Ça sera guéri le jour de tes noces
Quand on est encore dans l’enfance, le jour de nos noces appartient à un avenir plus irréel que lointain. Cela sonne comme une sorte de Saint-Glinglin (voir infra). On pourrait tout aussi bien reporter la guérison « à Pâques ou à la Trinité ». Aussi quand, d’un bobo qui nous faisait pleurer à chaudes larmes, grand-mère prétendait, ironique, qu’il serait guéri le jour de nos noces , incapables de saisir que la dérision du propos était proportionnelle à l’insignifiance du mal, nous ne pouvions que redoubler de sanglots.
En saintongeais, cela donne : O serat guari le jhour de tes noces.
Grand-mère parlait-elle de démarche encore fringante et de vue toujours claire en prétendant de tel ami qu’il avait bon pied bon œil malgré son âge avancé ? Sans vouloir nécessairement souligner ces détails anatomiques, elle voulait plutôt dire qu’il était toujours en bonne santé, toujours vigoureux, que la vieillesse ne l’avait pas diminué.
Tel est bien le sens d’ avoir bon pied bon œil , expression attestée dès 1640 chez Oudin avec l’explication suivante : « Il est sain. Il prend bien garde à son fait. » Elle fut peut-être construite à partir de marcher de bon pied qui ne signifia pas d’abord « marcher de manière alerte » mais, toujours selon Oudin, « procéder comme il faut ».
On trouve bon pied, bon œil au sens propre chez Molière dans Les Fourberies de Scapin (1671) quand Silvestre imagine une attaque des proches d’Argante et feint de se donner du courage en criant : « Point de quartier. Donnons. Ferme. Poussons. Bon pied, bon œil » (II, 9).
Bon pied, bon œil est aussi le titre d’un roman de Roger Vailland publié en 1950.
Elle rivalise avec la « mine de déterré », où l’allusion directe au cadavre exhumé en dit long sur la fatigue et la flétrissure qui se lisent sur le visage. Le papier mâché est un matériau de construction apparu en Orient dès le VIII esiècle ; il consiste en un mélange de papier détrempé, d’eau, de colle, de plâtre et parfois de textiles. La couleur blanchâtre et l’aspect grenu de la préparation ainsi obtenue offrent en effet l’image d’un visage aux traits tirés, d’un teint blafard, d’une mine maladive.
La locution de (ou en ) papier mâché fut souvent employée au figuré comme métaphore de la faiblesse, tant physique que morale. Ainsi, aux hasard des citations :
— « […] à soixante et dix-neuf ans, avec un corps de roseau et des organes de papier mâché, je suis inguérissable » (Voltaire, Lettre au comte d’Argental, 19 avril 1773) ;
— « Oui, le vice est moins dangereux que ces âmes de papier mâché, et ces têtes vides » (Julie de Lespinasse, Lettre LXXXVI, 1775) ;
— « Qui donc vous a donné la force de l’ingratitude, vous qui êtes comme un homme de papier mâché ? » (Balzac, La Cousine Bette , ch. XIII, 1846).
M mede Sévigné utilise l’image du papier mouillé pour qualifier son fils Charles : « C’est une âme de bouillie, […] c’est un corps de papier mouillé, un cœur de citrouille fricassé dans de la neige » (Lettre à Mme de Grignan du 22 avril 1671).
Décidément, les expressions de grand-mère sont légion qui honorent le dieu romain des pets et des flatulences, Crepitus, dont on pense, cela tombe bien, qu’il était surtout vénéré par les vieilles femmes et les enfants.
Avoir un pet de travers complète la liste. Celui dont le météorisme ne s’évacue qu’en empruntant ainsi des chemins de traverse est hypocondriaque à plus d’un titre, l’hypocondrie, anxiété affectant les malades imaginaires, étant supposée prendre naissance dans les organes de l’abdomen. Le pet de travers caractérise en effet le geignard adepte du « je ne me sens pas très bien », répondant systématiquement « couci-couça » au banal « Comment allez-vous ? ». Parce qu’elle ne se plaignait jamais, grand-mère ne pouvait que rire de ceux qui ont toujours un pet de travers .
