En argot militaire, frichti ( fricheti ) signifia « festin » (d’abord en 1834 dans le parler lorrain de la Meuse, puis, selon Esnault, en 1855, chez les soldats de Crimée) puis simplement « repas ». Deux hypothèses étymologiques s’affrontent. L’une, très répandue [19], propose une altération de l’alsacien fristick , « petit déjeuner » (issu de l’allemand Frühstück ), l’autre, proposée par Pierre Guiraud (1982) y voit un dérivé de « fricotis », à rapprocher de fricot , d’abord « viande en ragoût » puis « repas », dont l’étymologie est le verbe « fricasser », lui-même issu de « frire ». On dit aussi préparer le fricot . Notons que frichti est associé à l’idée de cuisiner, préparer le repas et non à celle de manger.
Grand-père adorait ça. Quand il ne restait plus que quelques cuillérées de bouillon dans le fond de son assiette (à calotte), il y mélangeait un peu de vin rouge et portait l’assiette à la bouche.
On fait donc godaille en Saintonge et en Vendée comme on fait « chabrot » (ou « chabrol ») dans le Limousin et le Sud-Ouest. « Chabrot » vient de l’occitan cabro, chabro , « chèvre », car on boit le mélange en lapant comme une chèvre. D’ailleurs, on dit aussi en Saintonge « boire à chevrot ».
« Jhe manjhe la soupe, fais ine boune godaille avec dau vin roujhe … » (Évariste Poitevin dit Goulebenéze, Le Chérentais qui manjhe six fouées par jhour ).
Godailler a existé en vieux français avec le sens de « boire avec excès et souvent », un godailleur étant celui qui aime à godailler (Littré mentionne les deux mots, godailler étant qualifié de populaire). Faire godaille n’a pas cet aspect péjoratif.
L’étymologie de godaille est l’anglais good ale , « bonne bière », puis « bonne boisson », l’ale étant en Angleterre une bière ambrée, dont la couleur n’est d’ailleurs pas sans rappeler le mélange bouillon et vin. L’expression aurait-elle été adoptée quand la Saintonge fut possession anglaise entre 1152 et 1371 ?
La goule désigne dans bien des dialectes régionaux la bouche, du latin gula , « gosier, gorge », le mot goulée signifiant « bouchée » ou « gorgée » (voir supra, Toute brebis qui bêle perd la goulée ). Le Charentais « bade la goule » quand il est bouche bée (« bader » est de la même famille que « badaud »). Goule peut avoir le sens plus général de visage. Avoir la « goule enfarinée », c’est avoir le sourire béat de celui qui se réjouit à l’avance. Quand donc a-t-on la goule fine ? Quand on a un joli visage mais aussi et surtout quand on est gourmet, friand, capable d’apprécier ce qui est bon, ce qui est gouleyant . L’expression est aussi employée en Normandie. Pardonnez mon chauvinisme mais, phonétiquement, cette goule fine a une autre gueule que « fine gueule ».
Si le jabot désigne en français une poche de l’œsophage précédant le gésier et, par extension, la partie de la chemise qui recouvre la poitrine, le même mot signifie, dans le Centre-Ouest, la base du cou, la gorge ou la poitrine. Cailler , c’est se transformer en caillot. L’image est donc celle d’une nourriture que l’on ne réussit pas à digérer (voire à totalement avaler), celle qui vous reste sur l’estomac, vous écœure et vous donne envie de vomir. Ainsi, quand je rechignais à manger ma soupe ou tout autre nourriture que je trouvais peu ragoûtante, grand-mère s’efforçait de m’y contraindre en me disant : « N’aie pas peur, ça ne va pas te cailler sur le jabot ! »
Oh le joli bruit que fait la pâte à choux en plongeant dans l’huile de friture grésillante ! Ce doux chuintement explique à lui seul le nom de cette pâtisserie sans qu’il soit nécessaire de le justifier par une anecdote [20].
Le pet-de-nonne était la gourmandise traditionnelle de Mardi gras ou de la Chandeleur, en alternance avec les traditionnelles crêpes. Grand-mère les réussissait à merveille et j’aimais voir les petites boules de pâte se retourner toutes seules dans le bain de friture, comme par magie, quand le côté immergé était doré à point. J’avais pour mission de les retirer et de les saupoudrer de sucre. Le plus difficile était alors d’attendre que ces pets soient suffisamment refroidis pour me jeter dessus comme la misère sur le pauvre monde.
Mange ton poing et garde l’autre pour demain
« Grand-mère, j’ai (encore) faim !
— Eh bien, mange ton poing et garde l’autre pour demain ! »
C’était le genre de réponse qui me mettait hors de moi. D’autant que je ne savais pas moi-même quoi répliquer à une telle « faim » de non-recevoir. Du coup, je l’aurais bien mangé, mon poing… de rage ! Manger son poing, c’est ce que font les bébés quand la tétée se fait attendre. Fallait-il que je sois considéré comme un nourrisson que l’on ne nourrit pas, du moins pas assez ?
Se retenir en se mordant le poing pour ne pas exploser quand, insatisfait d’une situation et malgré force protestations, on ne réussit pas à obtenir gain de cause, telle serait l’idée d’abord contenue dans l’expression que d’aucuns prétendent marseillaise.
Elle connut un certain succès au XIX esiècle.
On dit aussi parfois un goût de reviens-y.
Bien des mets ont ce goût si vous avez « la goule fine » (voir supra) : un civet de chevreuil sauce grand veneur, un coq au chambertin, une éclade de moules ou des escargots à la saintongeaise (pour les Charentais), une bouillabaisse (pour les Marseillais), un cassoulet (pour les Castelnaudariens), une choucroute (pour les Alsaciens), un aligot (pour les natifs de l’Aubrac), un excellent champagne, une tarte au fraises, etc. Ce goût de revenez-y , c’est celui qui vous pousse irrésistiblement à vous resservir.
La cuisine de grand-mère avait toujours ce petit goût.
Au-delà des plaisirs de la table, le goût de revenez-y caractérise aussi tout ce qui est agréable et à quoi on revient avec plaisir (D’Hautel, 1808).
On trouve dans La Muse normande de David Ferrand (1638) : « Il y a bien du revenezy : Il y a retour à un ancien état de choses. »
Les routes sont bonnes par ici…
On précise, si nécessaire : « on verse peu ! » L’expression joue sur le double sens de verser , « basculer et tomber sur le côté en parlant d’un véhicule » et « faire couler un liquide ».
Grand-père disait cela quand il était invité et que son verre restait désespérément vide. Si l’hôte ne comprenait toujours pas, il complétait la phrase : « … on verse peu ! » Bien sûr, à la table des parents, la précision n’était pas nécessaire : papa lui servait du vin en se confondant en excuses. Grand-père respectait ainsi deux règles élémentaires de savoir-vivre : l’une qui interdit de se servir quand on est invité, l’autre qui proscrit toute demande directe.
Manger à s’en faire péter la sous-ventrière
Au sens propre, une sous-ventrière , c’est la partie du harnais qui passe sous le ventre d’un cheval. Au sens figuré, le mot est un équivalent familier de « ceinture » et si cette ceinture passe sous le ventre, on peut en conclure que celui qui la porte a déjà l’estomac bien rebondi. Il fait donc partie des mangeurs excessifs, de ceux qui s’empiffrent, qui engloutissent de si grandes quantités qu’ils peuvent en faire « péter » leur ceinture.
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