— « Les ouvriers n’ont pas été très discrets, et vas-y que j’te tape ! Vas-y que j’te cloue ! Vas-y que j’te scie ! »
— « Ils se sont encore battus comme des chiffonniers. Et vas-y que j’te frappe ! Vas-y que j’te morde ! Vas-y que j’te tire les cheveux ! »
Le « te » est explétif (on pourrait s’en passer), mais il est emphatique (intensif) et renforce donc l’expression.
Vas-y que j’te a fini par se suffire à lui-même, devenant elliptique : « Elle lui a sorti un chapelet d’injures. Et vas-y que j’te ! »
C’est plus fort que le roquefort
C’est incroyable ! C’est étonnant ! C’est inadmissible ! C’est un comble !
Certes, le fromage de roquefort est fort en goût mais l’expression se justifie surtout par l’allitération qui vient opportunément la… renforcer. Elle équivaut à « C’est plus fort que de jouer au bouchon ! » (Voir supra).
À propos, de quel village nommé Roquefort , le fameux fromage est-il originaire (on en dénombre une dizaine) ? De Roquefort-sur-Soulzon, commune de l’Aveyron proche de Millau, en bordure du causse du Larzac.
Il y a de l’extrémisme dans cette locution, celui qui caractérisait certaines de nos attitudes que grand-mère entendait nous reprocher : « Vous allez donc faire les andouilles jusqu’à plus soif ! » Ce plus soif impliquait l’idée d’un calice qu’il faudrait boire jusqu’à la lie, d’une coupe rase, que seule une paire de claques appliquée à temps aurait pu empêcher de déborder.
L’expression originelle fut sans doute servie au pied de la lettre : on boit jusqu’à ce que l’on n’ait plus soif , ce qui semble raisonnablement efficace en cas de pépie. Vint ensuite le sens figuré où jusqu’à plus soif continua de signifier « jusqu’au bout », de souligner même la surabondance, comme chez Émile Zola : « Et il y en avait qui faisaient la farce de le tâter du haut en bas, comme s’il avait eu des écus dans la viande, pour en sortir ainsi jusqu’à plus soif » ( La Terre , troisième partie, ch. III, 1887).
On pourrait aussi dire « jusqu’à satiété » (du latin satis , « assez, suffisamment ») mais l’expression est moins éloquente, bien qu’une « assiettée » y soit contenue phonétiquement.
« Un verre, deux verres, trois verres ! Tant qu’à faire, pourquoi pas toute la bouteille ? »
On dirait aussi, « pendant que tu y es, pourquoi ne pas boire toute la bouteille ? »
L’expression tant qu’à faire , très populaire, est considérée comme incorrecte. C’est à tant faire que de , plus académique, qu’il faudrait employer : « À tant faire que de boire, pourquoi ne pas boire toute la bouteille ? » À tant faire que de parler notre langue maternelle, efforçons-nous de la bien parler.
L’expression prétendue correcte est cependant bien ampoulée et tant qu’à (faire) se trouve plus d’une fois sous la plume de grands écrivains comme André Gide : « Certainement, tant qu’à m’ennuyer (ce que je trouve toujours inutile), je préfère que ce ne soit pas avec M. » ( Journal, 1887–1925 ) ; comme François Mauriac dans son Bloc-Notes : « Tant qu’à faire de n’être pas heureux, j’observe de près […] ce qu’aura été notre malheur sous trois républiques » (Mercredi 8 septembre 1965).
En baver des ronds de chapeaux
Quand, après un délicat travail de couture qui lui avait demandé beaucoup de temps, d’efforts et d’attention, grand-mère nous montrait fièrement le résultat, elle ne manquait pas de préciser : « J’en ai bavé des ronds de chapeaux ! »
« J’en ai bavé », tout court, est directement compréhensible puisque, familièrement, en baver signifie « peiner, souffrir, devoir supporter une situation difficile ».
Les ronds peuvent expliquer le premier sens de l’expression, « être très étonné » : la bouche bée de celui qui n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles a bien la forme d’un rond mais alors, pourquoi baver et pourquoi le pluriel dans le cas d’une tâche pénible ? Claude Duneton (1990) avance une hypothèse liée au travail des modistes, pour qui les ronds de chapeau étaient des ronds de plomb, naturellement lourds, appliqués sur les chapeaux pour leur donner leur forme. J’avancerai une autre explication fondée sur l’existence de deux expressions : « être comme deux ronds de flan » (les ronds de flan sont des pièces de métal taillées et préparées pour devenir des pièces de monnaie, des jetons ou des médailles et, par comparaison, des yeux grand ouverts) et « baver des clignots », locution argotique pour « pleurer » selon Virmaître (1894). Les ronds de chapeau seraient alors une image des deux yeux qu’un travail harassant ferait pleurer ( baver ), des marquant dans ce cas la provenance comme dans « baver des clignots », « transpirer des aisselles », etc.
Équivalent saintongeais abrégé de l’italien chi va piano va sano, et chi va sano va lontano : « qui va doucement va sainement, et qui va sainement va loin ». Dans les Charentes, châ p’tit à châ p’tit veut dire « peu à peu ». Un bac à chaîne inauguré en 2009, assurant des liaisons sur la Charente entre Dompierre-sur-Charente et Rouffiac, a été judicieusement baptisé le Châ p’tit va loin. Cette jolie formule que l’on peut donc traduire par « Qui va petit à petit, va loin » faisait partie des conseils que nous prodiguait grand-mère quand nous avions une tâche à exécuter. Boileau a développé la même idée dans son Art poétique :
« Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »
(Chant I, 1674.)
Feignant comme une couleuvre
Feignant est la forme familière de « fainéant ». C’est parce qu’elles aiment… lézarder au soleil que les couleuvres sont assimilées à des paresseuses. La fainéantise de la couleuvre a quelque chose de sympathique : son caractère inoffensif autorise une telle comparaison. Remarquons qu’au contraire la vipère, venimeuse, n’inspire que des images négatives : une « vipère » est une personne dangereuse dont il faut se méfier et l’on traite de « langue de vipère » celui (plus souvent, celle) qui aime dire du mal d’autrui.
Ayant été couturière, grand-mère savait apprécier à sa juste valeur tout ce qui était fabriqué avec grand soin et minutie. Le compliment lui venait tout naturellement à la bouche : « C’est du cousu main ! » L’expression cousu main fut d’abord une variante de « cousu à la main », l’ouvrage ainsi confectionné étant digne de la haute couture quand celui qui est fait à la machine ne peut convenir qu’au prêt-à-porter ordinaire. Cousu main s’est ensuite dit de tout ce qui est bien fait, authentique, de valeur, haut de gamme, ce que confirme Elsa Triolet : « C’est travaillé par le menu… Du cousu main ! On s’extasie devant les machines cybernétiques et quand on veut parler de perfection, on dit, du cousu main !… » ( L’Âme , Gallimard, 1962). La locution s’est ensuite appliquée à ce qui ne peut que réussir à coup sûr, comme cet éloge de Line Renaud paru en 1982 dans L’Express à propos de son interprétation de Folle Amanda , pièce de Barillet et Grédy : « Mais, avec Line Renaud, c’est du cousu main. Elle a du métier, un abattage qui n’est pas celui de la Maillan mais n’est pas moins efficace, elle attire la sympathie du vrai public […]. »
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