les périodes plus ou moins brèves où la chasse à l’homme n’est pas ouverte. En fait, s’il reste quelques cerfs, daims, chevreuils, sangliers, et même des lièvres sur la planète, c’est que le gibier a toujours fait l’objet d’une protection toute particulière et d’une surveillance pointilleuse. Par exemple il a presque toujours été interdit au commun des mortels de chasser. La chasse, comme le port de l’épée, était autrefois l’apanage de la noblesse qui en faisait son principal loisir de plein air. Louis XI, chasseur passionné du XV e siècle, avait établi, déjà, des réserves de chasse, et se souciait beaucoup de la reproduction et de la protection des espèces. Il adorait les animaux cet homme, au point qu’il fut le premier à se constituer une ménagerie privée.
LA VÉNERIE
La vénerie — autrefois « venaison » — est l’art de chasser le gibier à poil, généralement le gros gibier, à l’aide de chiens courants, et de chevaux pour courir après les chiens. Un veneur est un chasseur en cet équipage. La chasse à courre — « courre » est ni plus ni moins l’ancienne forme du verbe courir — est la chasse par excellence, la « mère de la chasse », la « chevauchée fantastique », selon les auteurs. C’est un sport d’origine et d’usage hautement aristocratiques, une survivance dans les temps modernes des mœurs de la chevalerie. On n’y emploie que des termes d’ancien français, sorte d’argot huppé qui exprime des codes, des lois, des traditions presque immuables depuis quatre ou cinq siècles.
Sous l’Ancien Régime ces gens qui chassaient en grande pompe tout en interdisant aux autres de le faire avaient suscité une telle haine, et probablement une telle frustration, que ce fut — jointe à quelques autres vexations, bien sûr ! — une des causes les plus épidermiques de la fureur populaire lors de la révolution de 1789. La rage était si intense que les paysans profitèrent de l’occasion pour massacrer méthodiquement les chiens de chasse — les pauvres bêtes, elles, n’avaient pas pu émigrer ! Ils exterminèrent ainsi toutes les meutes de France, au point que la race des lévriers venue du Moyen Âge se trouva éteinte. C’est un fait peu connu, mais le génocide fut si complet que lorsque, par la suite, certains s’avisèrent de reconstituer des meutes, il leur fallut importer des chiens de l’étranger, principalement d’Angleterre.
Décidément les bonnes choses ont toujours provoqué des excès !… Je me demande d’ailleurs — c’est une parenthèse — quelle sorte de ressentiment peut produire aujourd’hui en Afrique l’habitude de certains aristocrates des ex-colonies anglaises de choisir, faute de gibier convenable, un indigène jeune, résistant et léger, et de le chasser à courre sous le soleil des savanes avec meutes, musique, uniformes, tout le cérémonial féroce que l’on réserve aux renards et aux loups…
Si dans le détail de son déroulement la chasse à courre exige une habileté et une science des animaux et des terrains assez extraordinaire, son principe est simple : il consiste à débusquer un animal choisi, et au lieu de le tuer tout de suite, ce qui rendrait la plaisanterie un peu courte et ne vaudrait guère le dérangement, on le traque avec des chiens et des chevaux jusqu’à ce que la bête haletante et totalement épuisée s’offre sans résistance au couteau de son saigneur qui la « sert » — c’est le terme technique — d’un coup au cœur.
Ce divertissement d’une très grande noblesse, et qui s’apparente du reste un peu à la corrida espagnole, occupe largement une journée entière, de l’aube au crépuscule. Il arrive aussi parfois que la nuit tombe sans que l’animal ait été rejoint, qu’il réussisse à échapper à la vigilance de tout le monde et sauve ainsi sa peau et le reste. Cette éventualité ne rend l’aventure que plus palpitante.
Un fin limier
La première phase de l’entreprise consiste donc à déterminer qui sera le héros de la journée. Pour cela la « quête » est organisée dès la veille au soir afin de repérer les bêtes dignes d’intérêt. Elle est effectuée par les « valets de limiers » qui se livrent à un premier repérage dans les bois. Elle est reprise au petit matin par les piqueurs qui localisent alors avec précision les « enceintes » où se tiennent les bêtes, afin que le « maître d’équipage » puisse faire un choix définitif. (On ne court qu’un seul animal par chasse, et le même du matin au soir, quelles que soient les péripéties.)
Le limier — de « liem », lien — est un chien en laisse. « Il ne doit pas être un chien comme les autres. Sa première qualité est d’être haut de nez, mais il doit également être obéissant et secret, c’est-à-dire ne donner de la voix, et encore de façon discrète, qu’à bon escient [92] Paul Vialar, La Chasse, Éd. Flammarion, 1973. Ouvrage dont j’ai tiré l’essentiel de la documentation pour ce chapitre.
. » Mais c’est son maître qui, tel un Sioux, utilisant différents indices (traces au sol, branches froissées, etc.) détermine, sans l’avoir vu, la nature, l’emplacement, et même l’âge de l’animal à traquer. Le limier au bout de sa laisse lui sert pour ainsi dire de pifomètre avancé !
Aller sur les brisées
L’endroit où l’animal a passé est marqué par une branche brisée. Ces repères, disposés d’une façon particulière, font penser aux flèches des jeux de piste. Un piqueur averti suivra ce conseil du XIV e siècle : « Où tu en perdras la vue [du cerf] gette une branche brisée, quand tu t’en yras. »
Les brisées, dit Furetière, sont les « marques que laisse un chasseur dans un chemin où a passé le gibier, qui sont ordinairement des branches d’arbres qu’il brise ou qu’il coupe, et qu’il jette aux chemins dans l’étendue des quêtes. » Il ajoute : « On dit figurément, marcher sur les brisées de quelqu’un pour dire, suivre ses traces, imiter son exemple. On le dit aussi de ceux qui entreprennent le même dessein, qui écrivent sur le même sujet, quoy qu’ils le traitent diversement. »
Le Petit Poucet n’avait sûrement pas eu le temps, vu son jeune âge, de s’initier aux subtilités de la chasse à courre… Les brisées, appliquées à lui-même, lui auraient évité bien des déboires.
Être d’attaque
Une fois les bêtes possibles dûment localisées, les piqueurs reviennent vers la clairière où la compagnie les attend. La casquette à la main, ils font au maître d’équipage leur « rapport. » Le veneur « choisit alors de chasser tel cerf plutôt que tel autre, et donne ses ordres en conséquence […]. On se rend à l’enceinte désignée. Les chiens d’attaque y pénètrent, cherchent le cerf, le mettent debout, le lancent, le forçant à s’enfuir. » (P. Vialar.)
Cela évidemment si tout va bien ; il peut arriver que la bête, avertie par on ne sait quel pressentiment, lève le pied sans attendre.
Faire buisson creux
Au Moyen Âge cette première partie de la chasse s’appelait « buissoner. » Un buisson était alors non seulement n’importe quel arbuste, mais aussi un taillis. En 1228 le jeune et bel empereur du Guillaume de Dole, voulant se débarrasser des maris gêneurs et des fiancés pointilleux pour festoyer avec leurs dames, organise au petit jour une grande chasse où il envoie gaiement tout le monde à l’exception de lui-même et de quelques joyeux compagnons :
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