« Il y a belle lurette qu’ils ne se parlent plus ! » disait grand-mère d’un couple de voisins, fâchés depuis des lunes.
Cette belle lurette -là est bien antérieure à celle dont Marcel Gottlieb fit la fiancée de Gai-Luron, son personnage de bande dessinée. On trouve déjà une Belle Lurette , personnage d’une opérette éponyme de Jacques Offenbach représentée en 1880 au théâtre de la Renaissance, peu de temps après la mort du compositeur.
Dans il y a belle lurette, belle lurette est une déformation de « belle hurette », altération régionale de « belle heurette », comprenons « belle petite heure ». L’expression est donc un euphémisme puisqu’elle signifie « fort longtemps ». Elle apparaît en 1841 dans Un monsieur et une dame , comédie-vaudeville de Xavier, Duvert et Lauzanne : « Et prêt à partir avec mon nourrisson qui l’a retenu il y a belle lurette ! » (Scène X.)
On trouve, dans le département de l’Yonne, la forme contractée bellurette .
Un proverbe hébreu nous dit que « toute l’habileté d’une femme est dans sa quenouille », à rapprocher de cet autre adage : « Femme sage / Reste à son ménage. » À moi, le M.L.F. ! La quenouille , instrument qui servait autrefois à filer la laine, le chanvre ou le lin, a longtemps symbolisé l’activité féminine. Aussi disait-on d’un domaine ou d’un royaume (loi salique) qu’il tombait en quenouille quand une femme en était l’héritière :
« Le gouvernement des François a-t-il toujours été monarchique ?
— Ouy.
— Les femmes ont-elles part à ce gouvernement ?
— Non, car le royaume de France ne peut pas tomber en quenouille. »
(Claude Le Ragois,
Instruction sur l’histoire de France et romaine, par demandes et réponses , 1687.)
La misogynie contestant aux femmes toute aptitude à gérer quelque propriété que ce soit, tomber en quenouille a pris le sens négatif de « dépérir, être laissé à l’abandon », l’incurie féminine faisant péricliter le bien plus rapidement que ne le ferait le temps. À moi, les Chiennes de garde !
L’expression est un peu vieillotte. On la remplace aujourd’hui par « autrefois », « jadis » (formé sur le latin jam , « déjà » et diei , « jours ») ou par « naguère » (abusivement, puisqu’il s’agit d’une contraction de « il n’y a guère »). La formule est elliptique : dans le temps passé. Mais, contrairement à ses équivalents actuels, dans le temps est entouré d’un halo de nostalgie : dans le temps , c’était forcément « le bon temps » car, même si l’on fait référence à des événements neutres, voire malheureux, ils appartiennent à cette époque révolue où nous étions évidemment plus jeunes. Le temps de l’expression est celui qui a fui :
« Le temps s’en va, le temps s’en va, ma Dame,
Las ! le temps non, mais nous nous en-allons […] »
(Ronsard, poésie retranchée des
Amours de Marie , 1555).
Variante : dans les temps (à ne pas confondre avec la locution moderne signifiant « à l’heure, dans les délais ») : « Je veillerai sur sa femme. Je n’ai pas eu de chance avec la mienne, dans les temps ; mais je vous réponds que celle-ci marchera droit » (Alphonse Daudet, La Petite paroisse , 1895).
Charles Armand Ménard (1869–1935) était un chanteur et fantaisiste français qui fit les belles heures du café-concert L’Eldorado , de 1900 à 1919. Il créa son pseudonyme en inversant son propre nom : Dranem. Parmi ses succès, citons Les P’tits pois, Le Trou de mon quai, V’la l’ rétameur ! . De 1920 à 1934, il participa à de nombreuses opérettes ainsi qu’à quelques films. Il compta Maurice Chevalier, Raymond Queneau et André Breton parmi ses admirateurs.
Son (énorme) succès coïncida avec l’adoption, en 1896, d’un nouveau costume de scène : veste étriquée, pantalon rayé trop large et trop court, des chaussures de clown, un ridicule petit chapeau melon et, surtout, un petit gilet dont boutons et boutonnières étaient décalés. L’artiste étant particulièrement célèbre à la maison, on disait Boutonner à la Dranem plutôt que « boutonner dimanche avec lundi ».
Habillé comme le marquis de Carabas
C’était l’inévitable compliment quand je vêtais des habits neufs pour la première fois. Grand-mère mettait la bouche en cul de poule et ayant donné un petit coup de la tête : « Hum ! Te voilà habillé comme le marquis de Carabas ! » Elle disait aussi, « comme un petit marquis » et, plus rarement, « comme un milord ».
L’expression est une allusion directe au célèbre conte de Perrault, Le Maître chat ou Le Chat botté (1697) et, plus précisément, à l’épisode où, grâce à un subterfuge, le chat amène le roi à offrir de riches vêtements à son maître : « […] le Chat s’approcha du carrosse et dit au roi, que dans le temps que son maître se baignait, il était venu des voleurs qui avaient emporté ses habits, quoiqu’il eût crié au voleur ! de toute ses forces ; le drôle les avait cachés sous une grosse pierre. Le roi ordonna aussitôt aux officiers de sa garde-robe d’aller quérir un de ses plus beaux habits pour monsieur le marquis de Carabas. »
Habillé comme l’as de pique
C’est être mal habillé, mal fagoté, accoutré bizarrement.
As de pique s’est autrefois appliqué à quelqu’un de ridicule, de stupide, qui ne mérite pas le respect, à l’image du Mascarille de Molière qui se fait ainsi qualifié par Marinette : « Taisez-vous, as de pique ! » ( Le Dépit amoureux , V, IX, 1656). On trouve aussi, chez Regnard : « Vous croyez, en votre humeur caustique, / En agir avec moi comme avec l’as de pique ? » ( Le Joueur , III, XI, 1696). Le grand échalas, mal fichu, a aussi droit au qualificatif : « Prenez bien garde à ce soldat, / Ou plutôt ce grand as de pique […] » (Scarron, La Foire Saint-Germain , 1643). Furetière (1690) mentionne l’expression C’est un as de pique , un as de trèfle en précisant que l’ « on s’en sert pour injurier quelqu’un que l’on méprise ». Ce n’est donc pas un hasard si Saddam Hussein était représenté par l’as de pique dans un jeu de cartes diffusé par le Pentagone américain pendant la guerre d’Irak. Outre sa valeur symbolique en cartomancie (la mort), l’ as de pique désigne aussi le croupion d’une volaille auquel sa forme l’assimile, ce qui explique qu’il soit aussi appelé troufignon ou croupignon (Hippolyte François Jaubert, Glossaire du Centre de la France , 1855). Prétendre que quelqu’un est fichu ou bâti comme l’as de pique , c’est donc, clairement, le comparer à un trou du cul, ce que grand-mère ignorait quand elle usait de la métaphore.
« Tu as fait ta plume ! » constatait grand-mère quand je sortais du cabinet de toilette (la famille n’avait les moyens de s’offrir ni salle d’eau ni salle de bains), débarbouillé et impeccablement peigné. Faire sa plume pour faire sa toilette est, à l’évidence, une allusion à l’oiseau qui lisse ses plumes avec son bec pour les nettoyer, les remettre en place et les huiler. La comparaison avec l’usage du gant de toilette, du peigne et d’une éventuelle brillantine est donc tout à fait judicieuse ; faire sa plume ou « lisser ses plumes », peut être, plus que de propreté, un souci de coquetterie : « La princesse n’était qu’un oiseau, sans cesse occupé de lisser ses plumes […] » (Alphonse Daudet, Les Rois en exil , III, 1879).
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