Lucien Rigaud (1888) mentionne l’expression avec cette définition : « Vomir copieusement et avec de grands efforts. »
Cet énorme et douloureux rejet spasmodique est le signe annonciateur d’une maladie ou d’une simple indigestion. Après avoir vomi tripes et boyaux , on était forcément « blanc comme un linge » (voir supra) et la première conséquence était de rejoindre le lit sans attendre : à la maison, on ne riait pas avec ça.
L’expression est d’une brutale crudité : elle nous donne à comprendre que seraient rejetés non seulement les aliments contenus dans l’intestin mais aussi l’intestin lui-même, idée renforcée par la redondance « tripes et boyaux » et le pluriel. Belle hyperbole ! Elle faisait partie des expressions de grand-mère qui devait considérer « rendre » ou « vomir » comme pas assez expressifs et « dégueuler » comme trop vulgaire. Elle employait aussi le populaire « dégobiller », formé sur un dérivé de gober , « avaler » avec le préfixe « dé- » indiquant l’action contraire. « Desgobiller » est attesté dès 1611 chez Cotgrave : « Desgobiller : to spur, cast, or vomit. »
« Tu me fais tourner la tête
Mon manège à moi, c’est toi. »
S’il avait été chansonnier charentais, Jean Constantin, parolier d’Édith Piaf, aurait exprimé la même idée en écrivant : « Tu me donnes le virounâ. » Grand-mère nous accusait de lui donner le virounâ quand, par exemple, débordants d’énergie, nous nous poursuivions en courant autour de la table de salle à manger. Variante : « tu me donnes le tournis », le « tournis » étant d’abord une encéphalite du mouton dont le principal symptôme est le tournoiement de la bête.
Virouner , c’est, dans l’Ouest, le Nord-Ouest, le Centre, « tourner en rond ». Si le Saintongeais prend une route en lacets, à pied, à cheval ou en voiture, il ne manquera pas de lancer : « O viroune dans ces parajhes ! »
Avec cette signification, vironner existait en ancien français, comme l’atteste cet extrait de Bernard Palissy (qui a longtemps résidé à Saintes) : « Spirale est une ligne faite par voûte en vironnant en forme d’une coquille d’une limace » ( Discours admirables , 1580).
Issu du verbe virer, virouner est un proche parent étymologique du mot « environ ».
Avoir l’étrenne de quelque chose
L’ étrenne , c’est le premier usage que l’on fait d’une chose. La locution avoir l’étrenne est donc synonyme d’ étrenner , apparu au XIX esiècle avec le sens d’« utiliser pour la première fois ». Le sens peut en être négatif, « être le premier à connaître les inconvénients d’une nouvelle situation ». En ce sens, la locution familière « essuyer les plâtres », utilisée au figuré, lui est équivalente.
Mais d’où vient le mot étrenne ? Du latin classique strena dont le sens a évolué de « présage, signe, pronostic » à « cadeau que l’on offre pour servir de bon présage ».
Il s’agit d’une tradition remontant à l’Antiquité romaine. À l’occasion de la nouvelle année, l’usage voulait que l’on offrît à l’empereur des rameaux de verveine coupés dans le bois consacré à Strenia , déesse présidant à la bonne santé. Cette coutume aurait été introduite sous le règne supposé de Tatius Sabinus, roi légendaire, qui fut le premier à recevoir ces rameaux de verveine. L’habitude se prit ensuite d’en offrir aux magistrats et autres « personnes de valeur ». Plus tard, des présents de figues, de dates et de miel furent faits aux amis, afin qu’il ne leur arrive que des choses agréables et douces pendant le reste de l’année. On offrit plus tard des pièces de monnaie et des médailles d’argent.
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