Et tout le saint-frusquin
Les linguistes ont glosé sur l’origine du mot frusquin . Il semble employé pour la première fois en 1628-29 avec le sens d’ « habit misérable » dans Le Jargon, ou langage de l’Argot réformé, comme il est à présent en usage parmi les bons pauvres d’Olivier Chéreau : « Polissons sont ceux qui ont des frusquins qui ne valent que froutiere ; en Hyver, quand le gris boüesse, c’est lors que leur estat est le plus chenastre. » Le mot frusquin est repris en 1710 par Antoine Baudron de Senecé dans son conte La Confiance perdue avec le sens plus large d’« effets », de « petites choses que l’on possède » : « Puis dans deux petits sacs mettant tout son frusquin. » L’adjonction de « saint » est peu postérieure : c’est une manière, sinon de canonisation, du moins de personnification comique, comme dans saint Foulcamp (voir supra).
Le mot frusques, de toute évidence issu de frusquin et saint-frusquin , apparaît à la toute fin du XVIII esiècle avec l’acception d’ « habits de peu de valeur, que l’on traite sans grand soin ».
Et tout le saint-frusquin a finalement pris le sens de « et tout le reste » (cf. supra, et tout le toutim ).
Le sou est indétrônable dans le langage populaire, bien qu’en tant que monnaie officielle il ait disparu depuis plus de deux cents ans. Les nombreuses expressions qui le contiennent en sont la preuve (voir supra, il lui manque toujours cent sous pour faire un franc ).
Propre comme un sou neuf en fait partie. Au XIX esiècle, on a d’abord dit simplement propre comme un sou : « Je ne l’ai jamais vu si bien mis que ce jour-là. Il était propre comme un sou » (Victor Hugo, Les Misérables , livre onzième, ch. III, 1862). L’image est, bien sûr, celle, reluisante, d’une pièce de monnaie récemment frappée. La nouveauté, implicite dans l’ancienne forme (une pièce mise en circulation depuis longtemps ayant troqué son brillant contre un aspect terne, voire noirci), devient rapidement explicite dans la seconde moitié du XIX esiècle : « L’unique rue qui le compose est impeccablement droite, propre comme un sou neuf, avec deux ruisseaux, s’il vous plaît, et deux trottoirs » (Verlaine, Lettre à Lepelletier du 4 octobre 1862).
Être, « se mettre » sur son trente et un
C’est être chic, bien habillé, tiré à quatre épingles , mettre son plus beau costume, sa plus belle robe ou, équivalents argotiques donnés par Alfred Delvau (1866), l’habit à manger du rôti et la robe à flaflas .
Que n’a-t-on pas écrit pour justifier l’étymologie de ce trente et un ! On a proposé une déformation de trentain, nommant autrefois un drap de luxe dont la chaîne était constituée de trente centaines de fils. Improbable ! Le mot trentain , relevant d’un vocabulaire spécialisé, ne saurait expliquer une expression aussi courante. Éman Martin (1821–1882) fait allusion à un jeu de cartes où les joueurs cherchent à totaliser le plus beau score, soit trente et un points (explication qui, selon Littré, « paraît la véritable ») ; Claude Duneton (1978) suggère le trente et unième jour de certains mois, qui aurait donné lieu à des festivités, des revues ou des permissions exceptionnelles, etc.
On trouve quelques variantes : trente-deux chez les Goncourt, trente-six chez Octave Feuillet, cinquante et un chez Balzac.
Et si tous ces chiffres ne représentaient que des pointures ou des tailles (parfois peut-être fantaisistes) ? La fierté des petites gens n’était-elle pas de revêtir, les dimanches et jours de fêtes, des habits bien à leur taille, parfaitement ajustés, contrastant avec ceux, plus amples et moins chics, que les travaux des champs, de l’atelier ou de l’usine, les contraignaient à porter les autres jours ?
C’est plus fort que de jouer au bouchon
L’expression signifie « c’est étonnant, incroyable » ou « c’est très difficile à réaliser ». Le jeu de bouchon auquel il est fait allusion semble être celui que l’on appelle aussi, dans l’Ouest, « jeu de la galine » ou de la « galoche » et dont on trouve la description en 1856 dans un ouvrage de Guillaume Louis et Gustave Belèze : Jeux des adolescents . Il est question de dégommer avec un palet un bouchon sur lequel on a placé des pièces de monnaie, de sorte qu’en tombant, les pièces soient aussi près que possible du palet que vous avez déjà positionné.
Voilà, certes, un jeu d’adresse mais est-il à ce point difficile qu’il puisse rendre compte de notre expression ? Pas vraiment. C’est que l’on a oublié la seconde partie de l’expression : avec un noyau de cerise . On la trouve dans le refrain d’une chansonnette parue en 1860 dans le magazine La Gaudriole et signée d’ Alexis Dalès (1813–1893), chanson si populaire qu’elle a donné naissance à la locution. En voici les première et dernière strophes :
« Tant bien que mal faire un couplet
Ça n’est pas difficile ;
Mais trouver un nouveau sujet,
Ça devient moins facile.
Moi, pour refrain de ma chanson,
J’ prends cette balourdise :
C’est plus fort que d’ jouer au bouchon,
Avec un noyau d’ c’rise.
[…]
Voir un corbeau jouer du piston,
Un chat fair’ l’exercice,
Ou bien, sur un fil de laiton,
Danser une écrevisse,
Voir un’ puce en bonnet d’ coton,
Un lapin prendre un’ prise…
C’est plus fort que d’ jouer au bouchon,
Avec un noyau d’ c’rise. »
La paille symbolise tout le contraire de l’importance : un « homme de paille » est un homme de rien qui n’agit souvent que comme prête-nom, la paille que vous voyez dans l’œil du prochain est insignifiante par rapport à la poutre que vous ne voyez pas dans le vôtre, quant au « fétu de paille », il représente le comble de l’inconsistance ou de la légèreté. L’exclamation Une paille ! est donc un euphémisme qui, ironiquement, signifie « c’est quelque chose ! », synonyme de la litote : « Ce n’est pas rien ! »
Mes grands-parents maternels s’étaient rencontrés en 1899 mais grand-père s’étant engagé dans la marine, grand-mère avait dû l’attendre huit ans avant qu’il ne l’épouse. « Une paille ! » commentait-elle, non sans une légitime fierté.
Revenons aux cadeaux de grand-mère (voir supra, Ça peut ! ). Respectant les bonnes manières, elle ne nous en donnait donc jamais le prix. On essayait parfois, en vain, de lui faire cracher le morceau :
— Tu as dû payer ça une fortune. Au moins dix mille francs (anciens, bien sûr !).
— Et le pouce ! s’exclamait-elle, et, au ton qu’elle employait, nous comprenions bien que ce pouce-là représentait beaucoup plus qu’un petit supplément.
Pouce fait référence à l’ancienne mesure de longueur valant 2,54 cm, soit la longueur moyenne du premier doigt de notre main. Et le pouce ! équivaut aux locutions familières désignant généralement les décimales que l’on considère comme négligeables, « et quelques », « et des broutilles », « et des brouettes », « et des bananes », etc.
Voilà une locution bien pratique pour marquer l’insistance, la répétition, l’excès, l’outrance, l’insupportable. Elle est généralement suivie du verbe exprimant l’action reproduite à gogo :
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