« Tredame ! monsieur, est-ce que madame Jourdain est décrépite, et la tête lui grouille-t-elle déjà ? »
(Molière,
Le Bourgeois gentilhomme , III, 5, 1670).
L’interjection est synonyme de Pardi ! , altération de « pardieu ».
Ça dépend… C’est tout dépendu, y’a plus rien à pendre
Parmi les réponses qui déplaisaient à grand-mère je citerai : « Je ne l’ai pas fait exprès », « Ce n’est pas ma faute », « Ce n’est pas moi » et Ça dépend . Chacune déclenchait sa repartie appropriée, dans l’ordre : « Manquerait plus que ça ! », « Ça n’est pas la mienne, non plus ! », « C’est sans doute le pape ! » et C’est tout dépendu, y’a plus rien à pendre. Jeu de mot sur les deux sens du verbe dépendre , « décrocher ce qui est pendu » et « être subordonné à », c’est tout dépendu était une façon de refuser mon hésitation, mon indécision, mon manque de franchise, car mon ça dépend voulait trop souvent dire « peut-être » ou « je ne sais pas quoi répondre ».
Une histoire à dormir debout
Devinette facétieuse :
« Connaissez-vous l’histoire du lit vertical ?
— Non.
— C’est une histoire à dormir debout ! »
L’expression est ici prise au pied de la lettre, mais quel sens figuré a pu créer cette équivalence entre à dormir debout et « absurde » ou « difficile à croire » ? Il serait en effet plus cohérent que l’histoire fût ennuyeuse, amenant ainsi l’interlocuteur à non seulement s’assoupir mais aussi dormir sans s’être couché. Elle serait alors bien appropriée au « jeu de l’ennui », cher à Jean Carmet : on choisit une victime à laquelle on raconte une histoire longue et dénuée de tout intérêt. Est déclaré vainqueur le conteur qui aura réussi à faire bâiller son interlocuteur en un minimum de temps.
Telle fut bien la signification première de l’expression, le conte étant si ennuyeux ou si invraisemblable que vous vous en désintéressez au point d’avoir sommeil : « Ce sont des contes à dormir debout. These are most idle, frivolous or foolish tales [23]» (Cotgrave, 1611). De l’absence d’intérêt à la futilité, de la futilité à l’invraisemblable, l’expression a changé de signification pour ne plus revêtir aujourd’hui que la dernière : une histoire à dormir debout , c’est une histoire qui ne tient pas debout, ce que pense Michel Onfray du récit d’Adam et Ève, « tout juste bon à grossir le rang des contes ou des histoires à dormir debout » ( Traité d’athéologie , Grasset, 2005).
Rappelons d’abord qu’on ne doit pas s’excuser soi-même mais prier autrui de bien vouloir accepter vos excuses. Faute évitée si l’on applique la maxime. Que nous dit-elle ? Qu’en s’excusant, on avoue avoir fait quelque chose de mal. Donc, si personne ne vous accuse, ne vous excusez surtout pas ! Elle est, en somme, assez immorale et n’incite guère à assumer ses propres responsabilités ; elle peut même encourager les moins scrupuleux à accuser les autres à leur place. Le proverbe a vraisemblablement gagné sa popularité grâce à sa rime riche (on peut même parler de paronymie, les deux mots étant presque homonymes). Il est employé dès le XIV esiècle dans le Mystère de la Passion d’Arnoul Gréban (v. 1425 — v. 1485) :
« D’autre part, vous avez mespris,
car, quant meschant homme s’excuse
et en s’excusant il s’accuse,
c’est petite excusacion. »
(Vers 3464–3467.)
Excusatio non petita est accusatio manifesta (« L’excuse non demandée est une accusation manifeste ») en est la version latine.
Interjection favorite de grand-père.
Fi n’a pas ici le sens que l’on trouve dans la simple interjection fi ! (ou fi donc !) qui marque le mépris, le dégoût ou le blâme, ces deux petites lettres équivalant à « C’est mal ! » ou « C’est honteux ! ». Ce fi -là est désuet et ne s’emploie plus guère que dans l’expression faire fi de , « dédaigner, ne pas tenir compte de ».
Dans Fi d’garce ! fi est l’altération de « fils » et aurait donc valeur d’insulte (« fils de garce ») si l’expression n’était pas, la plupart du temps, seulement employée pour dire l’étonnement ou l’admiration, notamment en saintongeais. Rappelons que garce , avant d’être un terme grossier et vulgaire appliqué à une femme débauchée, n’était considéré que comme le féminin de « garçon », ce qui, naguère, était encore le cas en Saintonge, Angoumois, Aunis et Gironde.
« Bonnes gens, écoutez la triste ritournelle
Des amants errants en proie à leurs tourments. »
Au début de la Complainte des infidèles (musique de Mouloudji et paroles de Sacha Guitry), bonnes gens est synonyme de « braves gens ». C’est une formule destinée à attirer l’attention du bon peuple, comme dans le fameux appel médiéval qui conjugue le verbe ouïr : « Oyez, oyez, bonnes gens ! »
Bonnes gens , comme l’employait souvent grand-mère, n’avait guère cette signification. Comme le dit Pierre Jônain dans son Glossaire saintongeais (1869), c’est une « exclamation de bonne pitié » qui incite l’interlocuteur à se lamenter sur la triste nouvelle dont on discute.
« Savez-vous, bonnes gens, qu’elle est bien malade ! »
Très fréquente en Saintonge, cette exclamation prend souvent la forme locale bounes ghens (ou boun’ghens ) dont le « h » note la prononciation aspirée du « g », typiquement charentaise.
On peut, de la même façon, « tailler une bavette » (voir supra). Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’une ( discuter le bout de gras ) soit issue de l’autre (« tailler une bavette ») car on dit aussi tailler le bout de gras . Si tel n’est pas le cas, l’origine de ce bout de gras est énigmatique. Mentionnons toutefois l’hypothèse pertinente qui fait de l’expression une traduction de l’anglais to chew the fat , littéralement « mâcher le gras », expression que le parler cockney substitue à to chat , « bavarder ». Rappelons comment les Cockneys (Londoniens issus de la classe ouvrière) se comprennent entre eux : ils remplacent un mot donné par une expression qui rime avec ce mot (on parle de rhyming slang ). Ainsi stairs (« escaliers ») devient apples and pears (« pommes et poires »), mouth (« bouche ») est remplacé par north and south (« nord et sud »), etc.
En ce temps-là…
Jésus dit à ses disciples : « Vous m’avez cassé ma pipe ! »
et à ses apôtres : « Vous m’en paierez une autre ! »
En ce temps-là … Commencer une phrase par ces mots peut ne rien dire qui vaille. On s’attend en effet à des propos nostalgiques sur un passé à jamais enfui et qui était forcément meilleur qu’aujourd’hui, un discours plus ou moins triste, du genre Prévert/Kosma (« En ce temps-là la vie était plus belle / Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui ») ou Trenet (« En ce temps-là, nous vivions ensemble. / En ce temps-là l’amour nous aimait. »). Bref, des paroles à vous flanquer le bourdon et qui se concluent inévitablement par « C’était le bon temps ! ». Alors, quand quelqu’un commençait son laïus par En ce temps-là , mon mécréant de grand-père l’interrompait net et, se mettant à paraphraser les Évangiles, faisait un facétieux distinguo entre disciples et apôtres pour se fendre d’un petit blasphème : « En ce temps-là… Jésus dit à ses disciples : “Vous m’avez cassé ma pipe !” et à ses apôtres : “Vous m’en paierez une autre ! ” »
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